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Copistes et enlumineurs : comment se faisaient les livres avant l’imprimerie

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Métiers anciens / oubliés
Histoire des métiers, origine des corporations, statuts, règlements, us et coutumes. Métiers oubliés, raréfiés ou disparus de nos ancêtres.
Copistes et enlumineurs : comment
se faisaient les livres avant l’imprimerie
(D’après « La Mosaïque. Revue pittoresque illustrée
de tous les temps et de tous les pays », paru en 1880)
Publié / Mis à jour le dimanche 29 mars 2020, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 7 mn
 
 
 
La copie des livres est, comme on le sait, d’origine monastique : le bibliothécaire fournissait aux copistes, bientôt épaulés par les enlumineurs, les ouvrages à copier, la tâche s’accomplissant dans le scriptorium, lieu sacré de confection de ces chefs-d’œuvre au sein desquels l’or, l’argent, l’encre et le coloris ont si bien gardé, à travers les siècles, leur fraîcheur et leur beauté primitives, qu’on les croirait exécutés d’hier : peintures, emblèmes, miniatures, y sont vraiment quelque chose d’achevé ; et l’on s’explique l’émerveillement des profanes qui, à l’époque, attribuaient ces splendides travaux à des anges

Dès le IVe siècle, saint Paulin, évoque de Nole, en interdisant toute autre occupation à ses moines, leur recommandait tes travaux de transcription. Guignes, cinquième prieur de la Grande-Chartreuse, non content de copier lui-même avec une grande perfection, apprend son art à ses jeunes religieux : « Nous voulons, dit-il, conserver les livres comme l’éternelle nourriture de nos âmes. » Osberne, abbé de Saint-Evrout, pousse l’humilité et le zèle jusqu’à fabriquer lui-même des écritures pour les copistes. Armand, abbé de Sainte-Colombe-lez-Sens, passe sa vie à faire transcrire des ouvrages historiques. Robert, abbé du Mont-Saint-Michel, ne fait pas copier moins de cent quarante volumes. Théodoric, abbé d’Ouche, copiste éminent, fonde, dit Orderic Vital, une école de calligraphie d’où sortent un grand nombre de scribes du plus grand mérite.

Les monastères parisiens de Saint-Victor, de Saint-Germain des Prés, de Saint-Maur ; celui de Luxeuil, fondé par saint Colomban ; celui de Saint-Gall surtout, dans la Suisse allemande, étaient à la tête de ce mouvement de transcription. « Il y a dans notre abbaye, dit un moine de Saint-Victor, des religieux à qui l’abbé a confié le soin de transcrire des livres. Le bibliothécaire est chargé de leur donner des ouvrages à copier et de leur fournir tout ce qui est nécessaire. Une salle particulière leur est destinée, afin qu’ils soient plus tranquilles et qu’ils puissent se livrer à leur travail loin du trouble et du bruit. Là, les copistes sont assis et doivent garder le plus grand silence. Il leur est défendu de quitter leur place pour se promener dans la chambre. Personne ne peut aller les visiter, excepté l’abbé, le bibliothécaire et le sous-prieur. »

Moines copistes travaillant dans un scriptorium. Enluminure extraite du Livre des jeux, traité du XIIIe siècle réalisé pour Alphonse X de Castille
Moines copistes travaillant dans un scriptorium. Enluminure extraite du Livre des jeux,
traité du XIIIe siècle réalisé pour Alphonse X de Castille

La salle dont parle le religieux de Saint-Victor était le scriptorium, lieu sacré qu’on bénissait comme un sanctuaire et qu’on honorait presque à l’égal d’une église. On gagnait le ciel, en effet, tout aussi bien qu’au pied des autels : « Écrivez, disait Théodoric à ses moines ; une lettre tracée dans ce monde vous sauve un péché dans l’autre. » Et, à l’appui de ces consolantes paroles, l’abbé d’Ouche leur racontait, dans son zèle naïf, la légende de ce religieux copiste que les anges et les démons conduisent après sa mort devant le trône de l’Éternel, ceux-ci calculant les fautes innombrables du défunt, ceux-là comptant les lettres qu’il avait tracées pendant sa vie dans le silence du scriptorium. Enfin, le nombre des caractères écrits sur le vélin dépassa d’une seule unité celui des fautes que le calligraphe avait sur la conscience, et Dieu lui fit miséricorde.

