LA FRANCE PITTORESQUE
Pierre de Bourdeille dit Brantôme,
historien du XVIe siècle
(D’après « Études historiques et biographiques » (Tome 2), paru en 1857)
Publié le mercredi 20 juillet 2016, par Redaction
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Brantôme est un des historiens modernes qui a le plus de charmes et le plus d’utilité. Ses récits sont un tableau vivant et animé de tout son siècle ; il en avait connu tous les grands personnages. Sa curiosité et l’inquiétude de son caractère l’avaient mêlé à toutes les affaires, comme témoin, si ce n’est comme acteur.
 

Pierre de Bourdeille, seigneur de l’abbaye de Brantôme, naquit en Périgord, vers 1540, et mourut en juillet 1614. Quelques années avant sa mort, il écrivit un testament fort long, où il ordonna de mettre sur son tombeau l’épitaphe suivante, qui peut servir d’histoire abrégée de sa vie :

« Passant, si par cas ta curiosité s’étend de savoir qui gît sous cette tombe, c’est le corps de Pierre de Bourdeilles, en son vivant, chevalier, seigneur et baron de Richemond, etc. ; conseigneur de Brantôme : extrait du côté du père, de la très noble antique race de Bourdeilles, renommée de l’empereur Charlemagne, comme les histoires anciennes et vieux romans français, italiens, espagnols, titres vieux et antiques de la maison, le témoignent de père en fils jusques aujourd’hui ; et, du côté de la mère, il fut sorti de cette grande et illustre race issue de Vivonne et de Bretagne.

« Il n’a dégénéré, grâce à Dieu, de ses prédécesseurs : il fut homme de bien, d’honneur et de valeur comme eux, aventurier en plusieurs guerres, et voyages étrangers et hasardeux. Il fit son premier apprentissage d’armes sous ce grand capitaine M. François de Guise ; et pour tel apprentissage il ne désire autre gloire et los : dont cela seul suffit. Il apprit très bien sous lui de bonnes leçons, qu’il pratiqua avec beaucoup de réputation pour le service des rois ses maîtres. Il eut sous eux charge de deux compagnies de gens de pied : il fut en son vivant chevalier de l’ordre du roi de France, et de plus, chevalier de l’ordre du Portugal, qu’il alla quérir et recevoir là lui-même du roi don Sébastien, qui l’en honora au retour de la conquête de la ville de Bélis en Barbarie, où ce grand roi d’Espagne, don Philippe, avait envoyé une armée de cent galères et douze mille hommes de pied.

Buste de Pierre de Bourdeille (fontaine Médicis à Brantôme)

Buste de Pierre de Bourdeille (fontaine Médicis à Brantôme)

« Il fut après gentilhomme de la chambre des deux rois, Charles IX et Henri IlI, et chambellan de M. d’Alençon ; et outre, fut pensionnaire de deux mille livres par an dudit roi Charles, dont en fut très bien payé tant qu’il vécut, car il l’aimait fort, et l’eût fort avancé s’il eût plus vécu que ledit Henri. Bien qu’il les eût tous les deux très bien servis, l’humeur du premier s’adonna plus à lui faire des biens et des grâces plus que l’autre : aussi la fortune ainsi le voulait. Plusieurs de ses compagnons, non égaux à lui, le surpassèrent en bienfaits, états et grades, mais non jamais en valeur et en mérite. Le contentement et le plaisir ne lui en sont pas moindres. Adieu, passant, retire-toi ; je ne t’en puis dire plus, sinon que tu laisses jouir du repos celui qui, en son vivant, n’en eut ni d’aise, ni de plaisir, ni de contentement. Dieu soit loué pourtant du tout et de sa sainte grâce. »

Ces lignes, copiées dans Brantôme, le feront mieux connaître que ce qu’on pourrait dire de lui. Son nom ne se trouve mêlé à aucun événement historique ; sa vie n’offre rien d’intéressant, ni d’important, comme on le voit même d’après son propre témoignage, qui pourtant n’est pas modeste. Il fut, comme il le dit, fort brave et fort aventureux ; il fut successivement porté, par son humeur ou par les guerres, dans presque toute l’Europe.

Quelque temps après la mort de Charles IX, dont il avait été assez bien venu comme il le raconte, il se retira dans ses terres, sans qu’on en devine bien précisément le motif. En parlant de cette retraite, tantôt il dit qu’elle est volontaire, et qu’après la mort de son frère il voulut rappeler le chef de la famille, et se faire le protecteur de ses neveux et de sa belle-sœur, qu’il aimait tendrement ; d’autres fois, il se plaint de l’injustice du sort et des grands ; on peut croire que cette gasconnade est plus près de la vérité que la première.

