LA FRANCE PITTORESQUE
17 décembre 1813 : mort de l’agronome
Antoine Parmentier, promoteur
de la pomme de terre
(D’après « Biographie universelle ancienne
et moderne » (Tome 33), paru en 1823)
Publié le dimanche 17 décembre 2023, par Redaction
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Précurseur de la chimie alimentaire et de l’agrobiologie, Parmentier, dont les contemporains louèrent la bonté, le dévouement, l’activité prodigieuse et un intarissable enthousiasme, marqua l’histoire par son plaidoyer pour l’usage de la pomme de terre dans l’alimentation humaine, ses travaux sur la qualité du pain qui le menèrent à créer une école de boulangerie, et son rôle dans l’organisation pharmaceutique du service de santé sous l’Empire
 

Agronome et philanthrope infatigable, Antoine-Augustin Parmentier naquit le 12 août 1737 à Montdidier (Somme). Privé de son père dès son bas âge, il demeura confié à une mère qui unissait l’élévation du caractère à la culture de l’esprit. Pour suppléer à l’éducation publique, que sa fortune trop modique ne lui permettait pas de procurer à son fils, elle lui transmit des principes de morale, qui ne devaient point s’effacer, avec quelques notions de latin, qu’un honnête ecclésiastique se chargea de compléter.

En 1755, Parmentier, animé du désir de se rendre promptement utile à sa famille, entra chez un apothicaire de Montdidier et passa l’année suivante dans la maison d’un de ses parents, qui exerçait à Paris la même profession. En 1757, il fut pourvu d’une commission de pharmacien dans les hôpitaux de l’armée d’Hanovre. Bayen, chef de cette branche de service, remarqua son activité, son intelligence, son dévouement passionné pour ses devoirs : il devint son ami, et appela sur lui l’intérêt de Chamousset, intendant-général des hôpitaux. Parmentier parvint au rang de pharmacien en second, sous les auspices de ces deux hommes généreux. Dans une épidémie qui ravagea l’armée, et dans tout le cours de la guerre, il donna des preuves multipliées d’une courageuse humanité. Il tomba cinq fois entre les mains de l’ennemi ; et ces chances de la vie des camps tournèrent encore au profit de son instruction.

Parmentier assis dans son cabinet, en habit d'académicien, tenant un bouquet de toutes les plantes qu'il a étudiées. Peinture de François Dumont (1812)

Parmentier assis dans son cabinet, en habit d’académicien, tenant un bouquet
de toutes les plantes qu’il a étudiées. Peinture de François Dumont (1812)

La chimie était particulièrement cultivée en Allemagne ; Parmentier s’y appliqua sous les yeux de Meyer, pharmacien célèbre de Francfort-sur-le-Mein. Il eût pu devenir sou gendre et son successeur, mais il aurait fallu renoncer à son pays, et cette même condition lui fit refuser plus tard la recommandation de d’Alembert, qui voulait le désigner au roi de Prusse pour remplacer Margraff. En 1763, Antoine Parmentier, de retour à Paris, suivit les cours de Nollet, de Rouelle et de Jussieu. En 1766, il emporta au concours la place d’apothicaire-adjoint de l’hôtel des Invalides. Six ans après, les administrateurs, satisfaits de ses services, obtinrent pour lui le brevet d’apothicaire en chef.

L’académie de Besançon ayant proposé, en 1771, pour sujet de son prix, l’indication des substances alimentaires qui pourraient atténuer les calamités d’une disette, il établit, dans un Mémoire qui fut couronné, qu’il était facile d’extraire, de l’amidon d’un grand nombre de plantes, un principe nutritif plus ou moins abondant. Mais l’utilité bornée de ces végétaux négligés l’occupa peu de temps ; et il porta toute son attention sur la propagation des pommes de terre. Cette production si économique, transplantée du Pérou en Europe dès le XVe siècle, cultivée en grand dans l’Italie dès le XVIe et introduite en France par les Anglais pendant nos longues guerres de Flandre, avait été multipliée avec succès dans nos provinces méridionales ; et Turgot en avait étendu la culture dans le Limousin et l’Anjou.