De pareils récits ne pouvaient qu’enflammer le zèle des copistes dans les monastères, surtout lorsqu’ils avaient, pour les stimuler, un abbé comme Critherius, contemporain de notre auteur. En plaçant ses moines dans les salles du scriptorium, Critherius leur disait :

« Que l’un corrige le livre que l’autre a écrit ; qu’un troisième fasse les ornements à l’encre rouge ; que celui-ci se charge de la ponctuation, un autre des peintures ; que celui-là colle les feuillets et relie les livres avec des tablettes de bois ; vous, préparez ces tablettes ; vous, apprêtez le cuir ; vous, les lames de métal qui doivent orner la reliure. Que l’un de vous taille les feuilles de parchemin ; qu’un autre les polisse ; qu’un troisième y trace au crayon les lignes qui doivent guider l’écrivain ; enfin, qu’un autre prépare l’encre, et un autre les plumes. »

C’est le principe de la division du travail appliqué dès le XVe siècle au plus littéraire de tous les métiers. L’atelier monastique embrassait donc la fabrication complète du livre ; il comprenait surtout la chrysographie et la miniature, que l’antiquité avait léguées au Moyen Âge et dont l’art chrétien s’était empressé de prendre possession. Il faut lire le savant traité de Gottlieb Schwarz pour savoir jusqu’à quel point les anciens avaient poussé le luxe de la copie et de l’enluminure. Élevés à leur école, les copistes et les miniaturistes du Moyen Âge imitèrent d’abord plus ou moins servilement leur manière et leurs procédés, de telle sorte qu’il y eut là, comme en architecture et en peinture, un art roman et byzantin.

Les progrès de cet art se mesurent au développement que prit successivement la lettre initiale : tracée d’abord au niveau des autres et sans ornement, elle fut ensuite coloriée en cinabre pour la distinguer des lettres ordinaires. Au VIe siècle, on la voit s’agrandir et recevoir quelques ornements ; au VIIe, elle envahit les marges, étale des découpures en treillis, des entrelacs de mailles, des tresses de chaînettes auxquelles succèdent, dans l’âge suivant, des arabesques historiées qui déroulent de toutes parts leurs gracieuses volutes.

Un copiste au XIVe siècle. Enluminure extraite de Miroir historial, traduction française par Jean de Vignay de Speculum historiale de Vincent de Beauvais
Un copiste au XIVe siècle. Enluminure extraite de Miroir historial, traduction française
par Jean de Vignay de Speculum historiale de Vincent de Beauvais

L’abus est bien près de l’usage : du XIIe au XIVe siècle, les enlumineurs, donnant libre carrière à leur fantaisie, arrivent à produire des bizarreries, des extravagances que le bon goût réprouve. Toutefois, vers l’époque dont nous nous occupons, cette exubérance de détails se tempère. Les filigranes luxuriants de l’âge précédent, ramenés sur eux-mêmes, ne servent plus qu’à encadrer des vignettes et des rinceaux d’où jaillissent des fruits et des fleurs. C’est alors que les peintures, rattachées autrefois aux lettres par toutes sortes de liens, s’en détachent tout à fait et forment des ornements isolés.

Les figures s’animent et prennent de la réalité ; leurs groupes se dramatisent et grandissent jusqu’aux proportions d’un vrai tableau, autour duquel la vignette serpente en légère bordure. De ce moment la grande enluminure est née, et c’est bientôt l’une des branches les plus brillantes de l’art du peintre.

Ces illuminationes, trop splendides pour le cloître, excitèrent les récriminations des rigoristes et en particulier des ordres mendiants ; elles contribuèrent ainsi, dans une certaine mesure, à faire sortir des monastères les copistes et les enlumineurs. Aussi bien les universités avaient le plus grand besoin, pour répandre leur enseignement, du secours des copistes. Elles les attirèrent par l’appât du privilège de cléricature, qui était à cette époque le meilleur de tous les passeports. Tandis que les docteurs s’attachent les scriptores, les princes et les rois encouragent les pictores, et la sécularisation, déjà commencée à la fin du XIIIe siècle, est presque complète au XIVe. C’est alors que les livres, conservés jusque-là avec un soin jaloux dans les bibliothèques et les scriptoria des monastères, commencent à se montrer au dehors.

