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Lieux d'histoire : ville de Marseille (Bouches-du-Rhône)

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Lieux d’Histoire
Origine, histoire de nos villes, villages, bourgs, régions, châteaux, chapelles, moulins, abbayes, églises. Richesses historiques de France
Marseille (Bouches-du-Rhône)
(D’après un article paru en 1848)
Publié / Mis à jour le samedi 16 janvier 2010, par LA RÉDACTION
 
 
Temps de lecture estimé : 14 mn
 

Marseille, une cité qui a été fondée avant Rome elle-même ; qui a mêlé le sang grec au sang des Ligures, premiers habitants des rivages de la Provence ; qui a porté aux limites du monde antique l’activité et la gloire du génie industrieux des Phocéens ; qui a nourri une république assez forte pour disputer à Cartharge l’empire de la Méditerranée, et assez sage pour être un modèle envié des Romains eux-mêmes ; qui a été renouvelée ensuite par l’occupation des Romains ; qui a abrité leur marine dans ses ports, leurs soldats dans sa citadelle, leurs patriciens dans ses campagnes ; qui, au milieu de l’invasion des Barbares, a maintenu les derniers rapports de la Gaule avec le commerce de l’Orient, avec l’empire de Constantinople ; qui, sous les Mérovingiens, a été l’unique port que les Francs ont entretenu et se sont partagé sur la Méditerranée ; qui, dans les crises d’où la dynastie carlovingienne est sortie et où elle s’est engloutie de nouveau, a été le but presque continuel des attaques des Sarrasins ; qui vit bientôt s’élever dans le royaume de Provence le premier état démembré de l’empire de Charlemagne ;

Une cité qui dès lors tour à tour donna ses rois à l’Italie et reçut ses comtes de l’Espagne ; qui, en portant les croisés au tombeau du Christ, rouvrit au négoce français le chemin du Levant ; qui avec son antique richesse retrouva le goût de son ancienne liberté, et se modela sur les formes politiques des villes italiennes pour tâcher de rivaliser avec leur fortune ; qui faillit trouver dans la Ligue l’occasion de consacrer son indépendance ; qui ne perdit alors l’autonomie qu’au moment où la France, parvenue au plus haut point de sa grandeur allait lui en communiquer tous les bienfaits ; qui, pendant les deux siècles où la France a eu la prépondérance dans l’empire puissant des Turcs, a été l’intermédiaire de toutes nos relations avec lui ; qui, lorsque cet empire est déchu, en a vu de nouveaux s’élever sur les côtes d’Afrique comme pour accroître le mouvement de ses affaires : d’une part l’Égypte érigée en royaume par un prince empressé à échanger avec nous toutes les richesses du Nil, de l’autre l’Algérie devenue française, et attirant, à travers la Provence, les productions et les capitaux de notre pays, en attendant qu’elle lui renvoie par le même canal les fruits d’une colonie féconde et sûre ; une cité qui a ainsi reçu le mélange de toutes les races, qui a marqué dans toutes les révolutions, qui voit chaque jour arriver dans ses fabriques, dans ses entrepôts, sur son port, toutes les créations de la nature ou de l’industrie ; une cité pareille ne peut pas laisser enfermer en quelques phrases toute son histoire et tout son commerce.

PLAN DE LA VILLE
La ville primitive, fondée par les Phocéens, était assise tout entière sur cette crête où est reléguée la partie la plus pauvre de la population. Au lieu de se développer sur tous les côtés du port, qui est le centre même de la cité, elle s’étendait au nord de ce port jusqu’à un autre port plus petit, qui s’appelait le port des Gaulois, portus Gallicus, et qui, abandonné pendant le Moyen Age, se relève sous le nom de port de la Joliette. Il paraît que lorsque les Romains se rendirent maîtres de la ville, ils se réservèrent, d’une part, pour les logements de leurs soldats, la citadelle qui dominait le grand port ; de l’autre, à l’usage particulier de la marine, le petit port placé en arrière du premier.

