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Épée d'académicien : accessoire forçant le respect mais un brin guerrier ?

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Coutumes, Traditions
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Épée d’académicien : accessoire
forçant le respect mais un brin guerrier ?
(D’après « Annales politiques et littéraires » paru en 1911,
« Le Figaro » du 16 juin 2011 et l’Institut de France)
Publié / Mis à jour le mercredi 19 janvier 2022, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 4 mn
 
 
 
Si, à la différence du costume d’académicien, aucun texte ne rend l’épée obligatoire, elle constitue, en tant qu’attribut personnel du nouvel académicien, un objet à forte charge symbolique, encourageant l’attitude noble et le geste étudié. Mais qui sait si, considérée comme le vestige d’une époque barbare, elle ne sera pas un jour prohibée, au même titre que pourrait l’être le célèbre glaive de Dame Justice ?

L’épée est certainement, de toute la tenue, l’accessoire qui attire le plus l’attention des petits garçons assistant à la métamorphose de leur papa ou de leur oncle, écrit en 1911 le romancier, poète et journaliste français Miguel Zamacoïs dans un article des Annales politiques et littéraires. J’avoue que, si j’étais là, c’est aussi l’épée qui m’intriguerait ; c’est elle que je regarderais de tout près et que je voudrais toucher, ajoute notre auteur.

Quoi qu’on dise, une épée, c’est toujours impressionnant, poursuit-il ; on a beau savoir que cette épée ne sert pas, cela, n’empêche pas, puisqu’elle a une poignée et une lame, qu’elle pourrait servir si une occasion extraordinaire se présentait — si, par exemple, un jour de séance publique, le palais Mazarin était attaqué par l’Académie des Goncourt. Et cette éventualité suffit pour la faire profiter, cette épée, d’une sorte de respectueuse et admirative déférence.

L'habit vert fut institué en 1801 par le Premier consul Bonaparte, le port de l'épée n'étant pas inscrit dans les textes

L’habit vert fut institué en 1801 par le Premier consul Bonaparte,
le port de l’épée n’étant pas inscrit dans les textes

On ne niera pas que c’est à l’épée que le costume d’académicien doit une grande partie de son chic. Elle lui communique un je ne sais quoi de militaire, de chevaleresque, de romantique, dont il a besoin pour compenser la banalité et le prosaïsme des pardessus, des foulards et des cache-nez. C’est grâce à l’épée que le costume d’académicien n’est pas que l’uniforme d’un homme de bureau de génie. L’épée l’oblige à ressembler vaguement à une tenue de général, d’amiral, ou, tout au moins, de préfet ou de diplomate. Malgré lui, et parce qu’il a une épée au côté, l’académicien, lorsqu’il a naturellement une allure bourgeoise, bombe le torse et cambre la jambe dans la mesure où sa structure et son âge le lui permettent.

L’épée est le stimulant de l’attitude ; c’est l’encouragement au geste plus étudié et plus noble ; elle empêche celui qui la porte de mettre la main dans sa poche, au moins du côté gauche ; elle lui donne même l’idée de mettre la main sur la poignée, ce qui est le geste complémentaire d’une démarche digne.

Mon regret, confie Miguel Zamacoïs, c’est de ne pas connaître assez intimement un académicien pour lui demander de jouer avec son épée. J’aimerais à la tirer du fourreau et à essayer sur mon doigt la pointe et le tranchant. Car les épées des académiciens, n’en déplaise aux mauvais plaisants, ont parfaitement une lame attenant à la poignée de nacre, laquelle n’est pas du tout vissée simplement sur un fourreau vide. La lame existe ; seulement, cette lame ne pique ni ne coupe, n’étant vouée à aucune besogne homicide, Dieu merci !

Pourquoi les académiciens ont-ils une épée ? s’interroge notre romancier. C’est, apparemment, parce qu’à l’époque où fut adopté leur costume il n’était pas d’uniforme officiel sans épée. On ne conçoit pas d’autre explication, à moins que cette arme n’ait un sens symbolique et ne signifie que l’élite intellectuelle littéraire et scientifique de la France doit pourfendre sur la route du progrès, avec l’épée de la pensée, l’obscurantisme malfaisant ! Joli sujet, d’ailleurs, pour un panneau décoratif.