À Paris, où l’on savait mieux que partout ailleurs exécuter les différentes opérations par lesquelles devait passer un manuscrit, depuis la préparation du vélin jusqu’à l’assemblage des ais et la ciselure des plaques d’orfèvrerie pour la couverture, les livres, soit qu’ils fussent en cours de transcription et d’enluminure, soit qu’on les vînt admirer chez les librarii, dont ils remplissaient les boutiques, faisaient l’admiration et excitaient au plus haut point le désir des lettrés, qui affluaient de toutes parts dans le quartier des études.

Les étrangers eux-mêmes, attirés par la réputation de la science et de la librairie parisiennes, venaient acheter leurs livres aux scribes de l’Université, et se croyaient trop heureux de laisser leurs trésors dans les boutiques de la rue Saint-Jacques en échange de ceux qu’ils recevaient. Richard de Bury, évoque de Durham et chancelier d’Angleterre, s’écrie, à la vue des nombreux volumes qui s’étalent aux abords des collèges : « Ô Dieu de Sion ! c’est là que nous aurions désiré demeurer toujours à cause de la grandeur de notre amour pour cette belle ville, où il nous semblait que les journées fussent trop courtes. Dans cette cité est la serre chaude de l’esprit, là sont des bibliothèques dans des cellules embaumées d’aromates intellectuels ; là fleurissent toutes sortes de volumes. C’est là qu’en vérité, ouvrant nos trésors et déliant les cordons de notre bourse, nous avons répandu l’argent d’un cœur joyeux, pour racheter et arracher à la poussière et à la fange des livres inestimables. »

La poussière et la fange dont parle l’illustre bibliophile ne doivent pas être considérées ici comme une simple métaphore. La rue de la Parcheminerie, autour de laquelle rayonnaient les diverses industries se rattachant à la fabrication du livre, était loin de représenter les « gazons académiques, » les « promontoires du Parnasse » et les « portiques du stoïcisme » que le poétique chancelier croyait apercevoir sur la montagne Sainte-Geneviève.

Moine copiste. Enluminure extraite de La quête du Saint Graal, manuscrit français du premier quart du XIVe siècle (British Library, MS Royal 14 E III)
Moine copiste. Enluminure extraite de La quête du Saint Graal, manuscrit français
du premier quart du XIVe siècle (British Library, MS Royal 14 E III)

Pauvres comme l’Université dont ils dépendaient, les écrivains, enlumineurs, relieurs, libraires et parcheminiers étaient logés plus que modestement ; ils gagnaient peu, portaient le poids d’une lourde responsabilité et n’avaient pas, comme les docteurs dont ils aidaient à vulgariser les ouvrages, la perspective d’une brillante renommée ; en revanche, ils ne reconnaissaient pour juge que le prévôt de Paris, conservateur de leurs privilèges, lequel faisait apposer son grand scel de cire rouge sur le parchemin de leur caution ; ils étaient exempts de péages, aides, guets et autres corvées. Quand venaient les grandes fêtes de l’Université, ils avaient l’honneur d’être convoqués dans l’église des Mathurins, appelés à haute voix pour prendre rang dans la procession générale avec tous les autres ordres du corps universitaire, et on les voyait marcher fièrement sous la bannière de leur patron saint Jean devant la porte Latine.

Les scriptores et les illuminatores des couvents ne jouissaient pas de ces honneurs ; nulle compensation n’était offerte à leur vanité. Pour horizon quotidien, une page blanche de parchemin à remplir ; pour avenir, pendant plusieurs années, un in-folio à achever. Et quels souvenirs ont laissés ces laborieux copistes ? Aucun ! pas même leur nom pour la plupart. Ce nom, d’ailleurs, quand il est écrit, ne dit, ne rappelle rien ; c’est la seule lettre morte du manuscrit dont il est la signature : frère un tel, désigné uniquement par son nom de baptême, ou la fonction qu’il remplissait au monastère. Et puis, c’est tout ; la personnalité vaniteuse est absente ; l’individu est absorbé dans la communauté. Les Bénédictins ne signaient-ils pas, au XVIIe deux siècles, leurs volumineux in-folio de cette simple mention : par un membre de la congrégation de Saint-Maur ?

