Faune, Flore Arbres célèbres, vertus des plantes, croyances liées aux animaux. Faune et flore vues par nos ancêtres. Balade au coeur des règnes animal et végétal Orme des Champs-Élysées : à l’épreuvedes hommes et du temps (D’après « La Presse littéraire. Échos de la littérature,des sciences et des arts », paru en 1858) Publié / Mis à jour le mercredi 12 octobre 2022, par Redaction Temps de lecture estimé : 5 mn Aux Champs-Élysées, non loin du Rond-Point, se trouvait encore au milieu du XIXe siècle un orme qui se trouvait être le plus bel arbre de son allée, qu’à lui seul il ombrageait presque tout entière. Provenant de la pépinière de Trianon, cet arbre avait été, en 1759, déplanté de la terre natale et transplanté, avant de subir mille assauts dus aux bouleversements politiques et aux progrès scientifiques, qui pourtant ne devaient pas l’abattre... Il pouvait compter alors une dizaine d’années, et ses formes grêles ressemblaient quelque peu à un échalas. Les racines déchaussées, mutilées et dépouillées de la terre natale, son tronc cahoté sur une mauvaise charrette, son écorce meurtrie et avariée, le pauvret arriva mourant à sa destination. On fit, tant bien que mal, un trou dans le sol à la fois argileux et foisonnant de pierres ; on l’y planta tel quel, et on l’abandonna à la grâce de Dieu. Ce fut sous la direction du célèbre botaniste Thouin que s’accomplit cette plantation, dont les procédés nous semblent aujourd’hui si grossiers, et qu’on admira cependant sincèrement à l’époque où on les mit en œuvre. Dans de si fâcheuses conditions, l’orme languit longtemps, sans, du reste, qu’on s’en inquiétât beaucoup. Les premières années, il ne porta qu’une feuillée jaune, chétive, tardive, sans durée. A la longue, néanmoins, la force de la jeunesse aidant, il finit par prendre le dessus. Il enfonça, au plus profond du terrain, une partie de ses racines, tandis qu’il en allongeait à la superficie, d’autres horizontales, noueuses, rameuses, organisées comme des tiges, et douées d’une propriété merveilleuse de succion. On le vit donc grandir, grossir, verdir et prendre des proportions à la fois élégantes et robustes. Les Champs-Élysées au Rond-Point, au début du XXe siècle Par malheur, quand survint cette crise salutaire, les événements politiques avaient subi de grands revirements : la royauté s’ébranlait ; on en était déjà au marquis de Lafayette. Un gamin, qui préférait de beaucoup les ovations patriotiques aux travaux de son atelier, arracha les plus belles branches de l’orme convalescent pour les jeter sous les pieds du cheval blanc du héros des deux mondes. Ce pauvre arbre, meurtri, brisé, couvert de plaies béantes qui laissaient écouler sa sève, faillit donc, une seconde fois, succomber. Mais de bons temps survinrent bientôt pour lui. Pendant toute la Révolution, et même pendant le Consulat et les premières années de l’Empire, il vécut, paisible, dans une solitude et un oubli profonds, sans qu’on songeât même à émonder ses branches plantureuses qui poussaient à leur gré, de ça de là, en haut en bas, de travers, de côté, et qui finirent par former une voûte épaisse et inextricable de verdure sous laquelle nichaient des bandes de moineaux, de pinsons et de ramiers. Il fleurit même ; un savant qui sans doute n’avait pas autre chose à faire, s’amusa à compter ses graines et en trouva 329 000. Avouons cependant que pas une seule de ces graines ne poussa, et qu’elles servirent toutes de pâture aux oiseaux qui habitaient la ramée. Nul ne passait près de notre orme, si ce n’est le savant dont nous parlons et, quelquefois, les hôtes sinistres de l’allée des Veuves et des bouges infâmes qui environnaient ces quartiers réprouvés. Un jour, même, on trouva étendu au pied de l’arbre un vieillard baigné dans son sang, criblé de coups de poignard et dépouillé de sa montre et de sa bourse. C’était notre infortuné botaniste. Mais personne n’y prit garde et ne songea à connaître et à livrer ses assassins à la justice. Alors de pareils crimes se commettaient fréquemment et impunément dans ce coin de Paris où florissent aujourd’hui le Moulin-Rouge, le jardin Mabille, d’innombrables restaurants et des milliers de réverbères. La gaieté d’un certain monde a choisi et adopté, pour s’y épanouir, des lieux si longtemps hantés par le vice, par le crime, par les ténèbres, et devenus, à l’heure qu’il est, les plus bruyants et les plus illuminés de la capitale. En 1814 et en 1815, l’orme vit camper sous ses rameaux les hordes des Cosaques. Elles y suspendirent les produits de leurs pillages ; leurs chevaux, aussi sauvages qu’elles, broutèrent son écorce ; enfin des enfants allumèrent contre son tronc des feux qui le brûlèrent d’une façon outrageuse et le stigmatisèrent de cicatrices ineffaçables. Pendant la Restauration, l’orme se refit un peu. La Restauration avait à songer à autre chose qu’à s’occuper des arbres des Champs-Élysées. Elle ordonna bien que des réverbères y fussent accrochés de distance en distance ; mais ces réverbères ne servaient, suivant l’expression du Dante, qu’à rendre les ténèbres visibles. Les Champs-Élysées au Rond-Point, au début du XXe siècle La Révolution de juillet 1830 arriva, et ce fut fini à jamais du repos et de la santé de notre orme. Le nouveau roi voulut embellir Paris et commença par les quais et les Champs-Élysées. Aux premiers il donna des arbres, aux seconds l’éclairage au gaz. Or il faut au gaz des canaux souterrains et des conduits en fonte qui vont chercher les racines sous le