Marseille au commencement du XVIIe siècle

Marseille au commencement du XVIIe siècle

Même sur cet emplacement resserré, il y avait au Moyen Age deux villes séparées, vivant sous des lois et des puissances distinctes. La ville haute comprenait la citadelle romaine, qui avait vue sur le grand port ; de là, en suivant la mer qui battait et qui emportait son rivage élevé, elle gagnait les fortifications qui devaient protéger le petit port ; elle couvrait le rivage de ce port et tenait le port lui-même sous sa juridiction. C’était la ville épiscopale, soumise à l’évêque qui avait succédé à l’autorité romaine, et qui longtemps entretint l’espoir de l’y faire reparaître par ses relations avec l’empereur de Constantinople.

La ville basse, s’étendant au midi tout au long du grand port, et au levant ouvrant directement sur la campagne, avait conservé tout le mouvement des affaires de la terre et de la mer ; elle obéissait à un délégué du comte de Provence et s’appelait pour cette raison la ville comtale. Les deux villes étaient séparées l’une de l’autre par des murs ; le parallélogramme à peu près régulier qu’elles formaient était du reste défendu par d’épais remparts, même du côté du grand port, où des ouvertures pratiquées dans la muraille, et qui ont laissé le nom de grottes à quelques rues adjacentes, donnaient passage aux marchandises transportées du port dans les marchés intérieurs.

Indépendamment de ces deux villes, une troisième ville se forma peu à peu autour de l’abbaye de Saint-Victor, qui, placée en face de l’ancienne citadelle romaine, gardait la rive méridionale du grand port. La puissante abbaye étendit son patronage sur les campagnes environnantes, sur les églises qu’on y avait bâties, sur les hameaux qui se groupaient autour de ces édifices. Parmi les principaux oratoires ainsi dispersés dans les champs, il faut nommer, après la chapelle de Notre-Dame de la Garde, qui de bonne heure fut changée en forteresse, la citadelle de Saint-Ferréol et le cimetière de Paradis, qui ont donné leurs noms aux plus beaux quartiers de la cité.

Ce qui n’était que les faubourgs est devenu le séjour privilégié du commerce et de la fortune ; l’ancienne ville abbatiale est aujourd’hui la ville élégante. Elle forme sur la rive méridionale du grand port, comme un contre-poids aux deux villes antiques, qui sont placées sur la rive septentrionale. La ville qui s’élève sur les fondements grecs, et celle qu’on a bâtie sur les terres abbatiales, sont ainsi séparées par le port, mais elles se rejoignent au-dessus de lui ; là elles viennent aboutir dans une ville différente encore des deux autres et qui leur sert de lien et de couronnement commun. Celle-ci, véritable clef de voûte de la cité, a été, pour cette raison même, l’objet particulier des pensées de tous les artistes qui ont songé à ordonner, à rattacher et à retenir ensemble toutes les parties anciennes et nouvelles du plan général. Dans cette vue plusieurs projets ont été conçus.

Il paraît que Vauban avait eu l’idée d’envelopper les deux premières villes par un grand canal qui aurait pris l’eau de la mer en avant de la ville grecque, et qui l’aurait rendue à la mer au delà de la ville abbatiale. Cette voie d’eau, qui, au milieu, aurait communiqué avec l’extrémité intérieure du port, et qui aurait servi à en emporter les marchandises dans toutes les directions, serait devenue l’axe commun des deux premières villes qu’il aurait entourées, et d’une troisième ville établie sur sa berge supérieure pour tout couronner. On a mis à exécution le plan de Puget (voir article sur notre site), architecte illustre autant que grand sculpteur, et qui conçut, sur la fin de ses jours, la noble ambition de renouveler la face de sa ville natale.

