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Empoisonneurs du XIXe siècle confondus par la balbutiante toxicologie

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Événements marquants
Evénements ayant marqué le passé et la petite ou la grande Histoire de France. Faits marquants d’autrefois.
Empoisonneurs du XIXe siècle
confondus par la balbutiante toxicologie
(D’après « De la matière toxique à travers les siècles » (par Paul Pezet), paru en 1883)
Publié / Mis à jour le lundi 4 octobre 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 10 mn
 
 
 
À la fin du XVIIIe siècle, une révolution s’opéra dans le domaine toxicologique, médecins et chimistes commençant à être plus savants et plus habiles que les empoisonneurs, et c’est ainsi que le XIXe siècle fut le théâtre d’affaires criminelles retentissantes, les noms d’Edme-Samuel Castaing, Marie Lafarge, Hélène Jégado ou encore Edmond-Désiré Couty de la Pommerais étant passés à la postérité

Si à l’approche du XXe siècle la toxicologie prévenait beaucoup de crimes par la crainte qu’elle inspirait aux mal intentionnés de voir leur poison, le corps du délit, dégagé des organes de la victime et montré en nature aux yeux de la justice, on n’en était pas encore là lors de l’affaire Castaing, ce médecin empoisonneur, sous la Restauration.

Pauvre et ambitieux, ce criminel s’était adonné pendant ses études médicales à la recherche des substances capables de donner la mort sans laisser de traces de leur passage. Ainsi préparé, il se lie en 1821 avec deux jeunes gens de son âge, les frères Ballet, qui venaient d’hériter, par la mort de leurs parents, d’une fortune de 800 000 francs.

Edme-Samuel Castaing. Lithographie de Pierre Langlumé (1790-1830)
Edme-Samuel Castaing. Lithographie de Pierre Langlumé (1790-1830)

Le plus jeune, d’une santé délicate, souffrait depuis quelque temps d’une maladie de poitrine. Après une saison aux eaux d’Enghien, où Laennec l’avait envoyé, il paraissait rétabli, quand un mal subit le saisit tout à coup, et, trois jours après, il rendait le dernier soupir. Castaing seul lui avait donné des soins, ayant sous divers prétextes éloigné ses parents et ses amis.

Le jour du décès (5 octobre 1822), il était resté enfermé, deux heures durant, dans la chambre mortuaire, occupé à fouiller dans les meubles du défunt. Il vint lui-même apprendre à son ami la mort de son frère, et lui montra en même temps son testament, qui le déshéritait en faveur d’une sœur utérine. « Ce testament, ajouta-t-il, a été écrit en double. L’une des deux copies était enfermée dans le secrétaire de votre frère, et, par amitié pour vous, j’ai cru devoir commettre la mauvaise action de m’en emparer ; la voici. »

Ballet le remercie avec effusion, puis il s’écrie :

« Mais à quoi peut me servir cette copie si je n’ai pas l’autre ? Où est cette autre ?

— Je le sais, répondit Castaing. Elle se trouve déposée entre les mains d’un ancien maître-clerc de l’étude de votre père. Avec cent mille francs, je me charge de l’obtenir. »

Après quelques hésitations, Ballet remit ces cent mille francs à Castaing et partit avec lui pour se rendre au domicile de ce maître-clerc. Le docteur monta seul dans la maison, puis redescendit apportant cette seconde copie si désirée. Il la donne à Ballet, qui la déchire aussitôt, comme la première. Castaing s’était ainsi créé un complice qu’il tenait désormais à sa discrétion. Il ne le quitte plus et finit par en obtenir un testament qui l’instituait son légataire universel.

À six mois de là, les deux amis étant allés en partie de plaisir à Saint-Cloud, Ballet fut pris pendant la nuit d’une indisposition subite, après avoir bu un verre de vin chaud que Castaing avait préparé avec du sucre et du jus de citron. Avant le lever du jour, le docteur s’était fait ouvrir l’hôtel sous prétexte d’aller prendre l’air dans le parc ; mais une fois dehors, il courut en voiture à Paris où il acheta chez un pharmacien 60 centigrammes d’émétique et chez un autre 2 grammes d’acétate de morphine.

À huit heures, il était de retour et faisait boire au malade du lait froid, puis une potion de sa composition. Dans la soirée et dans la nuit, les coliques et les vomissements se succédèrent sans relâche. Un médecin de Saint-Cloud, appelé en consultation, prescrivit une potion calmante ; Castaing en donne lui-même une dose au malade. L’effet en fut prompt et terrible : un état convulsif se déclare et persiste jusqu’à la mort, qui arrive le lendemain matin, 1er juin 1823, au milieu des sanglots et des démonstrations de piété religieuse du perfide ami.

