LA FRANCE PITTORESQUE
12 mars 1716 : création d’une Chambre
de justice chargée de poursuivre
les financiers s’étant indûment enrichis
(D’après « Recueil général des anciennes lois françaises,
depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789 » (Tome 21), paru en 1830)
Publié le dimanche 12 mars 2023, par Redaction
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Louis XIV avait laissé les finances chargées d’une dette de deux milliards soixante-deux millions. Le Régent, succédant au pouvoir, recueillit les traditions des règnes précédents, et les mit en pratique. Par un édit enregistré au parlement de Paris le 12 mars 1716, il créa une Chambre chargée de poursuivre les financiers qui s’étaient enrichis dans leurs négociations avec l’État. Voici les premières dispositions de cet édit :

« Les rois nos prédécesseurs ont établi en différents temps des chambres de justice pour réprimer les abus et réparer les désordres commis dans leurs finances ; et cet usage a paru si utile et si nécessaire, que, par l’édit du mois de juin 1625, il a été expressément ordonné qu’il en serait établi de dix ans en dix ans, afin que les malversations des officiers comptables et des gens d’affaires dans la perception, le maniement et la distribution des deniers publics, ne demeurassent jamais impunies.

Édit établissant la Chambre de justice

Édit établissant la Chambre de justice

« Le feu roi de glorieuse mémoire, notre très honoré seigneur et bisaïeul, eut recours au même remède dans les commencements de son règne. Il érigea, par son édit du mois de novembre 1661, une chambre de justice pour la recherche et la punition de ceux qui avaient été les auteurs et les complices des abus et des délits commis dans les finances de l’État, et pour ordonner la restitution des deniers qu’ils avaient indûment perçus, exigés ou détournés.

« L’épuisement où nous avons trouvé notre royaume, et la déprédation qui a été faite des deniers publics pendant les deux dernières guerres, nous obligent de nous servir des mêmes moyens, et d’accorder à nos peuples la justice qu’ils nous demandent contre les traitants et gens d’affaires, leurs commis et préposés, qui par leurs exactions les ont forcés de payer beaucoup au-delà des sommes que la nécessité des temps avait contraint de leur demander ; contre les officiers comptables, les munitionnaires et autres qui, par le crime de péculat, ont détourné la plus grande partie des deniers qui devaient être portés au trésor royal, ou qui en avaient été tirés pour être employés suivant leur destination : et contre une autre espèce de gens, auparavant inconnus, qui ont exercé des usures énormes en faisant un commerce continuel des assignations, billets et rescriptions des trésoriers, receveurs et fermiers généraux.

« Les fortunes immenses et précipitées de ceux qui se sont enrichis par ces voies criminelles, l’excès de leur luxe et de leur faste, qui semble insulter à la misère de la plupart de nos autres sujets, sont déjà par avance une preuve manifeste de leurs malversations ; et il n’est pas surprenant qu’ils dissipent avec profusion ce qu’ils ont acquis avec injustice. Les richesses qu’ils possèdent sont les dépouilles de nos provinces, la substance de nos peuples et le patrimoine de l’État ; bien loin qu’ils en soient devenus légitimes propriétaires, ces manières de s’enrichir sont autant de crimes publics que les lois et les ordonnances ont tâché de réprimer dans tous les temps.

Malversations punies par la chambre de justice de Paris

Malversations punies par la chambre de justice de Paris.
« Par de justes arrêts d’une Chambre établie / Pour punir des faits impunis, /
Ces fripons en perdant l’honneur, les biens, la vie, / Ne perdent pas plus qu’ils ont pris »

« La peine de confiscation de corps et de biens a été prononcée contre les usuriers par celles de 1311, de 1349, de 1545 et de 1579. Sous les règnes de Philippe le Bel, de Louis X et de Charles VII, la concussion et le péculat ont été punis du dernier supplice ; ces mêmes crimes emportent la confiscation de corps et de biens par la disposition de l’ordonnance de François Ier, de 1545, et la déclaration du 3 juin 1701 ordonne que les receveurs, les trésoriers et autres préposés pour le maniement de nos deniers, qui auront employé à leur usage particulier ou détourné les deniers de leurs caisses, seront punis de mort, sans que la peine puisse être modérée par les juges qui en doivent connaître.

« L’exécution de ces lois et de ces ordonnances n’a jamais été plus nécessaire que dans un temps où les crimes qu’elles condamnent ont été portés au dernier excès, et ont causé la ruine presque entière de tous les ordres de notre royaume. C’est ce qui nous détermine à ordonner l’établissement d’une nouvelle chambre de justice composée des officiers de plusieurs de nos cours, avec pouvoir de connaître des crimes, délits et abus qui ont été commis dans les finances de l’État, et à l’occasion des deniers publics, par quelques personnes et de quelque qualité et condition qu’elles soient, et de prononcer à cet égard les peines capitales, afflictives et pécuniaires qu’il appartiendra.

« Les restitutions qui seront ordonnées à notre profit, serviront uniquement à acquitter les dettes légitimes de notre royaume, et nous mettront en état de-supprimer bientôt les nouvelles impositions, de rouvrir à nos peuples les plus riches sources de l’abondance par le rétablissement du commerce et de l’agriculture, et de les faire jouir de tous les fruits de la paix. »

Le pressoir des éponges du roi

Le pressoir des éponges du roi ou La recherche faite par la Chambre de justice établie
en 1716 contre les abus, malversations et péculats commis dans les finances de Sa Majesté.
« Ces sangsues ici pressées / Sont les pirates de la France /
Qui regorgent les flots dorés / De nos trésors en abondance »

Le tableau des restitutions demandées aux traitants fut d’abord de 175 millions. Il entra à peine 15 millions dans le trésor royal. On en fit arrêter un grand nombre. On menaça de mort ceux qui feraient disparaître leurs trésors. Mais le Régent eut bientôt pitié des financiers qu’il faisait poursuivre. Il réduisit les taxes. Les courtisans spéculaient sur les grâces que le Régent accordait.

L’historien Charles de Lacretelle (1766-1855) rapporte dans son Histoire de France pendant le XVIIIe siècle, que « dans leur premier effroi les traitants vinrent implorer l’appui des nobles ; lorsque l’alarme commença à diminuer, les nobles venaient eux-mêmes trouver les traitants, et leur vendaient leur protection au rabais. C’est de ce moment que date une alliance intime de la noblesse avec la finance. Les dames de la cour s’avilirent en trafiquant de leur intercession. Les membres de la chambre ardente se déshonorèrent par leur vénalité.

« Le public se réjouit de l’habileté des traitants à parer les coups qu’on voulait leur porter, et punit avec des chansons et des bons mots, la bassesse et la cupidité de leurs protecteurs. Un partisan taxé à douze cent mille livres, répondit à un seigneur qui lui offrait de l’en faire décharger pour trois cent mille : Ma foi, M. le comte, vous venez trop tard, j’ai fait mon marché avec madame pour cent cinquante mille. Le président de la chambre de justice fut appelé ironiquement Garde des sceaux, parce qu’il s’était approprié de la dépouille du fameux traitant Bourvalais, des seaux d’argent pour rafraîchir les vins et liqueurs et qu‘il avait l’impudence de les produire sur sa table. »

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