Rue du Cimetière à Marseille, au XIXe siècle

Rue du Cimetière
à Marseille, au XIXe siècle

Là où Vauban proposait de creuser un canal, Puget proposa d’établir une voie de terre pour la grande circulation. Cette voie, commençant à l’issue même de la route d’Aix, devait être inaugurée par un arc de triomphe construit sur une place ronde et élevée d’où on pouvait dominer toute la ville, descendre ensuite et courir en droite ligne depuis l’entrée de la ville grecque jusqu’à la source de la ville abbatiale, en s’élargissant à leur rencontre commune de manière à former, dans le centre, un cours traversé là par deux voies opposées, l’une destinée à jeter sur le port tout ce que le mouvement des affaires entraînait, l’autre à verser le flot des promeneurs et des oisifs sur les allées percées au milieu de la ville supérieure. Ce plan plus noble, mais moins original et moins utile que celui de Vauban, a donné à Marseille, par ses longues et larges ouvertures, par le peuple immense qu’il permet de surprendre d’un même regard à la fois au milieu de ses affaires et de ses plaisirs, je ne sais quel air de gaieté, d’abondance et de vie qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

Marseille ressemble à une balance harmonieusement pondérée, dont le port formerait l’arbre, dont la ville grecque et la ville abbatiale formeraient les deux plateaux semblables, dont la grande ligne du Cours formerait le fléau, et dont enfin la ville supérieure serait la couronne. Mais on fait de grands travaux qui pourraient déranger ce sage équilibre si on ne veillait à leur juste distribution. Pendant l’époque de la restauration, la ville supérieure est celle qui paraissait obtenir le plus de développements ; on avait essayé d’y jeter toutes les promenades.

Mais le luxe croissant toujours, et les voitures se multipliant dans la ville, on a été obligé de chercher ailleurs un espace plus étendu et plus uni où elles pussent prendre carrière. On s’est souvenu alors du plan de Vauban, et sur la ligne par laquelle il avait voulu conduire à la mer son grand canal, on a formé, sous le nom de Prado, de longues allées, faisant suite au prolongement du Cours, et enveloppant l’ancienne ville abbatiale en l’étendant. Ç’a été pour les quartiers assis sur l’emplacement de cette ville abbatiale le motif d’un accroissement très considérable.

Pendant ce temps, on commençait dans l’ancienne ville grecque des constructions gigantesques destinées à en doubler aussi l’importance. Le petit port, connu des anciens sous le nom de port gaulois, et au Moyen Age sous celui de port épiscopal, avait peu à peu disparu par le double effet des envahissements de la mer qui en a emporté les rives, et de l’incurie des hommes qui, n’ayant plus à s’en servir, en avaient laissé combler le bassin. Le grand port, partagé au Moyen Age entre la ville comtale et la ville abbatiale qui en gardaient les deux rivages, ne suffisant plus pour contenir tous les navires qui s’y rendent de tous les points du monde, le gouvernement a songé à rétablir par de vastes digues l’enceinte détruite du port secondaire que le peuple appelle le port de la Joliette.

Ce port, qui communiquera au port principal par un canal placé en avant même de la ville grecque, amènera au pied de la ville primitive un immense mouvement de charrois, de marchandises et de négociations ; il y développera nécessairement des quartiers nouveaux qui rappelleront la vie de la cité là même ou elle a commencé. La ville grecque est à la fois l’atelier, le chantier et l’entrepôt de la cité ; c’est là que le peuple travaille et fourmille. La ville abbatiale est la bourse et le bazar ; c’est là que les négociants traitent les affaires du monde et en exposent les produits dans des magasins spacieux et élégants. La troisième ville est destinée à devenir comme le forum des deux autres ; là il faut jeter les établissements qui doivent donner aux contemporains et transmettre à la postérité une image imposante et durable de la civilisation, de l’intelligence et du luxe de cette belle cité. Déjà on y fait aboutir deux immenses lignes de constructions qui marqueront à jamais la puissance et le génie audacieux de notre âge.

D’une part, le chemin de fer y versera, par un débarcadère digne sans doute du faste des Marseillais, les populations qui de toutes les parties de la France et de l’Occident viendront chercher leur port, leurs comptoirs ou leurs plaisirs. De l’autre, le canal que Marseille a fait construire à grands frais, qui va chercher les eaux de la Durance, qui les amène à travers un immense espace marqué par des monuments admirables, pourra les épancher dans un de ces bassins dont Rome offre tant d’exemples et qui font écumer tout un fleuve aux yeux ravis de la multitude. On verra figurer au centre même du forum de la ville la cathédrale qui, délabrée aujourd’hui et enveloppée sur le bord de la mer par le tumulte du port nouveau, va être reconstruite dans un emplacement choisi. Non loin du temple de la religion, on en élèvera un au savoir. Un hôtel sera bâti pour recevoir la Faculté des sciences.