Dans le monastère de Saint-Gall, les sept tables de la salle d’étude, ou scriptorium, étaient occupées jour et nuit par les moines copistes. La transcription des manuscrits fut, au IXe siècle, une des gloires du nouveau couvent. Le parchemin que les bénédictins Saint-Gallois affectaient à leurs travaux de luxe, bien qu’uniquement fait de peaux de bêtes sauvages, était affiné avec tant d’art qu’il avait presque la blancheur et la ténuité de notre papier à lettres d’aujourd’hui. Pour les usages ordinaires, ils employaient en revanche un parchemin brut, persillé et plein de rapiéçages, sur lequel, à l’instar des anciens, ils effaçaient deux et trois fois l’écriture, afin de pouvoir s’en servir de nouveau. C’est ainsi que, sur un des manuscrits conservés à Saint-Gall, les neuf codices rescripti, on retrouve, biffés, des fragments de l’Ancien Testament par dessus lesquels ont été écrites les Homélies de saint Hilaire.

Au commencement du IXe siècle, l’écriture cursive était encore mêlée de nombre de signes mérovingiens et lombards ; mais à partir de 820, on adopta les caractères carolingiens romains, qui différaient peu des caractères latins d’imprimerie actuellement employés. Les moines voulaient-ils confectionner une œuvre de prix, ils avaient recours à des encres de couleur spéciale, teintaient de pourpre le parchemin, doraient les lettres de l’Incipit et les agrémentaient de figures symboliques.

Pénétrons un moment dans ce quartier des copistes, une des fondations de l’abbé Gotzbert : que de mains de moines en mouvement ! Les uns apprêtent le parchemin, d’autres le règlent ; ceux-ci écrivent, ceux-là dorent, ornementent ou peignent les caractères à vignettes, d’autres collationnent le texte sur l’original ; une dernière équipe — ce sont les relieurs — s’occupe à fixer les manuscrits achevés dans d’épaisses planchettes de bois de chêne, incrustées de lamelles d’ivoire, de métal ou de cuir : Libro completo, saltat scriptor pede laeto ! « Son travail terminé, le transcripteur saute de joie ! »

Moines copistes travaillant dans un scriptorium au Moyen Âge
Moines copistes travaillant dans un scriptorium au Moyen Âge

Maint écolier de l’école abbatiale, qui ne mordait pas suffisamment aux belles-lettres, était mis à ce travail de copie auquel on employait aussi les Oblats, moines-enfants que la piété ou l’avarice de certaines familles vouaient au cloître, souvent dès le berceau ; toutefois, lorsqu’il s’agissait de livres importants, tel qu’un évangile ou un missel, la main du cénobite expérimenté était seule requise. On voit par quelques manuscrits de la bibliothèque de Saint-Gall que les moines s’exerçaient aussi à écrire sans le secours de l’encre, et tâchaient parfois, à l’aide d’un burin, de graver des lettres sur le parchemin.

Parmi les plus célèbres transcripteurs du couvent, on cite Sintram, Folkart, Waldo, Thiothart, Rifine, Wikran et Notker. Tant que, selon l’expression de l’un d’eux, un bénédictin a trois doigts disponibles, il doit tenir à honneur de copier. Tout le monde cisalpin admirait la « main » de Sintram, dont il reste entre autres ouvrages, à Saint-Gall, un Evangelium, avec des lettres d’or initiales, qui émerveillent tous les connaisseurs. Ce moine avait du reste tant copié, qu’il n’y a presque pas un cloître d’Allemagne qui ne possède un exemplaire de sa façon. Son émule en calligraphie était Folkart, l’auteur du psautier, dit le livre d’or de Saint-Gall.

 
 
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