LA FRANCE PITTORESQUE
Tours (Grégoire de) : précieux chroniqueur
du temps des Mérovingiens
(D’après « Études historiques et biographiques - Tome II » paru en 1857)
Publié le jeudi 17 novembre 2016, par LA RÉDACTION
Imprimer cet article
D’origine gallo-romaine, Grégoire de Tours occupa l’un des plus importants sièges épiscopaux de la Gaule, et son « Histoire des Francs » constitue un témoignage précieux des événements et moeurs sous les Mérovingiens
 

Saint Grégoire, évêque de Tours, naquit en Auvergne, en 538. Sa famille était illustre et puissante ; ses aïeux, depuis plusieurs générations, figuraient parmi ces sénateurs qui, sous la domination romaine, exerçaient dans les Gaules l’autorité de gouverneurs de province, de juges, de magistrats suprêmes. A cette notoriété était venu se joindre un autre genre de gloire.

Cette famille était une des premières qui eût embrassé la foi chrétienne, et elle comptait des martyrs et des évêques. Grégoire était le dernier fils du sénateur Florentius. Il avait reçu, en naissant, les noms de Florentius, son père, et de Georges, son grand-père. Ce fut depuis, lorsqu’il fut sacré évêque, qu’il choisit le nom de Grégoire, en mémoire de saint Grégoire, évêque de Langres, qui était son bisaïeul du côté paternel et du côté maternel à la fois.

Grégoire de Tours. Gravure de François-Jacques Dequevauviller colorisée, d'après Louis Boulanger

Grégoire de Tours. Gravure de François-Jacques Dequevauviller colorisée, d’après Louis Boulanger

Au moment de la naissance de Grégoire, l’Auvergne, qui depuis trente ans avait été enlevée aux Wisigoths par Clovis, faisait partie du royaume de Metz, où régnait Théodebert Ier, petit-fils de Clovis. Grégoire perdit son père, étant fort jeune encore, et fut élevé auprès de saint Gal, évêque de Clermont. Il reçut une éducation plus soignée qu’elle ne l’était communément dans les temps de barbarie, où l’on ne trouvait quelques vestiges des lettres que près des évêques et parmi les ecclésiastiques, encore peu nombreux à cette époque.

A trente-quatre ans Grégoire, qui était déjà devenu célèbre dans les Gaules par sa piété et sa sagesse, fut élu évêque de Tours, sous l’autorité de Sigebert Ier (ou Sigisbert), roi d’Austrasie. Environ deux ans plus tard, Sigebert fut assassiné, laissant son fils Childebert II, âgé de cinq ans, que le duc Gontran, son oncle, réussit à faire couronner pour son successeur. Telles n’étaient point les vues de son frère Chilpéric Ier, roi de Soissons (Neustrie), et de Frédégonde, sa femme, qui avaient voulu s’emparer du royaume d’Austrasie. Ils parvinrent à en démembrer quelques parties. Grégoire de Tours passa sous leur domination. Ce fut là néanmoins, dans l’asile universellement révéré du tombeau de saint Martin, que le duc Gontran vint se réfugier contre la vengeance de Chilpéric et de Frédégonde. Vainement on exigea du saint évêque qu’il livrât Gontran ; vainement on ravagea les terres de l’évêché et de la province ; Grégoire de Tours fut inébranlable.

Timbre émis pour le XIVe centenaire de la naissance de Grégoire de Tours

Timbre émis pour le
XIVe centenaire de la naissance
de Grégoire de Tours

Un jour, le capitaine envoyé par Chilpéric entra dans l’église de Saint-Martin, mais personne de sa suite n’osa l’y suivre : il fut obligé de respecter le proscrit. Peu après, ce saint asile recueillit un fugitif plus illustre et plus important. Mérovée, fils de Chilpéric, avait quitté ses parents pour épouser Brunehaut, veuve de Sigebert, et devenir tuteur du jeune Childebert et gouverneur d’Austrasie. Poursuivi par la colère de son père et de Frédégonde, il vint s’y dérober au tombeau de saint Martin. Grégoire de Tours refusa de le livrer. Le roi, furieux, vint à la tête de son armée assiéger Tours, jurant qu’il ne respecterait pas le pieux asile, révéré par les païens eux-mêmes. Mérovée se sauva déguisé et alla rejoindre sa nouvelle épouse.

Le roi et Frédégonde songèrent alors à tourner leur vengeance contre Prétextat, évêque de Rouen, qui avait célébré le mariage de Mérovée. Quarante-cinq évêques furent rassemblés à Paris, en 577, pour le juger. Chilpéric se fit lui-même son accusateur. Son ressentiment était si actif, et les torts de l’évêque si apparents, que la condamnation allait être prononcée, mais Grégoire prit vivement la défense de l’accusé et ranima le courage des évêques : un plus mûr examen remplaça un jugement qui n’eût été que l’expression de la volonté et de la colère du roi. Chilpéric essaya tous les moyens d’ébranler ou de réduire Grégoire ; tout fut inutile ; ce prélat défendit, sans nulle faiblesse, la dignité épiscopale et les droits de l’accusé. Cependant, d’après des aveux obtenus par une fausse promesse de pardon, Prétextat fut dégradé et banni ; jugement que Grégoire trouva fort rigoureux, mais qui satisfit si peu la vengeance de Frédégonde, que plus tard elle fit assassiner l’évêque de Rouen.