L’ABBAYE DE SAINT-VICTOR
La tradition qui faisait instituer l’église chrétienne de Marseille par Lazare, l’ami du Christ, le frère de Marthe et de Marie, est si peu fondée qu’il est avéré que la ville entière, demeurée païenne, au milieu des grandes occupations de son commerce, jusqu’au règne de Dioclétien, mit en pièces en l’année 303 le corps d’un capitaine romain nommé Victor récemment initié au christianisme. Un siècle après sa mort, l’abbaye qui porte le nom de ce premier martyr marseillais fut érigée par un homme dont l’histoire se lie à toutes les grandes questions du christianisme primitif. Cassien, dont on ignore la naissance, avait passé sa jeunesse en Orient ; il avait d’abord médité en Palestine dans le monastère de Bethléem ; il s’était rendu ensuite à Constantinople où il avait reçu les instructions de saint Jean-Chrysostôme ; il séjourna plus tard à Rome.

Vue de l'église de Saint-Victor. Aquarelle de Meunier, 1791.

Vue de l’église de Saint-Victor.
Aquarelle de Meunier, 1791.

Après avoir assisté, dans tous ces grands centres de la chrétienté, aux disputes que soulevaient les matières de la grâce, il resta assez fortement imbu des principes de Pélage, qui enseignait que par les seules forces de son âme et de son esprit l’homme peut arriver au salut. Il apporta ces opinions à Marseille, où il se retira, sur la fin de ses jours le premier sans doute il agita en France les questions qui par la controverse de Port-Royal et des jésuites, troublèrent profondément notre pays au siècle de Louis XIV.

Il eut un succès qui tient au prodige. Sur les rochers, sous les bois de pins où il se faisait entendre, les populations accouraient autour de lui pour se soumettre à sa direction. Il fonda pour ses innombrables disciples deux monastères. Le premier, consacré aux hommes, fut assis sur les grottes où quelques amis de saint Victor avaient recueilli ses restes au siècle précédent ; il s’éleva ainsi en 410, hors de la ville, au delà du port, au penchant des coteaux qui garantissaient ce bassin des vents du midi. Le second, destiné aux femmes, et placé sous l’invocation de saint Sauveur, occupa, à une époque qu’il est plus difficile de fixer, en face du premier, au dedans de la ville sur la rive septentrionale du port, une partie de la forteresse délaissée par les soldats romains, antiques ruines dont une autre partie voisine servit de résidence du vivant de Charlemagne, à l’évêque Babon et a retenu son nom. On trouve encore sous terre, en cherchant bien dans ce quartier, de vastes salles et de grands corridors de construction romaine, qu’on appelle les caves de Saint-Sauveur, qui appartenaient sans aucun doute au couvent, et avant lui à la forteresse, débris unique et trop peu connu à Marseille même de l’ancienne cité.

L’abbaye de Saint-Victor a eu une très grande célébrité dans le Moyen Age. Comme l’abbaye de Lérins, comme l’église d’Arles et l’église de Lyon, elle tint longtemps aux traditions orientales et demeura sinon hostile au moins étrangère au mouvement de l’Église de Rome. Aussi n’obtint-elle qu’assez tard les immunités que Rome et les princes soumis à ses lois accordaient volontiers aux autres couvents. L’abbaye de femmes que Cassien avait fondée reçut, par exemple, l’immunité dès 596, de la main même du pape saint Grégoire le Grand, qui l’exempta alors de la juridiction temporelle de l’évêque.

Ce fut seulement deux siècles après, en 790, que Charlemagne exempta le monastère de Saint-Victor de la juridiction des juges ordinaires. La protection accordée par ce monastère aux vaisseaux qui venaient s’abriter aux pieds de ses murailles, a considérablement contribué à entretenir la vie du port dont il partageait les revenus avec les magistrats de la ville basse.