Les membres de l’Académie fondée en 1635 appartenant à la maison du roi et dotés du droit de harangue, étaient autorisés à porter une épée d’ordonnance à poignée dorée. La Révolution sonna le glas de l’arme, mais très vite les académiciens demandèrent à avoir un signe distinctif susceptible de les distinguer lors des séances publiques. Une décision du 8 thermidor an VIII (27 juillet 1800) réduisit le signe distinctif des membres de l’Institut à une canne de la mesure de un mètre, surmontée d’un pommeau portant la médaille « de l’Institut national ». En 1801 fut institué l’habit vert, avant que l’Empire ne remette finalement les habitudes de cour au goût du jour et l’arme avec.

Épée remise à un historien de l'antiquité romaine

Épée remise à un historien de l’antiquité romaine

La plus ancienne épée d’académicien personnalisée est celle du peintre de marine Horace Vernet, élu à l’Académie des beaux-arts en 1826. Elle porte sur la garde une palette, des pinceaux et les initiales H. V. entourées d’attributs guerriers et d’un profil d’homme fumant la pipe.

La coutume a voulu au XXe siècle que l’épée fût offerte par les amis et admirateurs du nouvel élu, personnes physiques ou morales. Au lieu d’une vulgaire épée, elle devient œuvre d’art à laquelle les soins des plus grands orfèvres sont consacrés, les moindres parties rappelant un des titres de l’éminent possesseur. Symboles, hommages, charades, l’épée est pensée du pommeau à la bouterolle. D’autres préfèrent l’anonymat de l’histoire, ou doivent s’en contenter quand le Comité de l’épée n’a pas réuni des fonds suffisants pour envisager le financement d’une œuvre originale.

Miguel Zamacoïs note en 1911 qu’il est probable qu’un jour prochain l’épée à poignée de nacre, qui fait si bien sur la bande des lauriers verts brodés, sera sacrifiée, avance notre journaliste. Il se trouvera bientôt quelqu’un pour trouver à cet accessoire inoffensif une signification grave. On l’accusera d’être un vestige d’une époque de barbarie, de tyrannie et de militarisme, ou bien un esprit positif et pratique demandera à quoi ça sert, et comme, en effet, cela ne sert à rien, pas même à ouvrir les lettres, un décret somptuaire supprimera l’épée qui mettait, c’est le cas de le dire, un je ne sais quoi de piquant dans la tenue de nos Immortels.

Au fait, pourquoi laisserait-on une arme entre les mains de grands littérateurs, de grands savants et de grands artistes, qui n’en ont que faire ? s’interroge-t-il. On l’enlève bien à la personnalité symbolique dont c’était un des deux attributs, j’ai nommé la Justice, aussi célèbre par son glaive que par ses balances.

Le glaive est, à présent, un attribut sans signification et même un peu ridicule, avance, un brin provocateur, notre chroniqueur. Il importe que les peintres et les sculpteurs, ordinairement chargés des commandes de l’État soient prévenus ; ils éviteront de présenter des projets démodés : la grosse dame à forte stature tenant immanquablement dans la senestre une balance à peser les produits pharmaceutiques et, dans la dextre, un terrible couteau à deux tranchants. Le couteau à deux tranchants est devenu un anachronisme et suffirait, depuis la victoire des idées de clémence et d’indulgence quand même, à empêcher la commande.

Épée remise à un médiéviste, spécialiste de l'histoire de la pensée au Moyen Âge

Épée remise à un médiéviste, spécialiste de l’histoire de la pensée au Moyen Âge

Une effigie de la Justice peut encore avoir dans la senestre une balance, pourvu que l’on ne fasse pas la gaffe de lui donner deux poids et deux mesures ; mais, sous aucun prétexte, elle ne doit tenir un glaive dans la dextre.

Le glaive sera remplacé dorénavant, dans tous les portraits de la Justice déjà placés dans les prétoires de France ou dans tous ceux ultérieurement commandés, soit par un petit bateau symbolisant la commutation de la peine de mort en relégation aux colonies et le petit voyage d’agrément auquel cette commutation donne droit, soit en un petit cottage coquet figurant la mignonne villa dont tout assassin peut, à présent, espérer devenir propriétaire au bout de quelques mois, pour peu qu’il ait l’hypocrisie facile, affirme qu’il ne l’a pas fait exprès, et s’applique dans l’exécution des menus travaux à peine forcés qui lui sont confiés.

Laissons passer le temps, et, un jour, l’attribut symbolique que nos artistes devront mettre dans la main droite de la Justice, ce sera la palme du martyre, destinée aux pauvres criminels, victimes innocentes des mauvais instincts, des passions, des fureurs impulsives, des réflexes destructeurs et des atavismes sanguinaires.

 
 
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