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XVIIIe : siècle des pleureurs pour répondre à l'appel de la nature ?

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Anecdotes insolites
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XVIIIe : siècle des pleureurs en réponse
à « l’appel de la nature » ?
(D’après « Le Mois littéraire et pittoresque », paru en 1904)
Publié / Mis à jour le lundi 1er février 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 3 mn
 
 
 
Selon l’académicien Émile Faguet, il n’est pas siècle où l’on ait pleuré autant qu’au XVIIIe ; et de nous prouver, de sa plume intempérante et à grand renfort d’exemples, combien cette période bat à plate couture celle de Madame de Sévigné où verser des larmes était jugé honteux, ce XVIIIe siècle méritant quant à lui amplement l’appellation de siècle-saule...

Au XVIIe siècle, on ne pleure pas beaucoup : Mme de Sévigné pleure quelquefois, mais point si souvent. Elle est beaucoup plutôt la belle rieuse que la belle larmoyante. Bajazet ou Bérénice lui font verser « six larmes ». Elle les a comptées. Ce n’est pas excessif, estime Émile Faguet. Des larmes qu’on peut compter sur les doigts qui les essuient ne comptent pas ou, du moins, ne comptent pas beaucoup. Et Mme de Sévigné rit beaucoup plus souvent qu’elle ne pleure. Remarquez qu’elle écrit cinq ou six lettres au moins sur la mort de Turenne sans parler une seule fois de larmes, du moins de larmes tombées de ses beaux yeux à elle. Et Dieu sait si elle a été touchée de la mort de Turenne !

Bien plutôt il faudrait dire que le XVIIe siècle a méprisé les larmes et s’est passablement moqué des pleureurs. Scarron n’a pas manqué de se gaudir d’Énée, de l’Émis de Virgile, qui, à son avis, pleure trop souvent pour un homme et pour un surhomme. Il a dit de ce héros qu’il avait « le don des larmes », mot qu’il a créé pour se moquer de la chose et qui est resté, ayant été pris au sérieux plus tard.

La Bruyère nous donne un document plus important encore à cet égard. Il nous dit : « D’où vient qu’on rit si librement au théâtre et que l’on a honte d’y pleurer ? » Ceci est précis et formel comme constatation de fait. On avait honte de pleurer au théâtre et par conséquent on n’y pleurait pas ou l’on y pleurait peu, bien loin de s’en faire honneur, comme ce devait être le bel air plus tard. La mode n’était pas à pleurer. Comptez sur la mode en tout lieu et en tout temps et particulièrement chez les Français, lance Faguet. Du moment que ce n’en était pas la mode, on ne pleurait que très médiocrement au XVIIe siècle.

Jean-François Marmontel (1723-1799)
Jean-François Marmontel (1723-1799)

Le seul siècle pleureur, le seul siècle-saule comme le désigne Émile Faguet, a été le XVIIIe. Il a pleuré de tout son cœur, et il s’en est fait gloire de tout son courage. On ne voit que mouchoirs mouillés et visages inondés de larmes dans ce siècle-là. Diderot pleurait tous les jours, comme d’hygiène, et à propos de n’importe quoi. Marmontel, Colardeau, Beaumarchais, Sedaine, Voltaire lui-même — et chez Rousseau cela devint une véritable monomanie — pleuraient à l’envi les uns des autres et à l’envi des sources et ruisseaux. La larme à l’œil fut même élevée à la dignité de criterium littéraire. On pleura à Zaïre et l’on critiqua Zaïre. Voltaire s’écria triomphalement : « On a pleuré à Zaïre, voilà une grande réponse aux critiques ! »

Et il est bien certain que, tout au moins, on peut dire pour la comédie : « Vous avec ri, vous êtes désarmés. » Et pour la tragédie ou le drame : « Vous êtes désarmés puisque vous pleurâtes. » Tous les mémoires et toutes les correspondances du temps confirment ce fait, désormais constant, de l’abondance et surabondance des larmes versées au XVIIIe siècle. Il n’est guère en ce siècle que Montesquieu et Buffon, peut-être d’Alembert — et encore il ne fallait pas qu’il fût question de Mlle de Lespinasse —, qui n’aient pas été pleureurs.

Le XVIIIe siècle est le siècle larmoyant par excellence, depuis la comédie larmoyante de La Chaussée jusqu’aux drames lacrymogènes « lacrymosa poementa Puppi » de Mercier et Pixérécourt.

D’où vient cela ? Ah ! C’est ce qui est plus difficile à dire. La raison générale, avance notre homme de lettres, c’est que le XVIIIe siècle a eu pour turlutaine propre la confiance dans la nature, le retour à la nature, l’appel à la nature et l’abandonnement à la nature, et cette idée assez contestable, tenue par lui comme hors de discussion, que la nature ne peut pas se tromper. Or, comme Musset a dit plus tard, « une larme coule et ne se trompe pas. » Ils ont donc cru qu’il n’y avait rien qui fût si naturel, et par conséquent si beau et si honnête, que de pleurer et que pleurer était marque vénérable de « cœur sensible ». Ils pleuraient par honnêteté et pour marquer combien ils étaient près de la nature.

Le rire, en effet, est tout aussi naturel que les pleurs, mais il faut reconnaître que, cependant, il est plus volontaire, que le rire sarcastique, le rire épigrammatique, le rire satirique, le rire de dédain viennent de l’esprit et non du cœur et ne marquent pas nécessairement une émotion aussi profonde et aussi sincère que les pleurs.

Donc, pour être naturels, pleurons, et comme être naturel c’est être honnête et vraiment homme, pleurons par honnêteté. Voilà, selon l’académicien Émile Faguet, l’explication. Ils oubliaient que l’empire de la mode, de la coutume et de l’imitation est si grand qu’on peut très bien pleurer par imitation, par coutume et par mode et tout simplement parce que d’autres pleurent. Ils oubliaient qu’un vieux poète, Saint-Sorlin, a dit :

Quand une femme pleure, une autre pleurera ;
Et toutes pleureront tant qu’il en surviendra...

et que, à cet égard, il y a bon nombre d’hommes qui sont femmes. Ils ne se doutaient pas qu’à le prendre ainsi, c’est-à-dire dans la vérité des choses, les pleurs sont exactement aussi artificiels que le rire et aussi artificiels que n’importe quelle chose artificielle. Et, croyant revenir à la nature, ils retombaient dans l’artificiel plus que jamais.

Chassez l’artificiel, il revient au galop.

Ou, si vous voulez, en beau latin : Expellas fictum furca, tamen usque recurret.

Voilà, selon Faguet, l’explication. Et puis, il peut y en avoir d’autres. Par exemple celle-ci, que l’académicien ne nous donne que pour ce que nous jugerons qu’elle vaut. Un de ses amis lui disait naguère :

Pourquoi le siècle de Voltaire
A tant pleuré sur cette terre ?
C’est qu’il prévoyait, le pendard,
Tout le mal qu’il ferait plus tard !

Après tout, il est bien possible.

 
 
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