On s’accorde à croire que vers la fin du neuvième siècle, sous le règne des petits-fils de Charlemagne, les Sarrasins, ayant envahi de nouveau, la Provence, détruisirent les fondations religieuses que Cassien avait instituées hors de la ville de Marseille. On pense que c’est alors, vers 870, qu’après le martyre de sainte Eusébie, les femmes cassianites furent transportées dans l’intérieur de la ville, dans quelques salles désertes de l’ancienne forteresse qui prirent à cette époque le nom de monastère de Saint-Sauveur. L’abbaye de Saint-Victor tarda plus longtemps de se relever. Ce n’est que cent ans après, à la fin du dixième siècle, vers 965, que le premier des vicomtes de Marseille, Guillaume Ier secondé par son frère Honoré II, évêque de la ville, entreprit de rétablir l’illustre monastère. On pense toutefois que la consécration n’en fut faite qu’en 1040 par le pape Benoît IX.

Vue de l'église de Saint-Victor. Dessin de Jorand, 1826.

Vue de l’église de Saint-Victor.
Dessin de Jorand, 1826.

Encore semble-t-il que le bâtiment, demeuré imparfait, fut repris en 1200, et terminé seulement en 1279. Mais même cette mauvaise maçonnerie croulait déjà au siècle suivant, lorsque le pape Urbain V, qui avait été abbé de Saint-Victor vers 1350, fit vers 1365 reprendre les murs de l’ancienne église, les releva en pierre de taille et les accompagna de hautes tours carrées. Il en reste aujourd’hui une seule sous laquelle la porte est pratiquée. Les autres sont d’un appareil différent et d’une construction beaucoup plus récente.

On a, dans les temps modernes, singulièrement remanié ce vieil édifice vaste et défendu comme une citadelle ; notre époque en a fait un monceau de ruines, au milieu desquelles elle n’a guère laissé subsister que l’ancienne église.Cette église, dont le plan ressemble beaucoup à tous ceux qu’on faisait au onzième siècle, n’est vraiment remarquable que par ses souterrains, qui datent évidemment de la fondation même de l’abbaye, c’est-à-dire du commencement du cinquième siècle.

L’art romain lui-même y paraît dans sa force et dans sa puissance : c’est une église inférieure qui, pour la beauté mâle de ses proportions et pour l’énergie de l’appareil, rappelle les plus vigoureux monuments des Latins. Par malheur, lorsqu’on a refait l’église supérieure, comme on était incapable d’en mesurer les parties sur les arcs immenses du souterrain, on a été obligé de couper ceux-ci par des murailles destinées à servir d’appui aux piliers des nefs étroites construites au-dessus de ces belles voûtes. Ainsi on a gâté la crypte, parce qu’on ne savait élever sur elle qu’un monument médiocre. L’oeuvre romaine sait montrer encore toute sa grandeur à qui sait la regarder. Au pied du monastère, dans un emplacement occupé autrefois par son cimetière, on a creusé un bassin de carénage, et qui est déjà trop petit pour suffire au radoubage des navires du port. Tous les bruits, tout le mouvement de l’industrie moderne, se mêlent ainsi, dans cet endroit, de la manière la plus pittoresque, aux souvenirs qui planent sur les créneaux silencieux de la vieille abbaye.

L’HÔTEL DE VILLE
L’ancien hôtel de ville de Marseille était situé à mi-coteau de la crête sur laquelle la ville épiscopale était fortifiée. La place des Accoules, dont il ornait un des côtés, servait aux rassemblements du peuple qu’on appelait les parlements. Le palais de justice a remplacé le palais des magistrats de la ville centrale. Au dix-septième siècle, à l’époque où l’on remania le plan de la ville, dès que, pour faire communiquer la vieille cité avec les deux cités nouvelles qu’on élevait sur les deux autres côtés du port, on eut abattu les antiques remparts, il devint nécessaire d’établir le siège de l’administration municipale à la portée des habitants de tous les quartiers et sur le théâtre même de leurs grandes affaires.

