LA FRANCE PITTORESQUE
« L’État m’a tuée »
ou la France en souffrance
(Éditorial du 10 mars 2014 paru dans le N° 44 de
La France pittoresque - 1er semestre 2014)
Publié le dimanche 5 juillet 2015, par Redaction
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C’est dans la revue Minerva qu’en 1902 l’historien Frantz Funck-Brentano ausculte Mémoires de deux jeunes mariées, œuvre d’Honoré de Balzac parue en 1841 sous la forme d’un roman-feuilleton. L’homme de lettres anticipe la souffrance où s’abîmera la France des générations à venir, conséquence sociale de la destruction de la vieille famille française par la Révolution.

N° 44 de La France pittoresque (1er semestre 2014)

N° 44 de La France pittoresque (1er semestre 2014)

S’exprimant par la bouche du duc de Chaulieu s’adressant à son enfant, Balzac écrit : « Mon enfant, la France est dans une situation précaire. Les hommes au pouvoir — on est sous la Restauration — continuent l’œuvre de la destruction sociale, au lieu de nous aider à raffermir l’édifice. En deux mots, il n’y a plus que deux partis. La Révolution continue, elle est implantée dans la loi, elle est écrite sur le sol, elle est toujours dans les esprits. Elle est d’autant plus formidable qu’elle paraît vaincue à la plupart de ces conseillers du trône qui ne lui voient ni soldats, ni trésors. »

Et le gentilhomme de poursuivre par ces étonnantes paroles : « Sais-tu, mon enfant, quels sont les effets les plus destructifs de la Révolution ? Tu ne t’en douterais jamais. En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé la tête à tous les pères de famille. Il n’y a plus de famille aujourd’hui. Il n’y a plus que des individus. En proclamant l’égalité des droits à la succession paternelle, on a tué l’esprit de famille, on a créé le fisc. Mais on a préparé la faiblesse des supériorités et la force aveugle de la masse, l’extinction des arts, le règne de l’intérêt personnel. » Balzac écrit encore : « Chaque animal a son instinct, celui de l’homme est l’esprit de famille. Un pays est fort quand il se compose de familles riches dont tous les membres sont intéressés à la défense du trésor commun : trésor d’argent, de gloire, de privilèges, de jouissances ; il est faible quand il se compose d’individus non solidaires, auxquels il importe peu d’obéir à sept hommes ou à un seul, à un Russe ou à un Corse, pourvu que chaque individu garde son champ. Et ce malheureux égoïste ne voit pas qu’un jour on le lui ôtera. » Puis l’écrivain d’avancer qu’ « il n’y aura plus que des lois pénales ou fiscales. Le pays le plus généreux de la terre ne sera plus conduit par les sentiments. On y aura développé, soigné des plaies incurables. D’abord une jalousie universelle ; les classes supérieures seront confondues, on prendra l’égalité des désirs pour l’égalité des forces. »

Et Funck-Brentano, citant Louis de Bonald écrivant que « dans l’ancienne France, l’État était organisé comme une famille : aujourd’hui il est organisé comme un bureau », de conclure : c’est l’évolution fatale des peuples qui ont perdu leurs traditions.

Valéry VIGAN
Directeur de la publication
La France pittoresque

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