LA FRANCE PITTORESQUE
8 juin 1794 : fête de l’Être suprême
(D’après « Éphémérides universelles ou Tableau religieux, politique,
littéraire, scientifique et anecdotique » (tome 6), édition de 1834)
Publié le jeudi 8 juin 2023, par Redaction
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Sur les ruines du culte catholique, Robespierre, vainqueur des deux factions qui menaçaient le Comité de Salut public, avait élevé en France le culte de la Raison. Il sentit qu’il lui fallait un Dieu, dont il serait lui-même le pontife. Le 7 mai (18 floréal), l’existence de l’Être suprême fut décrétée par la Convention, qui, en même temps, chargea David de rédiger le programme de sa fête.

Robespierre et Saint-Just avaient conçu le plan d’une démocratie morale, dont les éléments pouvaient être classés comme il suit : liberté et égalité, pour le gouvernement de la république ; indivisibilité, pour sa forme ; salut public, pour sa défense ; vertu, pour son principe ; Être suprême, pour son culte. Quant aux rapports des citoyens entre eux, ou envers l’État, fraternité, probité, bon sens, modestie, tel devait être leur symbole. On a remarqué qu’il n’y eut pas un de ces mots qui ne servît à la proscription d’un parti ou à la mort de quelques hommes.

Fête de l'Etre suprême le 8 juin 1794

Fête de l’Être suprême le 8 juin 1794

L’auteur principal de ce plan, auquel il ne manquait rien que d’être praticable, croissait tous les jours en élévation et en puissance. Sa vertu, son génie, son éloquence étaient sans cesse vantés par les fanatiques de son parti. Deux circonstances contribuèrent encore à échauffer leur zèle : un double projet d’assassinat fut découvert à un jour de distance : l’un formé par un homme obscur, nommé L’Admiral, l’autre par une jeune fille, nommée Cécile Renaud.

Alors les témoignages d’une allégresse excessive environnèrent Robespierre, dont on attribua le salut au bon génie de la république et à l’Être suprême, ressuscité par ses soins. La célébration de la fête avait été fixée au 20 prairial (8 juin), dans toute l’étendue de la France. Le 16, Robespierre fut nommé président de la Convention à l’unanimité, pour qu’il pût paraître à la tête de l’assemblée dans cette auguste cérémonie.

Il y parut en effet, brillant de costume et radieux de visage, ce qui ne lui était pas ordinaire. Arrivé sur un vaste amphithéâtre, qu’on avait dressé dans le jardin et adossé au château des Tuileries, il harangua la foule immense qui se pressait autour de lui, tenant à la main des branches d’arbre et des bouquets de fleurs : lui-même portait des fleurs et des épis. Au milieu de son discours, il prit une torche enflammée, descendit de l’amphithéâtre et s’avança vers le bassin du parterre, où s’élevait un groupe de figures allégoriques représentant l’athéisme, l’ambition, l’égoïsme, la discorde et la fausse simplicité. Il mit le feu à ces emblèmes, et, du milieu de leurs débris fumants, on vit sortir la statue de la sagesse environnée d’une auréole de gloire.

Après ce bizarre autodafé, le pontife reprit sa harangue, qu’il termina par une pompeuse invocation à l’Être suprême. Aux sons d’une musique guerrière, la Convention se rendit au Champ-de-Mars : là elle se plaça sur la cime d’une montagne peinte, et écouta l’hymne composé par Chénier, au refus de l’abbé Delille. Le cortège revint aux Tuileries, et le reste de la journée se passa en repas civiques.

Pendant toute la cérémonie, Robespierre s’était tenu à vingt pas en avant de ses collègues : les cris de Vive Robespierre ! avaient frappé leurs oreilles, et ils n’avaient pas dissimulé leur jaloux dépit. Robespierre, lui avait dit Lecointe, de Versailles, j’aime ta fête ; mais toi, je te déteste. Bourdon lui avait répété la phrase de Mirabeau : Le Capitole est près de la roche tarpéienne. Enfin, le 20 prairial annonça le 9 thermidor. Mais deux mois restaient au tyran féroce, et il en profita pour verser des flots de sang.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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