Loge ou Hôtel de ville

Loge ou Hôtel de ville

On construisit auprès du port, à peu près vers le même temps, un édifice qui sert aujourd’hui d’hôtel aux successeurs des consuls de Marseille. Comme on le pourra voir par le dessin que nous en avons fait graver, c’est une construction d’une assez médiocre étendue : elle a été primitivement destinée à servir de bourse aux Marseillais, qui y traitaient leurs affaires dans une vaste salle occupant presque tout l’espace du rez-de-chaussée. Trois salles partageaient tout le premier étage. Ce qui est singulier, c’est qu’on ne trouve pas d’escalier pour monter directement du rez-de-chaussée à ce premier étage. L’escalier par où l’on arrive à celle-ci se trouve dans une maison voisine, qui encore est séparée de l’hôtel par une rue ; il franchit la rue sur une voûte légère. Cet escalier, si bizarrement placé, a du reste tous les airs d’un monument ; au bout de la première rampe, au pied de la statue de Libertat, qui livra la ville à Henri IV, il se partage en deux grandes rampes latérales, réunies à leur sommet par un beau palier chargé de colonnes. Mais, comme une bizarrerie ne peut jamais aller seule, tandis qu’il affiche tant de luxe pour conduire par un trou dans l’hôtel voisin, il n’a qu’un passage ténébreux et masqué dans un mur latéral pour mener aux nombreux bureaux qui remplissent la maison où il s’élève.

On a voulu rendre Puget responsable de ce plan extravagant, et on a accrédité l’idée que le grand architecte l’avait dessiné de sa main. Il paraît qu’il n’a même touché à la décoration que pour y sculpter un écusson aux armes de France. Un architecte italien, dont le nom inconnu du vulgaire ne se trouve même pas dans les livres les plus étendus consacrés à la description de Marseille, doit, à ce qu’il paraît, porter seul l’éloge ou le blâme de ce monument. Il l’a élevé à l’image d’un assez grand nombre de palais génois construits sous le règne de Louis XIII, dans le goût pesant et recherché à la fois du Borromini.

Le premier nom donné à l’hôtel fut lui-même italien : on l’appela la Loge, parce qu’en Italie Loggia sert à désigner la bourse des marchands. Ce nom s’est conservé dans le peuple jusqu’à nos jours, pour nous faire juger quelle action particulière les ultramontains ont eue sur les habitudes et sur les goûts des provinces méridionales de la France. Les traces de cette influence se perpétuent, nombreuses et plus brillantes, aux environs de Marseille, dans une foule de très belles campagnes, dont les bâtiments, les perrons, les balustres, les parterres même rappellent exactement les anciennes ville italiennes.

L’ARC DE TRIOMPHE
Dans ses plans pour Marseille, Puget avait dessiné à l’entrée de la rue d’Aix un arc de triomphe figurant la porte de la ville. Il a été érigé en souvenir de la victoire du Trocadéro. Le langage des documents officiels n’est point à omettre. « Le conseil municipal, dit la Statistique des Bouches-du-Rhône pénétré d’admiration et de reconnaissance, vota spontanément, après la glorieuse campagne de 1823, un arc de triomphe au prince généralissime et à son armée... La première pierre en fut posée le 4 novembre 1825, jour de Saint-Charles, par M. le marquis de Montgrand, gentilhomme honoraire de la chambre du roi, maire de Marseille. »

Arc de triomphe ou Porte d'Aix

Arc de triomphe ou Porte d’Aix

M. Penchaud, architecte de ce monument, semble avoir pris pour modèle l’arc de Titus, placé à Rome sur la voie Sacrée, et qui a une seule ouverture. Les révolutions ont eu aussi plus de prise sur ce dernier, dont la destination a été vite changée et qui représente aujourd’hui toutes les victoires qu’il plaira aux passants d’imaginer, hormis les victoires d’Espagne, effacées de tous les esprits. M. David (d’Angers), chargé des sculptures de l’arc de triomphe, y a fait l’essai du style qu’il a appliqué ensuite à Paris, au fronton du Panthéon.

L’artiste a conçu les bas-reliefs monumentaux comme une écriture chargée de reproduire non seulement les idées, mais encore la figure extérieure et le costume même de l’époque qu’ils représentent.

