LA FRANCE PITTORESQUE
2 juin 1701 : mort de mademoiselle
Madeleine de Scudéry
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Publié le jeudi 2 juin 2016, par Redaction
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Madeleine de Scudéry, née au Havre en 1607, est la sœur de ce Scudéry que ces vers de Boileau ont immortalisé :

Bienheureux Scudéry dont la fertile plume,
Peut tous les mois sans peine enfanter un volume,
Tes écrits, il est vrai, sans art et languissants,
Semblent être formés en dépit du bon sens ;
Mais ils trouvent pourtant, quoi qu’on en puisse dire,
Un marchand pour les vendre et des sots pour les lire.

Mademoiselle de Scudéry eut encore plus de réputation que son frère, et la méritait, non par ses énormes et fastidieux romans, mais par quelques éloges délicats de Louis XIV, et par quelques vers heureux. Cette réputation lui fit donner le nom de Sapho : c’est toujours sous ce nom que madame de Sévigné parle d’elle. Elle fut l’amie de Pélisson, et leur amitié fut célèbre comme leurs talents. Née sans fortune, elle devint riche par les bienfaits des protecteurs des lettres : Christine, reine de Suède, le cardinal Mazarin, le chancelier Boucherat, Louis XIV, lui firent des pensions considérables. Elle mourut dans sa quatre-vingt-quatorzième année.

Madeleine de Scudéry

Madeleine de Scudéry

Molière et Boileau ont donné à l’hôtel de Rambouillet, en général, et en particulier à mademoiselle de Scudéry, qui en faisait l’ornement, un ridicule dont il faut un peu rabattre. A la vérité, le précieux et l’affectation de la bonne compagnie de ce temps, se font sentir dans les écrits de cette fille spirituelle ; mais la lecture de ses écrits serait encore aujourd’hui instructive et amusante ; elle formerait les mœurs et enseignerait des vertus. L’amour, qui fait l’âme de tous les romans de mademoiselle de Scudéry, n’y paraît qu’accompagné de la modestie, de la magnanimité et de la gloire.

Son Discours sur la gloire remporta le premier prix d’éloquence, fondé par l’Académie française. La liste de ses ouvrages prouve qu’elle n’était pas un auteur moins fécond que son frère.

Mademoiselle de Scudéry avait connu beaucoup la jeune épouse de Scaron, devenue depuis si célèbre sous le nom de madame de Maintenon. Suivant sa coutume d’introduire dans ses romans les portraits de toutes les personnes avec lesquelles elle était liée, elle traça celui de madame Scaron dont elle était loin de prévoir la haute destinée. Ce morceau est infiniment curieux : il peint madame de Maintenon à vingt-quatre ans. Scaron est désigné sous le nom de Scaurus, sa femme sous celui de Lyriane ; les deux époux viennent au temple de la Fortune pour consulter l’oracle :

« Une femme, dit mademoiselle de Scudéry, attira tous les regards. A la livrée de ses esclaves, on reconnut qu’elle était femme de celui qui était dans la machine peinte et dorée, couverte d’une espèce de petit dais. Lyriane était d’une naissance fort noble : ses parents, persécutés par la fortune, l’avaient, dès l’enfance, emmenée au fond de la Libye, d’où elle était revenue si belle et si charmante, qu’on ne pouvait presque rien lui comparer sans injustice. Elle était grande et de belle taille, mais de cette grandeur qui n’épouvante point, et qui sert seulement à la bonne mine. Elle avait le teint fort beau et fort uni, les cheveux d’un châtain clair et très agréable, le nez très bien fait, la bouche bien taillée, l’air noble, doux, enjoué, modeste, et, pour rendre sa beauté plus parfaite et plus éclairante, les plus beaux yeux du monde ; ils étaient noirs, brillants, doux, passionnés, pleins d’esprit : leur éclat avait je ne sais quoi qu’on ne saurait exprimer.

La mélancolie douce y paraissait quelquefois avec tous les charmes qui la suivent. L’enjouement s’y faisait voir à son tour avec tous les attraits que la joie peut inspirer. Son esprit était fait exprès pour sa beauté, grand, doux, agréable, bien tourné. Elle parlait juste et naturellement, de bonne grâce, sans affectation. Elle savait le monde et mille choses dont elle ne se souciait pas de faire vanité. Elle ne faisait point la belle quoiqu’elle eût mille appas inévitables. De sorte que, joignant les charmes de sa vertu à ceux de sa beauté et de son esprit, on pouvait dire qu’elle méritait toute l’admiration qu’on eut pour elle, lorsqu’elle entra dans le temple de la fortune.

« Scaurus demande au devin, s’il ne guérira jamais ? — Vous ne savez, lui répond ce dernier, ce que vous demandez. Vous seriez jeune, beau, adroit, agréable ; mais, après tout, vous ne seriez qu’un homme ordinaire, dont la réputation serait bornée dans le cercle étroit de ses amis. Mais par le changement arrivé en votre personne, vous êtes devenu unique en votre espèce : vous avez réconcilié la joie avec la douleur. Vos ouvrages, par leur ingénieux enjouement et par leur abondance, divertissent toute la terre. Les dieux en vous donnant l’aimable Lyriane vous ont mille fois plus donné qu’ils ne vous ont ôté, quand même vous auriez été plus beau que Pâris. — L’oracle, dit Scaurus en se retirant, ne m’a rien appris de nouveau. »

« Ensuite on appela la belle Lyriane, qui ne voulut rien demander : — Car enfin, dit-elle au sacrificateur, si je dois être heureuse, je le serai infailliblement ; et s’il doit m’arriver quelque malheur, je le saurai assez tôt. — Ce que vous dites est si bien dit, reprit le sacrificateur, terrible pour les femmes, galant pour Lyriane seule, que je ne doute pas que vous ne soyez un jour aussi heureuse que vous méritez de l’être. »

Madame de Maintenon, dans sa haute fortune, n’oublia pas mademoiselle de Scudéry : elle lui fit avoir une pension de 2 000 francs.

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