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25 août 1825 : mort d'Esther Lelièvre, muse du poète pré-romantique Évariste de Parny

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25 août 1825 : mort d’Esther Lelièvre,
muse du poète pré-romantique
Évariste de Parny
(D’après « Dames Créoles. Anthologie des femmes illustres de La Réunion de 1663
à nos jours » (par Frédéric Mocadel) Tome 1 paru en 2005, « Causeries historiques
sur l’île de La Réunion » (par Gilles-François Crestien) paru en 1881,
« Critique littéraire sous le Premier Empire » (par Jean-François Boissonade)
Tome 2 paru en 1863, « 18° Latitude Sud : cahier de littérature
et d’art des pays de langue française de l’océan Indien » du 1er décembre 1926)
Publié / Mis à jour le mercredi 25 août 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 9 mn
 
 
 
Native de l’île de La Réunion, Esther Lelièvre y reçoit à l’âge de 13 ans l’instruction musicale dispensée par le harpiste émérite Évariste de Parny, né dans la même ville et de 8 ans son aîné : s’ensuit une passion amoureuse à laquelle l’interdit parental, sans doute d’ordre social plutôt que moral, met un terme : sous le nom d’Éléonore, Esther devient la muse du jeune homme qui, s’adonnant à une écriture poétique annonçant le romantisme, inspirera Chateaubriand et Lamartine tout en menant une carrière d’officier militaire

Esther Lelièvre naît à Saint-Paul le 7 juin 1761. Son père, Jean-François Lelièvre, officier de milice, et sa mère, Marie-Geneviève Gruchet, tous deux natifs de Saint-Paul, se marient dans cette ville en 1757. Le couple a huit enfants, et la famille Lelièvre est proche de la famille de Parny, le père d’Esther ayant longtemps servi comme capitaine de milice sous les ordres du major Paul de Forges de Parny, commandant du quartier de Saint-Paul et père d’Évariste de Parny.

En 1763, à l’âge de dix ans, Évariste de Parny quitte Saint-Paul avec deux de ses frères pour poursuivre des études en France. Au cours de son long voyage en mer sur le Condé, il se lie d’amitié avec un autre natif de l’île Bourbon, Antoine Bertin, et est placé au collège de Rennes pour y faire ses premières études, y ayant pour camarades et pour amis Savary, connu par ses voyages en Grèce et en Égypte, et le littérateur Ginguené. Il y fait de brillantes études, remportant en 1767 le prix de vers français et, à la suite de ce succès, montant de troisième en rhétorique. De ses années de collège, il ne conserve pas un agréable souvenir, à en juger par ces vers :

Tricentenaire du peuplement de l'île Bourbon (1665-1965). Timbre émis le 4 octobre 1965 dans la série Commémoratifs et divers. Dessin d'Albert Decaris

Tricentenaire du peuplement de l’île Bourbon (1665-1965). Timbre émis
le 4 octobre 1965 dans la série Commémoratifs et divers. Dessin d’Albert Decaris
Transplantés tous les deux sur le bord de la France
Le hasard nous unit dans l’un de ces cachots,
Où la férule en main, des enfileurs de mots
Nous montrent comme on parle et jamais comme on pense.

Né avec une âme tendre et mélancolique, il conçoit, à sa sortie du collège, la pensée d’entrer chez les frères de la Trappe, et va s’enfermer à Paris dans le séminaire de Saint-Firmin pour se préparer à cette vie de silence et d’abnégation.

La grâce n’opérant pas en lui, il quitte le cloître pour l’École militaire de Versailles. Il entre dans un régiment de dragons du roi et, cultivant la musique et faisant facilement des vers, fonde avec son ami Antoine ainsi que d’autres militaires, un club de poètes et de jeunes officiers, la Caserne, fréquenté par la colonie créole de la capitale. Insouciants aimant la bonne chère et les plaisirs les plus raffinés, les deux amis mènent joyeuse vie.

Par Antoine Bertin, nous connaissons en effet le genre de vie que mènent alors les associés de la Caserne, épicuriens aimables qui portent en écharpe le ruban gris et la grappe de raison couronnée de myrte, et dont Évariste lui-même avait été élu Chancelier : « Représentez-vous, dis-je, Madame, une douzaine de jeunes militaires dont le plus âgé ne compte pas encore cinq lustres, transportés la plupart d’un autre hémisphère, unis par la plus tendre amitié, passionnés pour tous les arts et pour tous les talents, faisant de la musique, griffonnant quelquefois des vers, paresseux, délicats et voluptueux par excellence... C’est là qu’aimant et buvant tour à tour, ils mettent en pratique les leçons d’Aristippe et d’Épicure. Enfin, Madame, qu’on appelle cette société charmante l’Ordre de la Caserne ou de Feuillancour, le titre n’y fait rien, la chose est tout. C’est toujours l’Ordre qui dispense le bonheur et les autres ne promettent que la gloire » (Voyage de Bourgogne par Évariste de Parny et Antoine Bertin).