PLAGE DU PRADO
Ce qui fait la sûreté du port de Marseille, est un obstacle à ce que les yeux y aient tous les plaisirs qu’ils s’y promettent. Les collines ont été jetées et rapprochées en avant de ce bassin comme pour le défendre des agitations de la mer ; elles l’en séparent si bien que ni du port, ni des quartiers bas et les plus nombreux de la ville on ne petit jouir du spectacle de la Méditerranée. Les Marseillais étaient très malheureux de se trouver si près de la mer, et de n’avoir pas un endroit d’où ils pussent la voir à leur aise.

Plage à l'extrémité de la promenade du Prado

Plage à l’extrémité de la promenade du Prado

C’est pour les tirer de cette peine, qu’inspirée par les plans de Vauban dont nous avons parlé (partie 1), l’administration municipale a fait tracer, dans les dernières années, la grande promenade du Prado. Cette avenue, qu’on trouvera étroite lorsque les chemins de fer auront permis aux Provençaux de mesurer plus souvent la largeur des promenades du Nord, prolonge d’abord directement la grande ligne de la rue d’Aix, du Cours et de la rue de Rome ; puis, parvenue assez loin, tourne dans un rond point, d’où, se repliant sur elle-même, elle atteint obliquement la mer.

L’espace parcouru est considérable, et se couvre peu à peu de constructions élégantes et de jardins de luxe ; d’un côté, les collines qui ceignent le port étalent leur charmant amphithéâtre orné, çà et là, de pins pittoresques et de pavillons somptueux ; de l’autre, les prairies que les eaux de l’Huveaune fécondent déroulent leurs tapis verts bordés aussi de maisons artistement dessinées. A l’extrémité on aperçoit une des plus jolies anses que la Méditerranée forme sur le rivage ; et on peut mouiller son pied dans le flot paresseux qui pousse doucement le sable vers le bord. Un peu plus à l’écart, des maisonnettes de bois qu’on roule sur la grève peuvent conduire jusqu’au milieu de l’eau les baigneurs qui vont y chercher la force et la santé. Ainsi les plaisirs de la campagne ne manquent pas autour de ce foyer actif du commerce et des affaires.

Port de Marseille au XVIIIe siècle, par Joseph Vernet

Port de Marseille au XVIIIe siècle,
par Joseph Vernet

Nulle part on ne trouve des sites plus beaux, peut-être même plus frais que ceux qu’on peut admirer dans les environs de Marseille. Au-dessous même de la route qui amène les gens du Nord à Marseille, à travers des nuages de poussière, la nature a creusé le vallon des Aygalades, où des sources abondantes tombent en riches cascades sur des rochers fantasques au milieu des prairies et des pins, en face du panorama splendide de la ville qu’elles dominent, et de la mer qui brille à l’horizon. C’est un paysage qui peut rivaliser avec les plus nobles et les plus variés. Mais c’est de l’autre côté de la ville, derrière, la vallée de l’Huveaune, qu’on peut rencontrer les plus éclatants.

Sans parler de la fraîcheur des bords de cette rivière, sans remonter jusqu’à Gémenos et à Saint-Pons, d’où ses eaux s’élancent du milieu des ruines d’une abbaye romane, sous le dôme immense, exubérant d’une forêt que la hache ne viole point, et que les oiseaux de la nuit sillonnent aux heures les plus ardentes du jour, il suffit de monter sur les collines auxquelles est adossé le bourg de Mazargue, pour jouir d’un spectacle qu’on va chercher à Naples et qu’on y croit unique. Elevé sur un des créneaux du rempart dont la main de Dieu a entouré le territoire de Marseille, on aperçoit là, à ses pieds, le cours de l’Huveaune couvert et tracé tout ensemble par les beaux arbres que la rivière nourrit ; au delà de cette campagne si verte et si inattendue, la ville éparpillée aux pieds des coteaux qui en portèrent les premières constructions ; au delà encore, d’un côté la chaîne des montagnes de l’Étoile qui s’élèvent en gradins majestueux jusqu’au ciel, de l’autre toutes les anses de la mer qui semble se jouer en pénétrant dans la terre, puis en reculant devant elle, et qui, dans ses replis innombrables et capricieux, fait briller les nuances infinies de son azur mobile. C’est un tableau éblouissant ; pour le reproduire il faudrait joindre les grands traits du Poussin, au coloris magique de Claude Lorrain.

 
 
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