Mais une prévention aveugle arrêtait ailleurs les effets heureux de cet exemple. De vieux praticiens répandirent, non plus que la pomme de terre était susceptible d’engendrer la lèpre, comme on l’avait dit au XVIe siècle, mais bien qu’elle pouvait devenir une cause de fièvres nombreuses. Le contrôleur-général des finances crut de son devoir d’opposer à cette erreur une réfutation émanée de la faculté de médecine. Parmentier entreprit à son tour d’éclairer, par les leçons de l’expérience, des adversaires qui ne l’avaient point consultée. En 1778, il publia un Examen chimique de la pomme de terre ; et, reproduisant ses observations dans plusieurs autres écrits, il démontra que l’homme pouvait trouver un aliment délicat dans la fécule de cette racine, que l’ignorance abandonnait exclusivement aux animaux. II établit, avec la même évidence, que l’accusation d’appauvrir le terrain, dirigée contre cette solanée, n’avait pas le moindre fondement ; qu’au contraire, elle triomphait des terrains les plus ingrats et promettait des résultats abondants et assurés propres à déjouer les spéculations des accapareurs.

Ces moyens ne lui semblèrent point assez directs pour vaincre la tiédeur que rencontrait son opinion. Il obtint du gouvernement, pour une expérience en grand, qui ne pouvait manquer de frapper toute la capitale, cinquante-quatre arpents de la plaine des Sablons, jusque-là condamnés à une stérilité absolue. Il ensemença ce sol aride ; sa confiance fut traitée de folie. Enfin les fleurs commencèrent à paraître et déconcertèrent les incrédules : Parmentier en composa un bouquet, et alla solennellement en faire hommage au roi, qui avait favorisé son entreprise. Louis XVI accepta les fleurs nouvelles avec empressement, et en para sa boutonnière. L’éclatant suffrage du monarque conquit à la pomme de terre les suffrages des courtisans ; et les habitants des provinces, imitateurs des gens de cour, firent demander à Parmentier des semences pour leurs domaines.

Cet essai, qui fut répété dans la plaine de Grenelle, fournit au gouvernement les moyens de répandre dans toutes les provinces les précieuses semences qu’il voulait multiplier. Parmentier, avant d’étonner les Parisiens par le spectacle d’une végétation inattendue, leur avait révélé les avantages que sa plante chérie promettait à l’économie domestique. Il avait essayé aux Invalides, sous les yeux de Franklin, un procédé pour obtenir un pain savoureux de la pulpe et de l’amidon de la pomme déterre, combinés à égale portion, sans aucun mélange de farine. Le premier il parvint à ce résultat, et il communiqua gratuitement aux pâtissiers de la capitale le secret de fabriquer le gâteau de Savoie. Un dîner dont tous les apprêts, jusqu’aux liqueurs, consistaient dans la pomme de terre déguisée sous vingt formes différentes, réunit de nombreux convives : leur appétit ne fut point en défaut, et les louanges qu’ils donnèrent à l’amphitryon tournèrent à l’avantage de la merveilleuse racine.

Grâce aux efforts et à la persévérance d’Antoine Parmentier, la pomme de terre prit enfin le rang qui lui appartenait parmi nos richesses agricoles. François de Neufchâteau proposa de substituer au nom impropre de cette solanée, celui de Parmentière. En 1784, un programme de l’Académie de Bordeaux engagea Parmentier à entreprendre un travail complet sur le maïs ou blé de Turquie. Dans un Mémoire auquel ne pouvait manquer le prix, il traita de la culture de cette céréale, de l’emploi des tiges en fourrages, des semences, de la manière de les conserver intactes dans des sacs isolés, et de faire du bon pain avec leur farine, enfin de diverses applications utiles confirmées par l’expérience. II épuisa, dans un autre ouvrage, toutes les notions qui concernent la châtaigne.

L’année 1785 ayant été désastreuse par la mortalité des bestiaux qu’occasionna la disette des fourrages et par la moucheture des blés, le gouvernement s’occupa du soin de réparer ces calamités, et fit rédiger des instructions sommaires où étaient indiquées les diverses ressources que comportent les localités. Un grand nombre de ces instructions sortirent de la plume de Parmentier ; et il fut encore chargé de l’approvisionnement des bâtiments de l’expédition de La Pérouse.

Mais il rendit des services d’une toute autre importance en perfectionnant la boulangerie. Dès 1774, il avait fait un voyage dans l’intérieur de la France, pour reconnaître les causes de la mauvaise qualité du pain : il propagea la mouture économique, dont l’emploi augmente d’un sixième le produit de la farine ; et, secondé par Cadet de Vaux, il répandit les bonnes traditions dans la Bretagne, où une médaille fut frappée en mémoire de cette mission philanthropique. De retour à Paris, il décida le gouvernement à ouvrir une école pratique de boulangerie, qui fut placée sous sa direction, et il résuma tous ses principes dans son Parfait boulanger, ou Traité complet sur la fabrication et le commerce du pain (1778). Le boulanger de la cour, se méprenant sur l’activité désintéressée de Parmentier, crut qu’il en voulait à sa place, et fit des démarches pour se prémunir contre ce prétendu concurrent : on eut beaucoup de peine à dissiper ses craintes.