Cependant qu’il est en service dans le corps d’élite de Louis XV, Les gendarmes de la garde du roi, Évariste est rappelé fin 1773 par son père et débarque à Saint-Paul le 26 janvier 1774, via l’île de France (actuelle île Maurice), après une absence de 11 ans. Le jeune homme est alors un compositeur et un joueur de harpe réputé, et Madame Lelièvre, veuve depuis 1772, lui demande de donner des leçons de musique à sa fille Esther.

Des trois sœurs Lelièvre, Esther, la cadette est la moins jolie, mais à treize ans, elle a déjà beaucoup de charme : plutôt grande, la taille fine, de grands yeux bleus très expressifs, une bouche sensuelle, un teint très blanc, un teint de blonde, très prisé au XVIIIe siècle. Évariste de Parny a vingt et un ans. Élancé, élégant, d’une politesse exquise, avec de beaux cheveux bruns bouclés, un profil voltairien, le jeune homme disciple du philosophe, a comme lui un esprit caustique et railleur, mais aussi un côté sensible, mélancolique et romantique qui le rattache à Chateaubriand et Lamartine.

Le professeur de musique s’éprend rapidement de son élève, et entre les jeunes gens naît une idylle qui se transforme en passion, le couple partageant secrètement ce bonheur pendant près de deux ans. Au sujet de cette période, il écrira plus tard :

Ô la plus belle des maîtresses !
Fuyons dans nos plaisirs la lumière et le bruit ;
Ne disons point au jour les secrets de la nuit ;
Aux regards inquiets dérobons nos caresses.
(Livre I, La discrétion)
Ô toi, qui fus mon écolière
En musique, et même en amour,
Viens dans mon paisible séjour
Exercer ton talent de plaire.
Viens voir ce qu’il m’en coûte à moi,
Pour avoir été trop bon maître.
Je serais mieux portant peut-être,
Si moins assidu près de toi,
Si moins empressé, moins fidèle,
Et moins tendre dans mes chansons,
J’avais ménagé des leçons
Où mon cœur mettait trop de zèle.
(Livre I, Le remède dangereux)
Quand je reverrai les attraits
Qu’effleura ma main caressante,
Ma voix amoureuse et touchante
Pourra murmurer des regrets ;
Et vous croirez alors entendre
Cette harpe qui sous mes doigts
Sut vous redire quelquefois
Ce que mon cœur savait m’apprendre.
(Livre I, Le revenant)

Cette passion se noue malgré la mère d’Esther et malgré sa vieille esclave qui surveille et contrarie Évariste :

L’amour heureux se trahit aisément.
Je crains pour toi les yeux d’une mère attentive ;
Je crains ce vieil Argus au cœur de diamant,
Dont la vertu brusque et rétive
Ne s’adoucit qu’à prix d’argent.
(Livre I, La discrétion)

Évariste envisage d’épouser Esther Lelièvre mais se heurte au refus de son père. Cette opposition peut s’expliquer par différentes raisons. Il y a d’abord la jeunesse d’Esther et celle d’Évariste qui n’a pas encore atteint la majorité requise de 25 ans, la situation matérielle incertaine du jeune homme encore au début de sa carrière militaire à Paris. D’autre part, remarié, le père d’Évariste gère les biens que son fils mineur a reçus de sa mère. Le mariage entraînerait l’émancipation de son fils, et pour le père la perte de la jouissance de ces biens. On peut aussi ajouter des raisons sociales, la famille de la jeune fille n’appartenant pas à l’élite de l’île, n’ayant ni titre ni fortune.

