LA FRANCE PITTORESQUE
22 juin (ou 22 janvier) 1586 :
mort du médecin Louis Duret,
l’Hippocrate de France
(D’après « Biographie médicale par ordre chronologique » (Tome 1)
édition de 1855, « Dictionnaire des sciences médicales.
Biographie médicale » (Tome 3) paru en 1821 et « Dictionnaire
encyclopédique des sciences médicales » (Série 1, tome 30) paru en 1884)
Publié le jeudi 22 juin 2023, par Redaction
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Médecin de Charles IX et de Henri III, grand praticien, éclairé par l’anatomie, guidé par le raisonnement, nourri et mûri par l’expérience, Louis Duret professa toute sa vie cette doctrine que le rôle du médecin est presque uniquement d’imiter la nature, de l’observer, de l’aider dans ses mouvements, et de saisir avec justesse et à-propos le moment favorable pour agir, cherchant des leçons dans les efforts que fait la nature pour faire disparaître ces maladies
 

Ce célèbre médecin de la Faculté de Paris, l’un des plus remarquables du XVIe siècle, naquit en 1527, à Baugé-la-Ville, petite ville du Bugey en Bresse. Il était second fils de Jean Duret, gentilhomme et seigneur de Montanet en Piémont. La maison de son père étant dérangée et chargée de procès, il la quitta de bonne heure et vint à Paris.

Sa jeunesse se passa à apprendre les langues savantes dans les meilleurs auteurs. Il possédait le grec si parfaitement, qu’il a souvent corrigé et rétabli un grand nombre de passages d’Hippocrate mal entendus des copistes et des traducteurs. Il parlait latin avec beaucoup de grâce et de facilité, mêlant dans son style, sans affectation et sans pédanterie, des phrases entières des auteurs les plus célèbres. L’arabe même ne lui était pas inconnu, il lisait Avicenne dans sa langue naturelle.

Les médecins. Chromolithographie du XXe siècle

Les médecins. Chromolithographie du XXe siècle

Les talents de Duret le firent bientôt connaître, et lui méritèrent l’honneur distingué de former à l’État l’homme de son temps qui avait le plus d’esprit, d’éloquence, et qui était le plus estimable à tous égards, l’ami de son maître, le chef du premier corps de la magistrature en France, et chef dans les temps les plus orageux. Duret avait été chargé de l’éducation d’Achille de Harlay, mort premier président du Parlement de Paris du temps de la Ligue.

L’emploi d’instituteur était alors autrement regardé qu’il ne l’est aujourd’hui. Cette différence était l’effet sans doute d’un statut de l’Université, duquel on ne s’écartait jamais. Tout homme de lettres était obligé par serment d’enseigner, avant que de parvenir au grade de maître ou docteur dans une des Facultés de l’Université de Paris. Ainsi un cardinal, un évêque, un magistrat, un théologien, un médecin, un jurisconsulte, tous avaient enseigné, au moins deux ans, les humanités ou la philosophie. Ceux qui s’acquittaient de ce devoir avec honneur, acquéraient dès lors une célébrité qui contribuait beaucoup à leur avancement, quelque parti qu’ils prissent.

Il y avait encore un usage reçu dans l’Université : lorsqu’on avait choisi le genre d’étude pour lequel on se sentait le plus d’attrait, on s’attachait particulièrement à un docteur-régent, c’est-à-dire à un maître qui se chargeait d’enseigner. Ce docteur devenait le conducteur des études de l’aspirant ; il le présentait aux grades ; il répondait de lui, de sa probité, de ses mœurs, souvent même l’aspirant demeurait chez lui. Les petits collèges servaient de retraite à ces maîtres et à ces écoles particulières ; d’autant mieux que l’enceinte de ces collèges avait beaucoup de franchises, et que les maîtres, qui se chargeaient de l’enseignement, avaient de grands privilèges.

