LA FRANCE PITTORESQUE
Monter sur l’âne
(Chevauchée de l’âne)
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Publié le lundi 19 septembre 2016, par Redaction
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Punition qu’on infligeait autrefois aux banqueroutiers, aux femmes médisantes, à celles qui étaient infidèles à leurs maris ou qui les battaient, et aux maris débonnaires convaincus de s’être laissé tromper ou battre par elles
 

Tout porte à regarder cette coutume comme une coutume ionienne répandue dans la Gaule par les Massaliotes. Il est du moins constaté que, sur les côtes septentrionales de l’Ionie, l’adultère était puni exactement de la même manière. C’était ce qu’on y avait nommé l’onobasis, c’est-à-dire la promenade sur l’âne, rapporte Fauriel dans son Histoire de la poésie provençale (ch. V).

Cette punition avait lieu plus fréquemment pour les maris que pour les femmes. La vindicte populaire, conformément aux coutumes légalement admises en beaucoup de localités, se saisissait, le dernier jour du carnaval, du pauvre bonhomme dénoncé par la rumeur publique. Il était traduit devant un tribunal composé d’individus qui tenaient à venger l’outrage fait à la dignité virile. Ces juges, revêtus d’un costume grotesque, instruisaient la cause burlesquement, et dès que la sentence avait été prononcée, on procédait sans sursis à son exécution.

La Chevauchée de l'âne

La Chevauchée de l’âne

Le condamné, placé bon gré mal gré sur un âne, la tête tournée du côté de la queue, qu’il tenait en guise de bride, était promené dans toutes les rues, où il recevait des honneurs ridicules. Un étendard formé d’un torchon noirci au four précédait la marche et se balançait devant lui. Deux acolytes soutenaient le patient avec des fourches appliquées sous ses aisselles pour l’empêcher de s’incliner sur sa monture ; d’autres l’encensaient avec des sabots remplis de crottes de l’animal. Quelques-uns prenaient soin de le faire boire de temps en temps, après quoi on lui essuyait la bouche et le visage avec le torchon noirci. Pendant la durée de la promenade le cortège ne cessait de pousser des huées accompagnées d’un bruit étrange de pelles, de chaudrons, de fifres et de cornets.

La scène que nous venons de décrire se passa en 1781. Le patient était un nommé Landouillé, riche laboureur de Varennes. Pour éviter le traitement qu’on lui destinait, il avait quitté son pays et s’était retiré à Ligny, dans une retraite où il croyait n’avoir pas à le craindre. Mais les habitants de cet endroit, avertis par ceux de Varennes, le lui firent subir sans miséricorde. Il intenta un procès aux auteurs principaux de la farce et le perdit.

Millin a décrit une scène semblable, dont il fut témoin oculaire : « Des ris grossiers, dit-il, des cris et des huées attirèrent notre attention. Nous vîmes un homme couvert d’un ample manteau, assis sur un âne, la tête tournée vers la croupe, et tenant à la main la queue de la monture. Deux écuyers, bardés de colliers de mulets chargés de grelots, formaient son escorte, et un cornet à bouquin annonçait son passage. Ce malheureux était un bonhomme qui s’était laissé battre par sa femme. Il eût été plus juste de faire comme à Saint-Julien en Champsaur, où l’on promène ainsi la femme qui a battu son mari, en lui essuyant les lèvres avec la queue de l’âne. » (Voyage dans les départements du Midi, etc.)

Le Journal des Débats du lundi 3 septembre 1842 rapporte un fait qui prouve que l’usage de faire monter sur l’âne les maris battus par leurs femmes n’était pas alors entièrement aboli.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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