Évariste de Parny. Timbre émis le 10 novembre 2014 dans la série Personnages célèbres. Dessin d'Elsa Catelin d'après une oeuvre Jean-Baptiste Isabey

Évariste de Parny. Timbre émis le 10 novembre 2014 dans la série
Personnages célèbres. Dessin d’Elsa Catelin d’après une oeuvre Jean-Baptiste Isabey

Par respect filial, Évariste de Parny cède mais ne renonce pas à son amour et promet à Esther de l’épouser. Regrettant les tourbillons parisiens et obligé de rejoindre son régiment, il s’embarque le 15 janvier 1776 sur la Seine à destination de Lorient, après avoir dit adieu à Esther qu’il surnomme Éléonore :

Séjour triste, asile champêtre,
Qu’un charme embellit à mes yeux,
Je vous fuis, pour jamais peut-être !
Recevez mes derniers adieux.
En vous quittant, mon cœur soupire.
Ah ! plus de chansons, plus d’amours.
Éléonore !... Oui, pour toujours
Près de toi je suspens ma lyre.
(Livre III, Les adieux)

Évariste de Parny est en désamour avec son île natale ; il part déçu et amer : la perte d’Esther mais aussi la prise de conscience d’une réalité sociale qu’il rejette expliquent ses sentiments. Dès 1775 il écrivait à son ami Antoine Bertin : « Non, je ne saurais me plaire dans un pays où mes regards ne peuvent tomber que sur le spectacle de la servitude, où le bruit des fouets et des chaînes étourdit mon oreille et retentit dans mon cœur. Je ne vois que des tyrans et des esclaves, je ne vois pas mon semblable. On troque tous les jours un homme contre un cheval : il est impossible que je m’accoutume à une bizarrerie si révoltante... ils s’échappent quelquefois... enlèvent une pirogue et s’abandonnent sur les flots. Ils y laissent presque toujours la vie ; et c’est peut-être peu de chose, lorsqu’on a perdu la liberté... ». Ailleurs, il lui écrit : « Dans ce pays, le temps ne vole pas ; il se traîne, l’ennui lui a coupé les ailes. Le matin ressemble au soir, le soir ressemble au matin ; et je me couche avec la triste certitude que le jour qui suit sera semblable en tout au précédent ».

Évariste parti, madame Lelièvre, veuve avec huit enfants à charge, est pressée de marier ses filles. Loin de son amour à qui elle a promis fidélité, Esther se plie aux désirs de sa mère. À seize ans, le 21 juillet 1777, elle épouse à Saint-Paul Jean-Baptiste Canardelle, médecin des troupes, né à Port-Louis, à l’île de France.

En apprenant le mariage d’Esther, Évariste lui dédie l’élégie suivante :

C’en est donc fait ! par des tyrans cruels,
Malgré ses pleurs à l’autel entraînée,
Elle a subi le joug de l’hyménée.
Elle a détruit, par des nœuds solennels
Les nœuds secrets qui l’avaient enchaînée.
Et moi, longtemps exilé de ces lieux,
Pour adoucir cette absence cruelle,
Je me disais : Elle sera fidèle ;
J’en crois son cœur et nos derniers adieux.
Dans cet espoir, j’arrivais sans alarmes.
Je tressaillais, en arrêtant mes yeux
Sur le séjour qui cachait tant de charmes ;
Et le plaisir faisait couler mes larmes.
Je payai cher ce plaisir imposteur !
Prêt à voler aux pieds de mon amante,
Dans un billet tracé par l’inconstante
Je lis son crime, et je lis mon malheur.
Un coup de foudre eût été moins terrible.
Éléonore ! ô dieux ! est-il possible !
Il est donc fait et prononcé par toi
L’affreux serment de n’être plus à moi ?
Éléonore autrefois si timide,
Éléonore aujourd’hui si perfide,
De tant de soins voilà donc le retour !
Voilà le prix d’un si constant amour !
(Livre IV, Élégie II)

Un an après ce mariage, en 1778, Évariste de Parny publie ses élégies sous le titre Poésies érotiques. À travers ses poèmes il évoque son amour pour Esther Lelièvre appelée Éléonore mais aussi la douleur de la séparation et les souvenirs qu’il ne peut oublier. Devenue sa muse, Esther inspire toutes ses élégies, et fait d’Évariste de Parny un grand poète salué par Voltaire qui, lors d’une soirée théâtrale à l’académie française, l’embrasse en lui disant : « Mon cher Tibulle » (poète latin, 50-19 av. J.-C.).