Duret, s’étant destiné vers l’âge de dix-neuf ans à l’étude de la médecine, s’attacha à Jacques Houllier d’Etampes, docteur-régent de la Faculté de Paris, dont il prit longtemps les leçons. Elevé le 30 juin 1552 au grade de licencié, et le 12 septembre suivant à celui de docteur dans la même Faculté, il commença presque aussitôt à enseigner la médecine, à l’exemple d’Houllier son maître, de Fernel, de Sylvius, et de tout ce qu’il y avait alors de médecins célèbres. La pratique la plus étendue et la plus assujettissante ne fut jamais pour lui un obstacle ou un prétexte qui pût le dispenser d’enseigner ; persuadé que l’étude assidue, qu’il était forcé de cultiver pour être excellent professeur, lui était aussi nécessaire pour être habile praticien, et l’empêcher de tomber dans l’empirisme.

On a peine à concevoir comment Duret pouvait fournir tout à la fois à l’éducation de ses enfants qui sont tous devenus savants et habiles dans les différentes professions qu’ils ont embrassées ; au devoir pénible de professeur au collège royal, dont il a rempli la place depuis 1568, qu’il succéda à Jacques Goupil, jusqu’en 1586 qu’il mourut ; et enfin à une pratique sans bornes, ayant été médecin ordinaire de Charles lX et de Henri lII, et le plus employé de tous ses confrères.

Mais on sait, par ses élèves ou par ses contemporains, que Duret était un de ces génies rares qu’on ne voit paraître que dans l’espace de plusieurs siècles. Il passait sa vie à enseigner, à écrire et à pratiquer ; et ce n’était point l’amour de la gloire ou son intérêt particulier qui lui servaient de motif dans ses travaux, mais le seul bien public. La noblesse de ses vues lui mérita non seulement une réputation conforme à son savoir, mais elle contribua tellement à sa fortune qu’il fut un des plus riches médecins de son temps. On pourrait ajouter un des plus savants, puisqu’il a mérité le nom d’Hippocrate de France ; c’est le plus court mais le plus grand éloge qu’on ait pu faire de lui.

Henri III l’aimait particulièrement, cherchait à lui donner des preuves singulières et distinguées de son estime, et ne s’en séparait pas facilement. Quelques mémoires particuliers assurent que Duret assistait à tous ses repas, ce qui sans doute l’a fait croire son premier médecin. Plusieurs auteurs ont même avancé que ce prince voulut conduire la fille de Duret à l’église, le jour de son mariage avec Arnould de Lisle, gentilhomme du pays de Clèves, premier professeur en arabe au collège royal et docteur de la Faculté de médecine de Paris en 1586. Le souverain était à droite de la nouvelle mariée et le père à la gauche ; mais Henri III ne se contenta pas d’honorer la célébration de ce mariage de sa présence ; il fit don à Jeanne Duret de toute la vaisselle d’or et d’argent qui avait servi au repas de la noce, et qui pouvait monter à la somme de 40 000 livres.

Duret eut encore trois fils, tous issus de son mariage avec jeanne Rochin, demoiselle fort riche. Jean succéda à la charge de médecin du roi que son père avait occupée, ainsi qu’à sa chaire au collège royal. Il fut reçu docteur de la Faculté de Paris en 1584, et mourut le 31 août 1629, âgé de 66 ans. Jean Duret n’était point docteur-régent, mais comme on dit extra scholam, pour avoir manqué de présider à son tour. Il n’en était pas moins savant, et c’est à lui qu’on est redevable de la publication du Commentaire que son père a composé sur les Coaques d’Hippocrate. Il avait pour ce père une si grande vénération, qu’il ne prenait d’autre titre que Joannes Duretus Ludovici filius. Les autres fils de Duret sont : Louis, substitut du procureur général au Parlement de Paris ; Charles, président de la chambre des comptes, intendant des finances ou contrôleur général, conseiller d’État et employé par le oi vers les princes d’Italie.