Retiré ainsi loin de la cour et des affaires, Brantôme employa toute l’activité de son esprit à écrire ce qu’il avait vu pendant la première partie de sa vie ; laissant aller sa plume au gré de son humeur, il remplit de ses souvenirs les nombreux volumes qu’il nous a laissés. Dans ce testament, où il parle sans cesse de lui avec une complaisance si divertissante, il n‘oublie pas ses livres.

« Je veux aussi, et en charge expressément mes héritiers, de faire imprimer mes livres que j‘ai faits et composés de mon esprit et invention... lesquels on trouvera couverts de velours tant noir que vert et bleu, et un grand volume, qui est celui des Dames, couvert de velours vert, et un autre doré par dessus, qui est celui des Rodomontades... curieusement gardées, qui sont tous très bien corrigés... L’on y verra de belles choses, comme contes, histoires, discours et beaux mots, qu’on ne dédaignera pas, s’il me semble, lire si on y a une fois la vue.

« Qu’on prenne sur mon hérédité l’argent qu’en pourra valoir l’impression, qui, certes, ne se pourra monter à beaucoup... car j’ai vu force imprimeurs qui donneront plutôt pour les imprimer qu’ils ne voudront recevoir : ils en impriment plusieurs gratis, qui ne valent pas les miens... Je veux que ladite impression soit en belle et grande lettre, pour mieux paraître, et avec privilège du roi, qui l’octroiera facilement. Aussi prendre garde que l’imprimeur ne suppose pas un autre nom que le mien, autrement je serais frustré de la gloire qui m’est due. » Brantôme ne s’est point trompé sur la renommée dont ses livres devaient jouir.

Il ne faut pas chercher en lui de profondes observations, une connaissance réfléchie des hommes et des choses, des impressions sérieuses, des jugements sévères ; Brantôme a tout le caractère de son pays et de son métier : insouciant sur le bien et sur le mal ; courtisan qui ne sait rien blâmer dans les grands, mais qui voit et qui raconte leurs vices et leurs crimes, d’autant plus franchement qu’il n’est pas bien sûr s’ils ont bien ou mal fait ; aussi indifférent sur l’honneur des femmes que sur la morale des hommes ; racontant le scandale sans le sentir, et le faisant presque trouver tout simple, tant il y attache peu d’importance ; parlant du bon roi Louis XI, qui a fait empoisonner son frère, et des honnêtes dames dont les aventures ne peuvent bien être décrites que par sa plume ; souvent mal instruit, ne se piquant pas d’une grande exactitude dans ses récits, mais les peignant fortement de la couleur générale du temps ; se mettant souvent en scène avec une vanité naïve et plaisante.

Et, quand cet homme a l’humeur frivole, soldatesque et gasconne, vient à être frappé de respect pour les choses grandes, belles et touchantes ; quand il nous présente la sévérité surannée du vieux connétable de Montmorency, la vertu grave et imposante du chancelier L’Hôpital, la pureté de Bayard, le charme et les infortunes de Marie Stuart, on ressent un effet d’autant plus grand, que l’historien est moins profond, et que c’est un sentiment et non un jugement qu’il fait partager.

Enfin, et ce qu’il rapporte, et peut-être plus encore la façon dont il le rapporte, nous font vivre au milieu de ce siècle, où la chevalerie et les mœurs indépendantes avaient fini, tandis que les mœurs soumises et réglées des temps modernes n’étaient pas encore établies ; siècle de désordre, où les caractères se déployaient librement, où le vice ne songeait ni à se déguiser ni à se contraindre ; où la vertu était belle parce qu’elle se maintenait par son propre choix et ses propres forces.

Brantôme, malgré la vie qu’il a menée, était plus lettré que la plupart de ses compagnons d’armes. Il avait vécu dans l’intimité de Charles IX, qui se plaisait à la poésie : il avait connu le grand Ronsard, et l’avait fort admiré. Il a traduit quelques fragments de Lucain, dont il fait assez d’étalage. Il savait l’italien et l’espagnol ; et on voit que, dans sa retraite, son esprit actif ne lui permettait pas l’oisiveté, et qu’il avait sans cesse la plume à la main. L’on a de lui : Vie des hommes illustres et grands capitaines français ; la Vie des grands capitaines étrangers ; la Vie des dames galantes ; des Anecdotes touchant les duels ; les Rodomontades et jurements des Espagnols, et divers fragments, entre autres le commencement d’une Vie de son père, où la vanterie gasconne est portée au point le plus bouffon.

Le frère aîné de Brantôme, André de Bourdeille, était un homme d’un caractère plus grave que lui. Charles IX, Henri III et Catherine de Médicis lui donnèrent plusieurs fois des commissions importantes. On a joint les lettres qu’ils lui écrivirent et ses réponses, aux OEuvres de Brantôme. Il a écrit un Traité sur l’art de s’apprêter à la guerre, qu’il dédia à Charles IX, et qui se trouve aussi dans la collection des livres de son frère.

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