Poète du XVIle siècle par sa formation littéraire classique et son style, Évariste Parny influencera les grands auteurs du XIXe, Chateaubriand mais aussi Lamartine, et certains de ses vers auraient pu inspirer les Nuits d’Alfred de Musset :

Le chagrin dévorant a flétri ma jeunesse.
Je suis mort au plaisir, et mort à la tendresse.
Hélas ! j’ai trop aimé ; dans mon cœur épuisé
Le sentiment ne peut renaître.
(...)
L’amour n’est plus, l’amour est éteint pour la vie ;
Il laisse un vide affreux dans mon âme affaiblie ;
Et la place qu’il occupait
Ne peut jamais être remplie.
(Livre IV, Élégie XIV)

À Paris, Évariste de Parny est promu capitaine de dragons. Après la mort de son père, il revient à l’île Bourbon pour régler les problèmes de succession entre ses 5 frères et ses 2 sœurs. Il débarque en juin 1784... Esther et sa famille ont quitté Saint-Paul pour l’île de France quelques mois plus tôt. Nommé aide de camp du vicomte de Souillac, commandant des forces françaises de l’océan Indien, basé à Port-Louis, Évariste de Parny effectue de nombreux séjours à l’île de France. En 1785 il accompagne le gouverneur de Souillac à Pondichéry.

Aux Indes il écrit les Chansons madécasses, dont trois seront mises en musique par Ravel en 1927, longtemps après la mort du poète. Il condamne, une fois encore, avec vigueur, le commerce de traite, alors très florissant. De retour à l’île Bourbon, il fréquente Grâce Vally, mariée à un officier de marine, Antoine Fortin.

Poésies érotiques, par Évariste de Parny. Édition de 1958 parue aux Éditions de l'Isle, avec gravures originales de J.-A. Bresval

Poésies érotiques, par Évariste de Parny. Édition de 1958 parue aux Éditions de l’Isle,
avec gravures originales de J.-A. Bresval

À l’île de France, le 12 avril 1786, Éléonore met au monde son quatrième enfant, Marcellin. Du 14 avril au 5 mai 1786, Évariste est à Port-Louis, et sait qu’Esther habite cette ville. Il ne l’a plus revue depuis dix ans. Envoyé par le vicomte de Souillac en mission auprès du ministre de la marine et des colonies, le maréchal de Castres, et auprès de l’ambassadeur de France à Londres, il s’apprête à quitter l’île de France, cependant qu’Esther, au chevet de son mari gravement malade, apprend qu’Évariste risque de partir pour longtemps.

Par l’intermédiaire de sa domestique, qu’Évariste connaît, elle envoie un message disant à la fois son chagrin devant la maladie de son époux et la tristesse devant son départ. Elle le prie de lui rendre visite. Selon des confidences faites ultérieurement à son ami Chateaubriand, Évariste hésite alors un court instant, mais chargé d’une importante mission, fait passer ses devoirs avant ses sentiments et se contente d’envoyer à Esther quelques paroles d’adieu, avant d’embarquer sur le Fox qui lève l’ancre pour Plymouth, en Angleterre. Le mari d’Esther meurt 14 jours plus tard, le 20 mai 1786.

Cette rupture définitive d’avec Esther se traduit par plusieurs élégies d’Évariste de Parny, insérées au sein du Livre IV (ce quatrième livre fut ajouté en 1787 aux Poésies érotiques parues en 1778) :

J’ai tout perdu ; délire, jouissance,
Transports brûlants, paisible volupté,
Douces erreurs, consolante espérance,
J’ai tout perdu ; l’amour seul est resté.
(Livre IV, Élégie XI)
Il est temps, mon Éléonore,
De mettre un terme à nos erreurs ;
Il est temps d’arrêter les pleurs
Que l’amour nous dérobe encore.
Il disparaît l’âge si doux,
L’âge brillant de la folie ;
Lorsque tout change autour de nous,
Changeons, ô mon unique amie !
D’un bonheur qui fuit sans retour
Cessons de rappeler l’image ;
Et des pertes du tendre amour
Que l’amitié nous dédommage.
Je quitte enfin ces tristes lieux
Où me ramena l’espérance,
Et l’océan entre nous deux
Va mettre un intervalle immense.
Il faut même qu’à mes adieux
Succède une éternelle absence ;
Le devoir m’en fait une loi.
Sur mon destin sois plus tranquille ;
Mon nom passera jusqu’à toi :
Quel que soit mon nouvel asile,
Le tien parviendra jusqu’à moi.
Trop heureux, si tu vis heureuse,
À cette absence douloureuse
Mon cœur pourra s’accoutumer.
Mais ton image va me suivre ;
Et si je cesse de t’aimer,
Crois que j’aurai cessé de vivre.
(Livre IV, Élégie XIII)

Esther est veuve à 25 ans avec quatre enfants. Sachant Évariste célibataire, elle lui envoie une lettre lui demandant de renouer avec elle, « voulant passer avec lui les derniers jours qui lui seraient comptés sur la terre » (Poésies inédites d’Évariste Parny, précédées d’une Notice sur sa vie et ses ouvrages par Pierre-François Tissot, 1827). En reconnaissant l’écriture d’Esther, Évariste est si ému qu’il ne peut ouvrir la lettre. Bien que touché par cette proposition, il ne donne pas suite. Resté longtemps amoureux de la jeune femme après son mariage, il a « d’un amour sans espérance gardé six ans le tourment » et craint sans doute de ne plus retrouver « son écolière ». Tout passe, tout coule, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.

Quoi qu’ait écrit Tissot au sujet d’Esther Lelièvre, il semble qu’elle était peu jolie, ainsi que l’affirmèrent ceux qui la connurent à l’île Bourbon ; mais l’amour sensuel qu’elle avait su inspirer à Évariste l’avait si complètement subjugué qu’elle lui parut toujours la plus belle d’entre toutes. Ce ne sera qu’après de longues années, quand sa passion pour elle se sera apaisée, que Parny, revenu de son rêve, pourra dire à un ami, en parlant du mariage d’Esther : « Sans ce petit incident, je ne sais où je me serais arrêté comme poète ! »

Après deux ans de veuvage, à Port-Louis, Esther épouse François Ruellan, chirurgien major des gardes nationales, confrère de son premier mari. Ils reviennent tous deux à l’île Bourbon avec les quatre enfants, en janvier 1790. Quatre autres enfants naissent à Saint-Paul.

En août 1786 Evariste est de nouveau à Paris et à Versailles, bien en cour, et fréquente le proche entourage de la reine Marie-Antoinette et de la princesse de Lamballe dans le cadre agreste du petit Trianon. Il retrouve son ami Antoine Bertin, ses cousines, les sœurs Sentuary — ces dernières étaient aussi natives de La Réunion et furent les muses de poètes, parmi lesquels Antoine Bertin. Mais l’horizon s’assombrit. En 1787, il perd son frère très influent à la cour de Versailles. Le nouveau ministre de Louis XVI, Loménie de Brienne, réduisant les dépenses militaires, le régiment d’Évariste de Parny est dissout en 1788.

Il vivote alors avec la petite fortune héritée de sa famille et repense avec nostalgie aux belles années, à son île natale. En 1788, il écrit à sa sœur : « ... plût à Dieu que je n’eusse jamais quitter mon rocher de Bourbon. J’en serais plus tranquille et plus heureux, et le point important en ce monde, c’est d’être heureux. Je me trouve jeté à cinq mille lieues de ma famille, loin de mes amis, car les amis de Paris ne méritent guère ce nom. Je vis dans la gêne et les privations. Cette existence me pèse au-delà de toute expression ; aussi je sollicite toujours de l’emploi aux îles, mais les circonstances sont moins favorables que jamais ».

Page extraite des OEuvres complètes du Chevalier de Parny. Éditeur Hardouin (1788)

Page extraite des Œuvres complètes du Chevalier de Parny. Éditeur Hardouin (1788)

La Révolution française oblige Évariste de Parny à cesser toute activité littéraire, activité nécessaire pour assurer les ressources complémentaires indispensables. Il envisage un retour à l’île Bourbon : « Je repasserai aux îles ; je m’y établirai maître d’école, j’enseignerai l’arithmétique, la géographie et la littérature... Je ne parle pas de la musique ni de la harpe, car je les ai abandonnées depuis longtemps comme nuisibles à ma santé ». Il est obligé de quitter Paris pour échapper à l’emprisonnement et à la guillotine.

En 1800, Esther et sa famille s’installent en Bretagne, région natale de son mari, François Ruellan. Le 16 décembre 1802, à Paris, Évariste épouse Grâce Vally, divorcée d’Antoine Fortin. Il a rencontré la jeune femme, native de Saint-André, lors de son dernier séjour à l’île Bourbon. À l’amour passion d’Esther succède une union placée sous le signe de l’affection. Candidat à l’Institut depuis 1799, il n ’y est élu, classe de Littérature, qu’en 1803, en remplacement de Devaine, mais sa vie quotidienne confrontée à la maladie et aux problèmes matériels reste précaire. Il meurt d’une rupture d’anévrisme le 5 décembre 1814, à l’âge de 61 ans, et est inhumé au cimetière du Père-Lachaise.

En 1808, Esther se retrouve veuve pour la seconde fois. Le beau-fils d’Évariste la rencontre en Bretagne en 1810 : à 51 ans, elle est encore belle, ses grands yeux bleus sont toujours plein de douceur et de charme, et le souvenir du poète éveille en elle une grande émotion. Elle meurt à Dinan, le 25 août 1825 à l’âge de 64 ans.

 
 
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