Bientôt Grégoire eut à se défendre lui-même auprès de Chilpéric : des calomniateurs, suscités par Frédégonde, accusèrent l’évêque de Tours de discours injurieux au roi et de complots contre son autorité. Malgré le danger de se remettre aux mains d’un roi faible et d’une reine furieuse, Grégoire se rendit à l’assemblée des évêques près de Soissons. Chilpéric, tout livré qu’il fût à Frédégonde, conservait le respect dû au saint caractère d’évêque. Grégoire de Tours fut admis à se justifier seulement par les serments faits sur les autels : cette justification était par là même si complète, que l’assemblée des évêques fut sur le point d’interdire le roi des sacrements, et que les faux témoins furent punis. Chilpéric ayant été assassiné à Chelles (584), Gontran, roi de Bourgogne, prit possession de Tours : Grégoire lui prêta serment d’obéissance, en réservant toutefois les droits du fils de Chilpéric et de Childebert, roi d’Austrasie, qu’en effet Gontran fit son héritier. Devenu médiateur entre l’oncle et le neveu, Grégoire en fut honorablement accueilli.

Quelques années plus tard, l’évêque de Tours fut le principal auteur du traité d’Andelot, entre Childebert et Gontran, traité célèbre qui donna quelque repos à la France déchirée. Chaque jour Grégoire croissait en gloire et en crédit. On prenait son avis sur toutes les difficultés. On lui attribuait des miracles, il protégeait son diocèse ; il en faisait confirmer et accroître les privilèges. Il faisait réparer les églises et les monuments ruinés et ravagés ; il en bâtissait de nouveaux. Enfin sa vie offre le plus bel et le plus grand exemple de cette influence sainte et salutaire exercée par les évêques, au milieu d’un temps de barbarie où, sans l’épiscopat, il n’y aurait pas eu un seul élément d’ordre, de police et d’administration, temps qu’il faut soigneusement distinguer du régime féodal non encore établi, et dont on entrevoyait à peine les premiers rudiments.

Il paraît que Grégoire, dont la santé avait toujours été faible et chancelante, mourut en 593, à l’âge de cinquante-quatre ans. Mais son biographe latin raconte qu’il alla à Rome en 594 : cependant l’évêque y envoya chercher des reliques, mais ne quitta point les Gaules à ce qu’il semble.

L’Église révère l’évêque de Tours parmi les saints ; les lettres le comptent parmi nos historiens les plus capitaux. Sans Grégoire de Tours, nous n’aurions aucune connaissance des premiers siècles de notre histoire. Grâce à ses écrits, il n’est point de peuple qui ait des notions plus détaillées et plus certaines de son origine. Son Histoire des Français (Historia Francorum), divisée en seize livres, comprend un intervalle de 174 ans depuis l’époque de l’établissement des Francs dans les Gaules. C’est un vrai phénomène que de trouver, à la naissance d’une nation, un historien véridique, impartial, beaucoup plus éclairé qu’on ne l’est communément à de telles époques.

Exemplaire de l'Historia Francorum de Grégoire de Tours exécuté vers le VIIIe siècle

Exemplaire de l’Historia Francorum de Grégoire de Tours exécuté vers le VIIIe siècle

Grégoire de Tours est un guide sûr dans la connaissance de l’état des peuples et de l’Église de France au temps où il vivait. Si l’on veut ensuite le considérer comme écrivain, on trouvera dans son langage un triste témoignage du point où peuvent déchoir les lettres et l’esprit humain. Non seulement le latin qu’il emploie est grammaticalement barbare, mais il est sans force, sans expression, sans couleur. Grégoire de Tours était cependant nourri des Pères de l’Église, et connaissait un peu la littérature romaine ; il cite Virgile, Salluste, Pline et Aulu-Gelle. Mais cette langue, si éloquente autrefois, s’était usée et flétrie comme la civilisation elle-même. Elle avait pris le caractère des hommes qui la parlaient alors. Il y avait plutôt dégradation que barbarie. Les nations gothiques n’avaient point alors, par un mélange intime, renouvelé les nations abâtardies sous le joug brisé de l’empire romain. Les vainqueurs opprimaient les vaincus, sans s’être encore confondus avec eux.

Le style de Grégoire de Tours nous montre l’ignorance sans naïveté, la crédulité sans imagination. La piété a perdu la vive chaleur des premiers siècles de l’Église, et n’en a gardé que la vaine subtilité : les récits sont froids et traînants, les peintures sans vivacité, les expressions vulgaires ; enfin on ne trouve dans le langage rien qui ait ce caractère propre à l’enfance d’un peuple, rien de ce charme souvent plus réel et plus puissant que celui d’un langage perfectionné. Un homme, quelque distingué qu’il soit, ne peut triompher de son siècle : l’outil manque à l’ouvrier. Cependant Grégoire de Tours est quelquefois animé par ces effroyables calamités dont il était témoin ; et son style prend alors un peu plus de force. Ce qu’on y remarque toujours, c’est un caractère de bonne foi, un jugement libre et courageux des princes faibles ou féroces qui mêlaient leur nom aux malheurs de la France.

Outre ses histoires, saint Grégoire de Tours a laissé plusieurs livres sur la gloire des martyrs, la gloire des confesseurs, les miracles de saint Martin, les vies des Pères et les miracles de saint André. On a perdu un commentaire sur les psaumes, un traité sur les offices de l’Église, une préface à un livre perdu de saint Sidoine, et une histoire des Sept-Dormants. Quelques autres écrits lui sont aussi attribués, mais ceux que nous venons d’indiquer sont les seuls avoués par les critiques.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE