LA FRANCE PITTORESQUE
Lamartine végétarien
(D’après « La Chronique médicale », paru en 1907 et 1908)
Publié le lundi 17 janvier 2022, par Redaction
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Dans son roman en vers La Chute d’un ange et dans l’un de ses textes en prose intitulé Les Confidences, Lamartine, qui avait été élevé en végétarien par sa mère, fait l’éloge du régime végétal et traite d’égarement l’habitude de tuer les animaux pour les manger
 

Nous ne résistons pas au plaisir de citer le passage suivant du grand poète, extrait de La Chute d’un ange (1838) :

Or ces hommes, enfants ! pour apaiser leur faim,
N’ont pas assez des fruits que Dieu mit sous leur main ;
leur foule insatiable en un soleil dévore
Plus qu’en mille soleils les champs n’en font éclore ;
En vain comme des flots l’horizon écumant
Roule à perte de vue en ondes de froment :
Par un crime envers Dieu dont frémit la nature,
Ils demandent au sang une autre nourriture ;
Dans leur cité fangeuse, il coule par ruisseaux !
Les cadavres y sont étalés en monceaux.
Ils traînent par les pieds, des fleurs de la prairie,
L’innocente brebis que leur main a nourrie,
Et, sous l’œil de l’agneau, l’égorgeant sans remords,
Ils savourent ses chairs et vivent de sa mort !
Aussi le sang tout chaud dont ruisselle leur bouche
Leur rend le goût brutal et le regard farouche.
De cruels aliments incessamment repus,
Toute pitié s’efface en leurs cœurs corrompus ;
Et leur œil, qu’au forfait le forfait habitue,
Aime le sang qui coule et l’innocent qu’on tue.

Ces idées sont beaucoup plus longuement et plus explicitement exprimées dans un passage d’une de ses œuvres en prose, Les Confidences (1849), passage qu’il paraît intéressant de citer en entier. On y trouve, en effet, les arguments scientifiques invoqués au début du XXe siècle par les apôtres du végétarisme.

Alphonse de Lamartine

Alphonse de Lamartine

« Physiquement, cette éducation découlait beaucoup de Pythagore et de l’Emile. Ainsi, la plus grande simplicité de vêtement et la plus rigoureuse frugalité dans les aliments en faisaient la base. Ma mère était convaincue, et j’ai gardé à cet égard ses convictions, que tuer les animaux pour se nourrir de leur chair et de leur sang est une des plus déplorables et des plus honteuses infirmités de la condition humaine ; que c’est une de ces malédictions jetées sur l’homme soit par sa décadence à une époque inconnue, soit par l’endurcissement de sa propre perversité.

« Elle croyait, et je le crois comme elle, que ces habitudes d’endurcissement de cœur à l’égard des animaux les plus doux, nos compagnons, nos auxiliaires, nos frères en travail et même en affection ici-bas, que ces immolations, ces appétits de sang, cette vue des chairs palpitantes sont faits pour brutaliser et pour férociser les instincts du cœur. Elle croyait, et je le crois aussi, que cette nourriture bien plus succulente et bien plus énergique en apparence contient en soi des principes irritants et putrides qui aigrissent le sang et abrègent les jours de l’homme.

« Elle citait, à l’appui de ces idées d’abstinence, les populations innombrables, douces, pieuses de l’Inde qui s’interdisent tout ce qui a eu vie, et les races fortes et saines des peuples pasteurs et même des populations laborieuses de nos campagnes qui travaillent le plus, qui vivent le plus innocemment et les plus longs jours, et qui ne mangent pas de viande dix fois dans leur vie.

« Elle ne m’en laissa jamais manger avant l’âge où je fus jeté dans la vie pêle-mêle des collèges. Pour m’en ôter le désir, si je l’avais eu, elle n’employa pas de raisonnements, mais elle se servit de l’instinct qui raisonne mieux en nous que la logique.

« J’avais un agneau qu’un paysan de Milly m’avait donné, et que j’avais élevé à me suivre partout comme le chien le plus tendre et le plus fidèle. Nous nous aimions avec cette première passion que les enfants et les jeunes animaux ont naturellement les uns pour les autres. Un jour, la cuisinière dit à ma mère, en ma présence : Madame, l’agneau est gras, voilà le boucher qui vient le demander ; faut-il le lui donner ? Je me récriai, je me précipitai sur l’agneau, je demandai ce que le boucher voulait en faire et ce que c’était qu’un boucher. La cuisinière me répondit que c’était un homme qui tuait les agneaux, les moutons, les petits veaux et les belles vaches pour de l’argent.

« Je ne pouvais pas le croire. Je priai ma mère. J’obtins facilement la grâce de mon ami. Quelques jours après, ma mère allant à la ville me mena avec elle et me fit passer comme par hasard dans la cour d’une boucherie. Je vis des hommes, les bras nus et sanglants, qui assommaient un bœuf ; d’autres qui égorgeaient des veaux et des moutons, et qui dépeçaient leurs membres encore pantelants. Des ruisseaux de sang fumaient çà et là sur le pavé. Une profonde pitié mêlée d’horreur me saisit. Je demandai à passer vite.

« L’idée de ces scènes horribles et dégoûtantes, préliminaires obligés d’un de ces plats de viande que je voyais servis sur la table, me fit prendre la nourriture animale en dégoût et les bouchers en horreur. Bien que la nécessité de se conformer aux conditions de la société où l’on vit m’ait fait depuis manger tout ce que le monde mange, j’ai conservé une répugnance raisonnée pour la chair cuite, et il m’a toujours été difficile de ne pas voir dans l’état de boucher quelque chose de l’état de bourreau.

« Je ne vécus donc, jusqu’à douze ans, que de pain, de laitage, de légumes et de fruits. Ma santé n’en fut pas moins forte, mon développement moins rapide, et peut-être est-ce à ce régime que je dus cette pureté de traits, cette sensibilité exquise d’impressions et cette douceur sereine d’humeur et de caractère que je conservai jusqu’à cette époque. »

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