Malgré ces marques de profonde douleur, des soupçons s’élevèrent sur la cause d’un trépas si étrange ; ils se changèrent en présomptions accablantes quand on vit Castaing produire le testament du défunt et réclamer l’héritage. Un ami à qui Ballet avait fait des confidences antérieures avertit la justice, et Castaing fut arrêté.

Edme-Samuel Castaing et les frères Ballet ses deux victimes
Edme-Samuel Castaing et les frères Ballet ses deux victimes

L’instruction traîna en longueur, et le procès ne commença que le 6 novembre 1825. L’autopsie, faite par les médecins légistes les plus réputés de Paris, ne fournit point la preuve matérielle. Il paraît même que les altérations observées sur le cadavre pouvaient tout aussi bien provenir de certaines maladies naturelles que de substances toxiques.

La conviction du jury se fit sans doute avec d’autres éléments que le corps du délit. Castaing y contribua lui-même par ses confidences à un prisonnier qui joua le rôle de mouton et le trahit. Malgré la défense de Berryer et les réponses équivoques des experts-médecins en faveur d’un confrère, il fut condamné à mort, et, après avoir tenté de se détruire avec un poison subtil qu’on lui avait fait passer dans une boîte de montre, il fut exécuté le 6 décembre 1825.

Dans les empoisonnements célèbres qui suivirent, on a affaire à des substances beaucoup plus vulgaires, que certains usages domestiques mettent pour ainsi dire dans toutes les mains, mais dont on retrouve facilement la présence matérielle dans le corps des victimes ; nous voulons parler du phosphore et de l’arsenic.

Leur emploi criminel prit dans la statistique une prépondérance numérique bien marquée, le phosphore surtout, depuis l’usage généralisé des allumettes chimiques. Il faut reconnaître cependant que l’arsenic, ce toxique qui figurait dans toutes les officines des empoisonneurs des siècles derniers, qui faisait la base du poison des Borghia et de l’Acqua tophana, resta encore « le roi des poisons » à cause de la facilité de son administration. En 1855, on comptait encore en France 42 empoisonnements par l’arsenic et 21 par le phosphore ; en 1862, 5 par l’arsenic et 16 par le phosphore.

C’est l’arsenic qui est en jeu dans le drame judiciaire le plus émouvant que notre XIXe siècle ait ajouté aux fastes du crime. Il s’agit de l’affaire Lafarge. Marie Capelle, fille d’un colonel d’artillerie, intéressante et gracieuse orpheline, se faisait remarquer, à défaut de beauté, dans la société parisienne, par le charme de son esprit cultivé et un peu romanesque, quand on la maria en 1838, par l’entremise de l’agence de M. Foy, à un jeune veuf, M. Pouch-Lafarge, maître de forges dans la Corrèze, homme commun et peu délicat, dont les affaires embarrassées avaient grand besoin de l’apport d’une dot.

Après des débuts orageux qui eurent pour origine la désillusion de la jeune Parisienne reléguée au château du Glandier, espèce de masure dans un désert, avec un entourage de gens grossiers, le jeune ménage reprit une existence supportable. Un accord parfait parut même y régner, au point que les deux époux échangèrent des testaments en faveur l’un de l’autre.

Marie Lafarge, prise au daguerréotype dans la prison. Estampe de la Bibliothèque nationale
Marie Lafarge, prise au daguerréotype dans la prison. Estampe de la Bibliothèque nationale

À quelque temps de là, Lafarge, étant allé à Paris pour ses affaires, tomba malade à l’hôtel, après avoir mangé un gâteau que sa femme lui avait envoyé et qu’elle avait substitué — on l’apprit plus tard — à d’autres petits gâteaux du pays expédiés par la mère de Lafarge. Ce dernier revient au Glandier ; la maladie s’aggrave et il expire le 14 janvier 1840 à la suite de vomissements répétés et de violentes coliques. Dix jours après, au milieu des rumeurs soulevées par cette mort étrange, Marie Capelle fut mise en état d’arrestation.

Pendant la maladie de son mari, les gens de la maison avaient vu souvent Mme Lafarge mêler aux breuvages qu’elle lui administrait une poudre blanche qu’elle disait être de la gomme arabique. À plusieurs reprises aussi, elle avait fait acheter chez le pharmacien d’Uzerche de l’arsenic pour détruire les rats qui infestaient le Glandier, et, chose singulière qui fut reconnue plus tard, la mort aux rats qu’elle avait ainsi préparée ne contenait point d’arsenic !