Un auteur se peint dans ses ouvrages ; on y discerne le caractère de son cœur et de son esprit. Il était vraiment philosophe, et philosophe chrétien, éloigné de la crédulité et de la superstition. Comme philosophe, il parlait peu et toujours avec réserve et modération. Jamais il ne lui échappait rien contre qui que ce fût, rien qui sentît la colère ou la satire. Il voulait toujours aller au bien ; il n’était pas fâché de rencontrer parmi les médecins différence ou même contradiction d’avis et d’opinions. Son mot favori était : Bona est inter medicos opinionum dissensio, pessima voluntatum.

Hippocratis magni Coacaepraonotiones. Édition de 1621 de l'ouvrage de Louis Ducret paru pour la première fois à titre posthume en 1588

Hippocratis magni Coacæ pr&aolig;notiones. Édition de 1621 de l’ouvrage de Louis Ducret
paru pour la première fois à titre posthume en 1588

Considéré comme écrivain, il nous offre un modèle de goût et d’élégance dans le style ; ses traductions sont d’une rare exactitude, et elles ne pouvaient manquer de l’être, puis les langues latine et grecque ne lui étaient guère moins familières que la sienne propre.

Comme philosophe chrétien, il ne reconnaît dans la nature que l’action de Dieu : Natura ipsa Dei vis est. En parlant de l’année climatérique, à laquelle il est bien éloigné d’ajouter la moindre croyance, il assure que tout chrétien est fortement persuadé que Dieu l’a créé pour le servir tant qu’il le juge à propos, et que c’est lui qui a donné du sentiment et de l’âme à la nature, autant qu’elle en a besoin, pour remplir toute justice et tout devoir.

Quoique l’astrologie fût fort accréditée du temps de Duret, partout il fronde les calculs des astrologues, et prouve fort bien qu’ils sont contraires à la puissance de Dieu, à sa parole et à la foi des chrétiens. Il ne croit point enfin que les médecins puissent se dispenser d’annoncer la mort à leurs malades, pour peu qu’ils en soient menacés, même dans l’éloignement.

Louis Duret était d’une belle figure, parlait avec éloquence ; le ton de sa voix était celui d’un orateur. Il avait une immense érudition, qu’il devait à ses lectures assidues et à l’étendue prodigieuse de sa mémoire. Il savait par cœur Hippocrate tout entier, pour lequel il professait une singulière vénération, sans que cependant il lui ait jamais donné ce titre ampoulé de divin, dont tant d’écrivains qui l’avaient moins médité, et que peu ont admiré aussi sincèrement que lui, se sont montrés si prodigues. « Connaissez, écrit-il, la maladie avant de la traiter, son essence, ses causes, ses symptômes, ses péripéties, ses accès. Tout médecin qui ne sait pas se conduire avec prudence dans une maladie aiguë, qui ignore la marche des crises, qui ne sait ni les attendre, ni les prévoir, ni même les indiquer et les montrer du doigt, courra plus d’une fois en sa vie d’être blâmé, disons déshonoré. La plus grande partie des maladies chroniquent viennent de maladies aiguës, négligées ou abandonnées à de mauvais médecins et à des charlatans. » Louis Duret blâmait les amulettes, la pierre de jade, le jaspe, les coraux, la teinture d’or, la corne de licorne et autres expédients.

Hippocratis magni Coacæ pr&aolig;notiones. Opus admirabile, in tres libros distributum (Commentaire sur les Coaques d’Hippocrate), mis au jour par son fils Jean Duret, est le plus important et le plus considérable des ouvrages de Duret, celui qui lui a fait le plus d’honneur, et auquel il consacra trente années de sa vie.

Louis Duret mourut à Paris en 1586, suivant les uns le 22 janvier, suivant d’autres le 22 juin, et fut inhumé dans l’église de Saint-Nicolas-des-Champs. Quelque grandes qu’eussent été ses lumières, la vie active et laborieuse qu’il mena affaiblit tellement son tempérament, que ses jours en furent avancés. Il est probable que ce fut par la poitrine ou par quelque maladie de langueur, qu’il termina sa carrière. Il avait prévu et même annoncé sa fin. Il en vit arriver le moment avec tranquillité.

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