LA FRANCE PITTORESQUE
Viande anglaise
ou « Vache folle » en 1852
(D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1852)
Publié le vendredi 23 mars 2018, par LA RÉDACTION
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Au milieu du XIXe siècle, on observe une différence importante entre la qualité de la viande anglaise et celle de la viande française, trouvant à la première une détestable « uniformité de saveur » et une « nullité de parfum » décourageant le gourmet, dues au fait d’engraisser artificiellement les animaux
 

Il est généralement passé en proverbe que la qualité de la viande anglaise l’emporte de beaucoup sur la qualité de la viande française, peut-on lire en 1852 sous la plume d’un chroniqueur du Magasin pittoresque. Les touristes qui ont fait une rapide excursion de l’autre côté du détroit en sont revenus pleins d’admiration pour ces énormes pièces de bœuf qui, semblables à des montagnes, se dressent orgueilleusement sur le buffet des tavernes.

Les tranches de ces roast-beef, artistement coupées, minces à merveille, arrosées d’un jus abondant et richement coloré, sont, pendant un séjour de courte durée, l’objet d’un engouement traditionnel qui est ramené à de plus humbles proportions pour peu qu’on séjourne quelques semaines, et à plus forte raison quelques mois en Angleterre.

Le peintre et la vache. Chromolithographie de 1890

Le peintre et la vache. Chromolithographie de 1890

On finit, en effet, par reconnaître qu’en réalité la saveur et la succulence de la colossale pièce de viande britannique sont loin de l’emporter sur celles de notre petit rôti bourgeois. On finit par trouver qu’en Angleterre le bœuf, le mouton, le veau et le porc frais, ont un air de famille, une uniformité de saveur, et, pour ainsi dire, une nullité de parfum, qui découragent le gourmet, poursuit le journaliste.

L’abondance de cette chair n’est pas une compensation de ce qui lui manque, et le palais leurré accuse bientôt les yeux de s’être trop fiés à l’apparence. Peut-il en être autrement lorsque tous les animaux sont engraissés artificiellement, après avoir été, pendant une longue suite de générations, préparés à se vite engraisser ?

Peut-il en être autrement lorsque l’animal est abattu avant d’être arrivé à son âge de maturité ? Une viande ainsi faite est nécessairement lymphatique ; elle sent la fabrique et la mécanique humaine ; elle ne peut être aussi succulente, aussi sapide que nos viandes françaises, provenant généralement d’animaux plus mûrs, plus faits, nourris d’herbage et de pacages. Nos animaux s’engraissent par un état de repos et un développement normal de santé à l’âge convenable pour que la chair ait acquis sa maturité. Les animaux anglais sont soumis, au contraire, à un régime qui leur donne la maladie de graisse à l’âge où ils devraient se développer en force selon les lois naturelles.

Ce n’est pas que l’on doive blâmer sous tous les rapports le système anglais ! s’exclame le chroniqueur. Il tourne au profit de la classe la plus nombreuse. Si en France il y a d’excellente viande, il y en a aussi de détestable ; en Angleterre, elle est toujours et partout moyennement bonne. La maladie qu’on donne aux animaux a pour résultat de fabriquer à bon marché une chair suffisamment accomplie ; cette rapidité dans la fabrication de la chair, et cette précocité que les races montrent dans l’aptitude à l’engraissement, ne peuvent coexister avec une qualité supérieure ; mais au moins tout l’ensemble de la nation est bien nourri, et chaque homme peut consommer une quantité de viande.

Nous avons dit que cet excès de graisse développée dans le corps des bestiaux était une maladie. En effet, les animaux soumis au cruel bienfait de cette nourriture engraissante perdent les qualités morales qui les caractérisent, et revêtent, pour la plupart, des formes hideuses incompatibles avec leur distinction à l’état de nature. Là où la beauté manque régulièrement dans la forme, la santé est généralement altérée. On sent instinctivement qu’en principe le beau doit toujours être le frère du bon, conclut notre journaliste.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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