La Cour d’assises qui devait juger Mme Lafarge s’ouvrit à Tulle le 15 septembre 1840. L’accusation n’avait pu réunir que des présomptions dans une instruction qui avait duré huit mois. Le ministère.public, qui voulait à tout prix une condamnation, comptait sur les débats pour avoir une preuve convaincante. Mais jamais on ne vit rien de plus embrouillé et de plus contradictoire que les recherches et les résultats des expertises qui eurent alors lieu.

Les premiers experts de Tulle avaient trouvé de l’arsenic presque partout, dans un lait de poule qui n’avait pas été bu, dans de l’eau sucrée, dans les liquides provenant des vomissements. La seconde expertise, dans laquelle figure Dupuytren et ordonnée pour contrôler les résultats obtenus par des procédés trop sommaires et jugés insuffisants, aboutit à déclarer que les liquides vomis ne renfermaient pas une parcelle d’arsenic, bien qu’il y en eût dans les autres substances suspectes. En présence de ces contradictions, on réclama l’exhumation du cadavre de Lafarge et une troisième expertise. Celle-ci fut confiée à Mathieu Orfila — doyen de la Faculté de médecine de Paris et pionnier de la toxicologie médico-légale —, qu’on fit venir de Paris et à qui on avait adjoint Devergie, Chevalier et Olivier (d’Angers), mais qui n’amena avec lui que son préparateur Bussy.

Après deux jours d’opérations, Orfila vint lire son rapport à l’audience ; il avait obtenu avec l’appareil de Marsh, sur trois assiettes, de légères taches miroitantes représentant environ, d’après le célèbre chimiste, un demi-milligramme d’acide arsénieux, et il affirma la réalité de l’empoisonnement de Lafarge. La défense, surprise d’une conclusion aussi inattendue, tenta un effort désespéré. Un des avocats alla chercher Raspail à Paris ; mais, quelque diligence qu’ils fissent, lorsque l’avocat et le savant arrivèrent à Tulle, la sentence fatale venait d’être prononcée.

À la faveur d’un pourvoi en cassation et dans le but d’éclairer l’opinion de la Cour suprême, Raspail entreprit une sorte d’enquête chimique sur les opérations d’Orfila. Il se fit montrer au greffe les trois assiettes ; il trouva sur les deux premières des taches qui n’étaient ni pondérables ni déterminables ; les taches de la troisième furent reconnues de nature arsenicales et représentant, non pas un demi-milligramme, mais un centième de milligramme ! Quantité impondérable, tout à fait insuffisante pour motiver une condamnation capitale, car elle pouvait provenir du zinc, ou du nitrate de potasse, ou des autres réactifs employés par Orfila, qu’il avait apportés et remportés avec lui sans permettre à personne d’en vérifier la pureté. C’est en cette occasion que Raspail se fit fort de trouver, avec les réactifs les plus purs, le double de cette quantité d’arsenic dans n’importe quoi, dans les pieds du fauteuil du président. Pour la première fois, il est ainsi question de l’arsenic normal dans le corps.

Marie Lafarge. Portrait publié dans Histoire socialiste (1789-1900) : le règne de Louis-Philippe (Tome 8) sous la direction Jean Jaurès, paru en 1906
Marie Lafarge. Portrait publié dans Histoire socialiste (1789-1900) :
le règne de Louis-Philippe
(Tome 8) sous la direction Jean Jaurès, paru en 1906

Le pourvoi en cassation fut rejeté, et Mme Lafarge, condamnée à la réclusion perpétuelle, fut transférée à la Maison centrale de Montpellier. Elle y resta jusqu’en 1852. Graciée à cette époque, elle se rendit dans le plus triste état de santé aux eaux d’Ussat, où elle mourut le 7 novembre de la même année, à l’âge de 36 ans.

L’affaire Lafarge est la première en France où la toxicologie judiciaire ait employé l’appareil de Marsh, connu depuis quatre ans dans le monde scientifique. Onze ans après la condamnation de Mme Lafarge, une fille du peuple de la basse Bretagne, une servante qui s’appelait Hélène Jégado, nouvelle Brinvilliers, comparut devant la Cour d’assises de Rennes sous l’accusation de plus de trente empoisonnements commis en dix-sept ans. Elle n’eut à répondre toutefois que de ses quatre derniers forfaits, les autres étant couverts par la prescription légale.

Type de scélératesse et d’hypocrisie, elle témoignait d’une piété si fervente, elle se plaignait elle-même si amèrement du sort qui la poursuivait, de la fatalité qui faisait qu’on mourait partout où elle allait, qu’elle échappa à tout soupçon, jusqu’au moment où deux médecins de Rennes, ne pouvant s’expliquer que par un empoisonnement les symptômes morbides et la mort de deux servantes, compagnes d’Hélène Jégado, donnèrent l’éveil à la justice.

Hélène fut arrêtée, et à mesure qu’on fouilla dans son existence, on découvrit une foule de meurtres froidement commis par elle, le plus souvent sans autre motif appréciable qu’une « singulière férocité qui la poussait à semer partout la mort, à se complaire dans le spectacle des souffrances et de l’agonie de ses victimes ».

L’illustre chimiste de Rennes, le professeur Faustino Malaguti, fut chargé en 1851 des expertises. L’appareil de Marsh donna, non pas des traces d’arsenic, comme Orfila en avait obtenu dans l’affaire Lafarge, mais des quantités très pondérables et même relativement énormes. Le défenseur d’Hélène, malgré les dénégations de l’accusée, ne put plaider que la monomanie du meurtre par empoisonnement. La guillotine fut le remède appliqué à cette maladie.

Parmi les empoisonnements modernes les plus retentissants du XIXe siècle, citons encore celui qui a conduit au supplice Edmond-Désiré Couty de la Pommerais, bien qu’on n’ait pu arriver qu’à la supposition du poison employé, l’expertise ayant seulement formulé cette conclusion : « Peut-être il y a eu empoisonnement par la digitaline ».

Edmond-Désiré Couty de la Pommerais était un médecin homéopathe qui, peu satisfait d’une position suffisante pour tout autre, voulait « faire parler de lui et surtout faire fortune ». Son ambition ne recula devant aucun moyen : pétitions aux ministres pour se faire décorer, usurpation du titre de comte, adresse pleine de dévouement au Saint-Père pour obtenir la croix de Saint-Sylvestre alors qu’il professait ailleurs le matérialisme le plus radical, spéculations véreuses de Bourse, tout dénotait en lui un intrigant sans délicatesse.

Hélène Jégado. Image d'Épinal de la Maison Pellerin
Hélène Jégado. Image d’Épinal de la Maison Pellerin

En 1861 il avait épousé Mlle Dubizy, dont la dot s’élevait à 150 000 francs ; mais Mme Dubizy mère, veuve d’un médecin et qui avait quelque raison de se défier d’un gendre dont les prétendus apports avaient été des titres empruntés à un ami, avait marié sa fille sous le régime de la séparation de biens. De cette façon, La Pommerais ne pouvait disposer de la fortune de sa femme, ce qui ne faisait nullement son affaire. Deux mois après le mariage, la belle-mère fut prise de coliques et de vomissements à la suite d’un repas auquel avait assisté son gendre. D’autres médecins avaient été appelés, mais La Pommerais seul dirigea le traitement. Trente-six heures après, elle était morte.

Aussitôt, il s’empare de toutes les valeurs mobilières et dispose à son gré des titres tombés entre ses mains. Il se lance à nouveau dans des spéculations de Bourse qui ne lui réussissent pas mieux que les premières ; sa soif de luxe se heurte encore à des embarras financiers. C’est alors qu’il met à exécution son fameux projet qui lui paraissait devoir assurer sa fortune, mais qui le conduisit à l’échafaud.

Comme médecin, il avait donné des soins à un peintre, M. de Pauw, qui ne tarda pas à mourir, laissant une femme et trois enfants sans ressources. Une liaison intime s’établit entre la veuve et le médecin. Celui-ci lui prodigua ses assiduités pendant plus de deux ans ; puis il s’éloigna d’elle, et deux années s’étaient écoulées sans qu’elle eût reçu de lui aucune marque de souvenir, lorsqu’un jour il reparut tout à coup, lui annonçant, pour expliquer son brusque retour, qu’il avait trouvé un moyen facile et sûr de la mettre désormais, elle et ses enfants, à l’abri du besoin.

Voici en quoi consistait ce moyen : Mme de Pauw assurerait sur sa tête une somme de 550 000 francs au bénéfice de La Pommerais, qui se chargerait du paiement des primes, soit 18 840 francs par an. Mais comme Mme de Pauw hésitait à s’engager dans cette opération qui ne présentait aucun avantage pour elle ni pour ses enfants, La Pommerais lui persuada que son dessein n’était nullement de bénéficier d’une semblable éventualité, mais seulement d’intimider, de faire chanter les Compagnies d’assurances, une fois les contrats signés, si elle voulait simuler une maladie qui ferait croire à une fin prochaine. Les Compagnies, alors, s’empresseraient d’accepter l’annulation des contrats, moyennant une rente viagère de 6 000 francs.

Mme de Pauw se prêta sans résistance à ce stratagème : la fortune allait enfin lui sourire. Huit compagnies, après des certificats d’excellente santé, admirent Mme de Pauw à contracter des assurances pour la somme de 550 000 francs. La première prime fut payée par La Pommerais, qui était censé vouloir assurer le sort des enfants qu’il avait eus avec Mme de Pauw. Il s’était appliqué à faire insérer dans les contrats cette clause, que la propriété de chaque police pouvait être d’avance transférée à un tiers, par simple endossement, et il s’empressa d’obtenir de Mme de Pauw, non seulement ce transfert par endossement et un acte en règle par lequel elle déclarait avoir contracté des assurances pour une somme de 550 000 francs au profit de La Pommerais, dont elle se reconnaissait débitrice, mais encore un testament qui lui confirmait le bénéfice des huit contrats d’assurances et l’instituait son légataire universel.

Edmond-Désiré Couty de la Pommerais. Gravure publiée dans La Chronique médicale (1909)

En possession de toutes ces pièces et avant l’échéance de la seconde prime à payer, La Pommerais résolut de hâter le tragique dénouement qu’il avait combiné. Il rappela à Mme de Pauw que le moment était venu de simuler une maladie sérieuse pour obtenir, à des conditions avantageuses, le rachat des assurances, les 6 000 francs de rente viagère si désirés. Elle se mit donc à faire la malade, à se plaindre d’une chute qu’elle aurait faite dans l’escalier, à consulter des médecins, à accumuler leurs ordonnances ; et la supercherie durait depuis six à sept semaines quand La Pommerais l’invita à se dire plus malade que jamais, à ne plus quitter le lit, et lui annonça qu’afin de mieux tromper les médecins qui devaient la visiter de la part des Compagnies, il lui ferait prendre « quelque chose qui lui donnerait de l’agitation ».

Le 14 novembre, il lui donne cette potion qui doit l’agiter, et pendant la nuit la pauvre femme se sent prise de vomissements et de vives souffrances. Elle dit à son entourage qu’elle doit avoir eu une indigestion. La Pommerais, à sa visite du matin, parle d’une attaque de cholérine qui se dissipera. L’état s’aggrave de plus en plus. Mme de Pauw était morte le lendemain.

Sans s’attarder aux manifestations de la douleur, La Pommerais écrit aux huit Compagnies pour les inviter à se mettre en mesure de lui payer le montant des assurances que ce décès rendait exigible. Cependant, la soudaineté du trépas de Mme de Pauw et les révélations de l’entourage donnaient lieu à maintes rumeurs. Le beau-frère de la victime, se faisant l’écho de ces soupçons, écrivit au parquet que Mme de Pauw était morte empoisonnée par le Dr La Pommerais.

Une instruction fut ouverte et l’on chargea M. Tardieu de procéder, avec le concours du chimiste Roussin, à l’autopsie de la victime. Il fut constaté par l’expert que Mme de Pauw, exhumée treize jours après le décès, n’offrait aucun symptôme d’une prétendue chute, qu’il n’existait en elle aucune trace de lésion ou de maladie, mais qu’il y avait dans les matières vomies et raclées sur le parquet la présence d’un poison énergique qui, d’après les effets produits sur des animaux, devait être la digitaline.

Au domicile de l’accusé on trouva, avec les factures d’achat, une quantité considérable de poisons de toute nature, notamment un flacon ayant contenu 2 grammes de digitaline et qui n’en renfermait plus que 15 centigrammes. On se souvint aussi de la mort subite de Mme Dubizy, et ordre fut donné de procéder à l’autopsie de cette dernière. Les experts reconnurent que les principaux organes, après trois ans d’inhumation, étaient dans un état de conservation qui rendait difficile d’expliquer la mort par une cause naturelle.

Mais la contre-expertise, obtenue par Me Lachaud, mit en défaut, sur plus d’un point, les conclusions des premiers experts. La question des poisons végétaux devint l’objet d’une savante discussion. Les débats furent longs et orageux ; mais le jury, plus sensible aux autres charges accablantes qui pesaient sur l’accusé, rendit un verdict affirmatif sur l’empoisonnement de Mme de Pauw, et un verdict négatif au sujet de la mort de Mme Dubizy. La Pommerais fut exécuté le 9 juin 1864.

 
 
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