Antoine Parmentier offre une fleur de pomme de terre au roi Louis XVI

Antoine Parmentier offre une fleur de pomme de terre au roi Louis XVI

Dans les premiers jours de la Révolution, le souvenir des travaux de Parmentier l’exposa encore à une étrange défaveur. On parlait, dans une assemblée d’électeurs, de le nommer à des fonctions municipales : « Gardez-vous en bien, s’écria une voix, il ne nous fera manger que des pommes de terre ; c’est lui qui les a inventées. » Cependant la pomme de terre trouva grâce devant les niveleurs de 1793 : ils la préconisèrent avec une prédilection mesurée sur les dédains qu’elle avait éprouvés de la part des riches ; et Chaumette annonça le projet de planter ce fécond tubercule sur toute la surface des jardins du Luxembourg et des Tuileries.

Cette bienveillance ne s’étendit point d’abord à Parmentier. Ses rapports avec l’ancien gouvernement, lesquels pourtant n’avaient eu pour objet que des vues de prospérité générale, les places dont il jouissait, et l’accueil particulier qu’il avait reçu de Louis XVI, le rendirent quelque temps suspect. Il se tint à l’écart ; mais le besoin que l’on eut des savants pour seconder un immense développement militaire, le fit bientôt rappeler à un service actif. Il fut chargé de surveiller les salaisons destinées à la marine ; et il s’occupa eu même temps de la préparation du biscuit de mer. Sous le règne de la Terreur, il arracha à un désespoir dangereux Deyeux, son ancien collaborateur et son ami, en l’éloignant du théâtre de proscription où ce savant avait vu périr son frère.

En 1796, il fut porté sur la liste de l’Institut, formé par le nouveau Directoire. Sous le gouvernement consulaire, il fut appelé à la présidence du conseil de salubrité du département de la Seine, et remplit avec son zèle accoutumé les fonctions d’inspecteur général du service de santé et d’administrateur des hospices. Il améliora le pain du soldat et rédigea un Code pharmaceutique, généralement adopté pour les hospices civils, les secours à domicile et les infirmeries des maisons d’arrêt. La Société d’agriculture l’envoya en Angleterre, avec Huzard, après la paix d’Amiens, pour rouvrir les communications scientifiques entre les deux pays : il y fut honoré comme un digne représentant de l’agriculture française.

Il ne demeura point étranger a la propagation de la vaccine ; et il indiqua les moyens de rendre les soupes économiques aussi saines qu’agréables au goût. Le prix élevé auquel était maintenu le sucre par le système du blocus continental, ayant suggéré des expériences dont le but était de suppléer en partie aux denrées coloniales par des produits indigènes, Parmentier reconnut les avantages d’un sucre liquide, extrait du moût de raisin. Il fut, à la vérité, le continuateur des procédés d’un médecin français, le docteur Proust, qui avait fait en Espagne les premiers essais sur cette matière ; mais il se les appropria par de nombreuses applications aux détails de l’économie domestique et des hôpitaux. Le sirop de raisin, pour la composition des ratafias, compotes, raisinés et autres conserves, soutint la concurrence avec le sucre fourni par la betterave.

Dans les dernières années de sa vie, Parmentier fut douloureusement affecté par la perte de sa sœur, qui lui avait épargné les soucis du célibat, et l’avait constamment secondé dans ses travaux. Le sort des soldats français blessés, que Bonaparte, dans ses désastres, abandonnait au désordre des ambulances, fut pour Parmentier une nouvelle source d’amertume. Il parut morose et frondeur : une affection chronique de poumons contribua sans doute à l’aigrir encore. Sa passion pour le travail ne se refroidit pas, lors même que ses forces s’y refusèrent. Dans ses derniers jours, il disait aux deux neveux qui soignaient sa vieillesse : « Je voudrais du moins faire l’office de la pierre à aiguiser, qui ne coupe pas, mais qui dispose l’acier à couper. »

Parmentier mourut le 17 décembre 1813. Il s’était montré sévère dans ses fonctions d’inspecteur du service de santé aux armées. Dans la vie privée, la brusquerie de ses manières contrastait souvent avec son caractère porté à la bienveillance. On fut quelquefois autorisé à l’appeler un Bourru bienfaisant.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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