LA FRANCE PITTORESQUE
Se confesser
comme les cordeliers de Metz
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Publié le vendredi 14 février 2020, par Redaction
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Se battre au lieu de s’expliquer
 

Cette locution proverbiale a dû son origine à un fait historique. Au mois d’octobre 1555, le Père Léonard, gardien d’un couvent de cordeliers à Metz, homme d’un esprit actif et intrigant, qui avait donné de grandes preuves de dévouement aux Français, et qui, à ce titre, avait obtenu d’eux une confiance illimitée, forma le projet de les déposséder de cette ville dont ils s’étaient rendus maîtres trois ans auparavant, et de la livrer, à condition qu’il en serait fait évêque, aux troupes de Charles-Quint cantonnées à Thionville.

Il communiqua son plan à la reine douairière de Hongrie, régente des Pays-Bas, et, après avoir reçu l’assurance qu’elle emploierait de son côté tous les moyens propres à le faire réussir, il s’empressa de le mettre à exécution, de concert avec ses religieux séduits par la perspective des honneurs et des richesses dont il avait su flatter leur ambition. On était loin de soupçonner qu’il n’y eût pas un seul honnête homme parmi ces moines.

Conjuration des Cordeliers : leur exécution en 1555

L’estime publique qui les environnait servit de voile à la perfidie de leurs desseins. Ils introduisirent chez eux un certain nombre de soldats impériaux sous le costume ecclésiastique, en les faisant passer pour des confrères qui venaient assister à un chapitre général. Le succès de ce stratagème semblait garantir celui de la conspiration. Elle était déjà à la veille d’éclater, lorsque de Villevieille, gouverneur de Metz, reçut avis d’un espion, qu’il entretenait à Thionville, que le commandant de cette place avait admis plusieurs cordeliers à des conférences nocturnes, et qu’il s’occupait mystérieusement des préparatifs de quelque expédition importante.

Cette nouvelle fut pour lui un trait de lumière. Il prit à l’instant ses mesures contre toute espèce de surprise, courut visiter le couvent, à la tête de sa garde, et se saisit de tous les traîtres, à l’exception du gardien, qui fut arrêté bientôt après en revenant de Thionville où il était allé mettre la dernière main à son ouvrage. Cet aventurier, réduit par les aveux de quelques-uns de ses complices à l’impossibilité de nier le complot, en révéla les circonstances sans attendre la torture.

Il déclara que la nuit suivante le feu devait être mis en différents quartiers de la ville, et que, dans le temps où les habitants et la garnison auraient été occupés à l’éteindre, un corps ennemi, arrivé à la faveur de l’ombre, aurait escaladé les remparts, tandis que les soldats auxquels il avait donné asile seraient venus seconder cette entreprise, en attaquant brusquement par derrière tout ce qui s’y serait opposé. La terreur et la confusion produites par des événements si imprévus ne pouvaient manquer de faire réussir le complot.

De Villevieille ne se contenta point de l’avoir déconcerté, il voulut encore le faire tourner contre les ennemis. Il alla se mettre en embuscade sur le chemin de Thionville, les tailla en pièces pendant qu’ils s’avançaient avec confiance, et revint triomphant à Metz, où il s’occupa de faire instruire le procès des conspirateurs. La crainte de donner un sujet de joie aux ennemis de l’Église fit tenir quelque temps leur sort indécis. Mais enfin Léonard et vingt de ses moines furent condamnés à la peine capitale.

On rapporte qu’enfermés dans la même chambre et invités à se préparer à la mort en se confessant les uns aux autres, ces malheureux, au lieu d’employer leur temps à ce dernier devoir, éclatèrent en reproches contre leur gardien, le massacrèrent sur la place, dans un accès de désespoir, et maltraitèrent si fort quatre autres religieux, qu’on fut obligé de les transporter sur une charrette avec le corps mort de Léonard jusqu’au lieu de l’exécution. Cette dispute tragique donna lieu à l’expression proverbiale dont on se sert en parlant des gens qui se battent au lieu de s’expliquer.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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