sol, les mutilent, les écrasent, les broient, les déchirent et les empêchent de s’étendre. Les fuites les infectent d’hydrogène carboné et les empoisonnent littéralement. Il a des clartés qui rendent impossibles au pauvre arbre le repos et le dormir. Ces clartés fatales infectent le feuillage, l’enfument, le grillent et le privent du sommeil nocturne dont les végétaux ont tout autant besoin que les êtres du règne animal ; enfin elles pervertissent l’économie de ses fonctions naturelles et l’asphyxient en l’empêchant d’aspirer et d’expirer l’acide carbonique et l’oxygène. Vinrent après cela les trottoirs d’asphalte, qui ne permirent plus à la pluie de pénétrer la terre et de s’en évaporer ; ils empoisonnent l’atmosphère de leurs vapeurs et de leur fumée. Comment, dans ces funestes conditions, un orme pouvait-il conserver sa constitution robuste, résister aux brusques changements de la température, supporter tour à tour, dans une même journée, le froid et le chaud, subir les fureurs des vents qui brisent ses rameaux, qui creusent, sur les plaies béantes qu’elles font, des crevasses et des gouttières d’où s’écoule avec la pluie la sève extravasée ? Sans compter les illuminations, le plus redoutables peut-être de tous les fléaux. Malheur aux racines que les poteaux nécessités par ces illuminations vont chercher jusqu’au fond de la terre ! Malheur aux feuilles et aux branches qu’enfument et grillent, pendant une soirée tout entière, des lampions aux exhalaisons fétides ! Une suie gluante les recouvre d’une couche corrosive, sur laquelle s’accumule, en outre, la poussière formidable soulevée par les piétinements de la foule. Aussi, notre orme et bien de ses compagnons commençaient-ils à dépérir en 1848. Leur feuillée flétrie tombait avant le temps, et jonchait les allées de débris sans forme et sans nom. Les passants, même les plus indifférents, remarquaient leur langueur, leur aspect piteux et leur écorce sèche, rude, craquelée, soulevée de toutes parts. Claude-Philibert Barthelot de Rambuteau, préfet de la Seine de 1833 à 1848 Un soir de printemps un petit coléoptère s’abattit sur le héros de cette histoire, et se glissa insidieusement entre les sinuosités de son écorce. Long tout au plus de deux lignes et demie, les élytres et les pattes d’un roux marron, la tête couverte d’une suite de perruque en duvet jaunâtre, le front orné de deux longues antennes, le corps noir, ciselé de petits points, il se mit à fureter de ça, de là, jusqu’à ce qu’il eût rencontré un endroit propre à ses perfides desseins. Il s’arrêta sur une place de l’écorce qui formait une sorte de vallée microscopique protégée de tous les côtés en façons de collines, par de hautes rugosités. Au milieu de la vallée, se trouvait une matière molle, humide, qu’avaient à demi décomposée le temps, les intempéries, les misères et les souffrances de l’arbre. Dans cette matière, l’insecte que les entomologistes nomment scolyte destructeur, ne tarda point, en s’aidant de ses pattes et de ses mandibules, à s’ouvrir l’entrée d’une gerçure, formée naturellement dans l’écorce soulevée. Cette race de fouisseurs se multiplia d’une façon si rapide et si effrayante, qu’un an après il ne restait pas, dans tous les Champs-Élysées, un seul arbre complètement intact. Une fois les scolytes maîtres des arbres des Champs, il accourut de toutes parts d’autres sortes d’ennemis et de parasites : mille-pieds, cloportes, fourmis, perce-oreilles, tous contribuant, chacun selon ses forces et ses habitudes, à l’œuvre générale de destruction. Aussi vit-on l’écorce de l’orme, naguère si beau, se soulever, se décoller, tomber par larges plaques, et laisser, nus et sans défense, les humides et délicats tissus de l’aubier. Le comte de Rambuteau, dont la ville de Paris conserve avec reconnaissance le souvenir, se sentit ému de compassion pour tant de beaux arbres menacés de mort. Il leur chercha un médecin, et il finit par en trouver un : c’était, soit dit en passant, un véritable docteur en médecine. Sous la direction de ce médecin, on attaqua sans pitié les écorces qui servaient de repaire aux scolytes ; on détruisit des milliards de ces insectes ; on goudronna les écorces ; on pratiqua, au pied des arbres, des tranchées disposées en rayons, profondes de 50 centimètres, emplies de pierrailles, et destinées à laisser arriver jusqu’aux racines l’eau et l’air ; on adossa verticalement aux racines de l’arbre des tuyaux de drainage, dont un tuyau recouvrait l’ouverture ; on rabota ou on enleva les écorces tout à fait malades. Enfin, ou emmaillota littéralement les arbres décortiqués. Le haut des troncs était entouré d’une sorte d’entonnoir en fer blanc ressemblant à la fois à un pot à tisane et à l’instrument que Molière n’a pas hésité à placer entre les mains de ses matassins. A cette époque, l’orme du Trianon, qui avait déjà subi mille outrages, était encore bel et bien vivant. Même rubrique > voir les 86 ARTICLES Saisissez votre mail, et appuyez sur OKpour vous abonner gratuitement Vos réactions Prolongez votre voyage dans le temps avec notreencyclopédie consacrée à l'Histoire de France Choisissez un numéro et découvrez les extraits en ligne ! Numéro ? Magazine d'Histoire de France N° 44 (traditions, légendes, fêtes, métiers, personnages...) Magazine d'Histoire de France N° 43 (traditions, légendes, fêtes, métiers, personnages...) Magazine d'Histoire de France N° 42 (traditions, légendes, fêtes, métiers, personnages...) 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