LA FRANCE PITTORESQUE
16 décembre 1745 : mort
de l’abbé Desfontaines
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Publié le samedi 15 décembre 2012, par Redaction
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Pierre-François Guyot Desfontaines, né à Rouen en 1685, d’un conseiller au parlement, entra d’abord chez les jésuites, dont il sortit ensuite pour se livrer avec plus d’indépendance à la littérature.

L’abbé Bignon lui confia en 1724 le Journal des Savants, mort de la peste, comme on disait alors, parce que les prédécesseurs de l’abbé Desfontaines, dans ce travail, ne le remplissaient que d’extraits de livres sur la peste de Marseille. Le nouveau journaliste ranima ce cadavre : quelques ennemis qu’il s’était faits par des critiques amères le firent enfermer à Bicêtre sur des accusations infâmes. Il fut relâché par le crédit de Voltaire. Ces deux hommes, depuis si acharnés l’un contre l’autre, étaient alors amis : quelques plaisanteries du journaliste sur la tragédie de la Mort de César, indisposèrent le poète, et furent te signal d’une guerre déclarée.

L’abbé Desfontaines était un fécond écrivain ; outre le Nouvelliste du Parnasse, les Observations sur les écrits modernes, les Jugements sur quelques ouvrages nouveaux, les Traductions de Virgile et des Odes d’Horace, une foule de pamphlets contre différents auteurs, on a de lui le Racine vengé, contre l’abbé d’Olivet, la Traduction des Voyages de Gulliver, du docteur Swift, à laquelle il a joint un nouveau Gulliver qui ne vaut pas l’ancien. Il a eu part à la traduction de l’ouvrage de de Thou, à celle de l’Histoire Romaine de Laurent Echard. Il a travaillé à une Histoire des révolutions de Pologne ; enfin il a voulu aussi être poète. Il avait fait des poésies sacrées, dont il rappelait de temps en temps le souvenir à ses lecteurs dans ses feuilles, et que les lecteurs s’obstinaient toujours à oublier.

Dans ce débordement de vers dont Paris fut inondé en 1744, à l’occasion de la convalescence de Louis XV, il parut une Ode à la Reine, que l’abbé Desfontaines annonça et vanta beaucoup : il en cita un grand nombre de strophes dans lesquelles le poète se disait vieux, sur quoi Desfontaines s’écriait : « Quel vieux poète avons-nous qui fasse ainsi des vers ! n’est-ce point un jeune homme qui cherche à se cacher sous les rides de la vieillesse ? Mais la vieillesse peut-elle prévenir en faveur du talent ? »

C’était une énigme qu’il ne pouvait deviner, et qu’il proposait au lecteur. Dans sa feuille suivante, il se fit adresser une lettre, où, en confirmant tous les éloges donnés aux strophes citées, on lui demande pourquoi il n’en a pas cité plusieurs autres qu’on assure n’être pas moins belles, et pour réparer sa faute, on les cite. Par cet heureux artifice, le lecteur a en deux parties l’ode presque entière.

Par un autre artifice, l’auteur de la lettre hasarde sur un endroit de l’ode une ou deux critiques évidemment injustes, auxquelles l’abbé Desfontaines n’a pas de peine à répondre. Voici maintenant le mot de l’énigme. L’ode est mauvaise, et elle est de l’abbé Desfontaines. La fraude fut découverte, et le public ne fit qu’en rire. L’abbé Desfontaines l’avait habitué à son badinage.

Sa traduction de Virgile a eu pendant longtemps une grande vogue ; mais dans cette version froide et inexacte, on ne trouve pas même disjecti membra poetae. Toute image est détruite, toute couleur effacée, tout sentiment étouffé ; il ne rend jamais que le fond général du sens de l’auteur ; il réduit tout aux éléments de l’idée, à ce canevas défectueux qui n’offre rien aux sens, et sur lequel Virgile déploie en vain pour lui toute la sensibilité de son âme, toutes les richesses de son imagination, toutes les combinaisons de la plus savante harmonie.

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