LA FRANCE PITTORESQUE
Il n’y a point de génie
sans un grain de folie
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Publié le jeudi 23 mai 2013, par Redaction
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Sorte de reproche contre le génie, car on veut que le génie soit toujours sage
 

Nullum magnum ingenium sine mixtura dementiae, dit Sénèque, qui attribue cette pensée à Aristote ; cependant Aristote n’a exprimé cette pensée d’une manière formelle dans aucun de ses ouvrages.

Mais dans un de ses problèmes, il s’est proposé une question qui la renferme implicitement, et qui peut avoir donné lieu au résultat présenté par Sénèque. Cette question est énoncée ainsi : « Pourquoi ceux qui se sont distingués, soit en philosophie, soit en politique, soit en poésie, soit dans les arts, ont-ils tous été mélancoliques ? » (Probl., sect. 30).

Platon fait entendre aussi qu’on se flatte vainement d’exceller dans un art, surtout dans la poésie, si, guidé seulement par les règles, on ne se sent transporté de cette fureur presque divine qui est en ce genre le caractère le plus sensible et le moins équivoque d’une véritable inspiration.

En effet, sans l’enthousiasme, sans cette fièvre de l’âme, il n’est point de productions immortelles dans les arts imitatifs, et un poète, un musicien, un peintre, un statuaire, n’enfantent rien qui frappe, qui émeuve, qui transporte ; en un mot, tout ce qui est sublime, tout ce qui surpasse la nature, est le fruit de l’enthousiasme et quelquefois même d’une sorte de folie dont l’enthousiasme est fort près. L’histoire des beaux arts nous apprend que plusieurs artistes et écrivains célèbres furent sujets à des accès de folie causés par une exaltation d’esprit à laquelle ils durent souvent leurs plus grands succès ; têtes aliénées par l’imagination. Il est sûr que les passions fortes décomposent l’être moral, et lui donnent pour ainsi dire une autre nature ou du moins une autre manière d’être, soit en bien, soit en mal.

C’est là sans doute ce qui a donné lieu au proverbe, qu’on emploie comme une sorte de reproche contre le génie, car on veut que le génie soit toujours sage, sans penser, dit Helvétius, qu’il est l’effort des passions, rarement compatibles avec la sagesse. Pascal remarque à ce sujet, que l’extrême esprit est accusé de folie, et que rien ne passe pour bon que la médiocrité.

Il faut reconnaître pourtant que les grands talents se trouvent rarement dans un homme sans de grands défauts, et que les erreurs les plus monstrueuses ont toujours été l’œuvre des plus grands génies.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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