LA FRANCE PITTORESQUE
4 décembre 1642 : mort du
cardinal de Richelieu
(D’après « Les siècles littéraires de la France, ou Nouveau dictionnaire
historique, critique et bibliographique de tous les écrivains
français, morts et vivants, jusqu’à la fin du
XVIIIe siècle » (Tome 5), paru en 1801)
Publié le lundi 4 décembre 2023, par Redaction
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Louis XIII, qui reprochait jusqu’à ses moeurs à Richelieu, se fit quelque peine de l’admettre dans le ministère ; mais celui-ci supplanta bientôt les autres pour devenir le premier, et c’est à cette place qu’il foudroya plutôt qu’il ne gouverna la France, jamais ministre ne faisant de plus grandes choses et ne surmontant plus d’obstacles pour les faire
 

Né le 9 septembre 1585 à Paris, Armand du Plessis de Richelieu reçut de la nature les dispositions les plus heureuses. Son éducation ayant été confiée à des maîtres habiles, il parut un grand homme dès son enfance. Après avoir fait ses études en Sorbonne, il passa à Rome, et y fut sacré évêque de Luçon en 1607, âgé seulement de 22 ans. On dit que pour avoir ses bulles, il trompa le pape Paul V, et qu’après lui avoir fait accroire qu’il avait près de 24 ans, il lui demanda l’absolution de ce mensonge. On ajoute que le pontife dit : « Ce jeune évêque a de l’esprit ; mais ce sera un jour un grand fourbe. »

Revenu en France, il s’avança à la cour par son esprit insinuant, par ses manières engageantes, et surtout par la faveur de la marquise de Guercheville, première dame d’honneur de la reine Marie de Médicis, alors régente du royaume. Cette princesse lui donna la charge de son grand aumônier, et peu de temps après celle de secrétaire d’État. Les lettres-patentes, datées du 30 novembre 1616, portaient qu’il aurait la préséance sur les autres ministres ; mais il ne jouit pas longtemps de sa faveur. La mort du maréchal d’Ancre, son protecteur et son ami, lui ayant occasionné une disgrâce, il se retira auprès de la reine mère à Blois, où elle était exilée.

Le cardinal de Richelieu, d'après une peinture de Philippe de Champaigne (1602-1674)

Le cardinal de Richelieu, d’après une peinture de Philippe de Champaigne (1602-1674)

Cette princesse était brouillée avec son fils ; Richelieu profita de cette division pour rentrer en grâce. Il ménagea l’accommodement de la mère et du fils, et la nomination au cardinalat fut la récompense de ce service. Le duc de Luynes, qui l’avait d’abord exilé a Avignon, le lui promit, lui tint parole, et donna sou neveu Combalet à Mlle de Wiguerod, depuis duchesse d’AiguilIon. Après la mort de ce favori, la reine, mise à la tête du conseil, y fit entrer Richelieu. Elle comptait gouverner par lui, et ne cessait de presser le roi de l’admettre dans le ministère.

Presque tous les mémoires de ce temps-là font connaître la répugnance de ce prince, qui traitait alors de fourbe celui en qui depuis il mit toute sa confiance. Louis XIII lui reprochait jusqu’à ses mœurs, et ce n’était pas sans raison. Les galanteries du cardinal étaient éclatantes, accompagnées même de ridicule. Il s’habillait en cavalier, et après avoir écrit sur la théologie, il faisait l’amour en plumet. On prétend qu’il porta l’audace de ses désirs, ou vrais ou affectés, jusqu’à la reine régnante, Anne d’Autriche, et qu’il en essuya des railleries qu’il ne lui pardonna jamais. Il poussa la petitesse jusqu’à faire soutenir chez sa nièce des Thèses d’amour, dans la forme des thèses de théologie qu’on soutenait sur les bancs de Sorbonne.

Louis XIII, prince pieux, se fit donc quelque peine d’admettre Richelieu dans le ministère ; mais celui-ci vainquit tous les obstacles, et supplanta bientôt les autres ministres. Le surintendant la Vieuville, qui lui avait prêté la main pour monter à sa place, en fut écrasé le premier, au bout de six mois. Richelieu devenu premier ministre s’assit sur le trône à côté de son maître ; et c’est de là, comme dit un auteur célèbre, qu’il foudroya plutôt qu’il ne gouverna la France. Jamais ministre ne fit de plus grandes choses, et ne surmonta plus d’obstacles pour les faire. Trois objets l’occupèrent particulièrement, les grands du royaume, les huguenots, et la maison d’Autriche. Il s’appliqua à rendre les uns plus soumis, les autres moins formidables ; enleva aux grands la meilleure partie de leurs privilèges réels ou usurpés ; aux huguenots, leurs places de sûreté ; à la maison d’Autriche, des provinces entières, et par-là il contribua également à la puissance du roi et à celle du royaume.

Mais que penser des moyens qu’il mit en œuvre pour parvenir à ses fins ? Qui oserait entreprendre de les justifier tous sans exception ? Qui pourrait se rendre l’apologiste de son faste qui éclipsait celui de son maître ; de son orgueil qu’il portait jusqu’à prendre le pas même au-dessus des princes du sang ; des intrigues qu’il employa pour soulever les peuples voisins contre leurs souverains légitimes ; de son ambition qui lui fit rechercher et rassembler sur sa tête les dignités si peu assorties d’évêque, de cardinal, de premier ministre, de généralissime des armées, de surintendant du commerce et de la marine ; des violences qu’il exerça envers tous ceux qui s’opposaient ou paraissaient vouloir s’opposer à ses vues ?

Richelieu eut beaucoup de force dans le caractère, beaucoup d’étendue dans l’esprit, beaucoup d’élévation dans l’âme ; mais il répandit trop la terreur autour du trône : il sépara trop le roi de ses sujets et de ses parents ; il fut trop ingrat envers Marie de Médicis, premier auteur de sa fortune ; et l’on ne voit pas que ses violences aient produit d’autre effet que celui que les violences ont coutume de produire, c’est-à-dire la haine, la révolte et les conjurations. Le supplice du comte de Chalais, du maréchal de Marillac, de Saint-Preuil ; la fuite de la reine-mère à Bruxelles, la retraite de Monsieur en Lorraine, le supplice du maréchal de Montmorency, de ce seigneur si intéressant, si généreux, si digne de grâce par les services de ses pères, par les siens, par ses talents, par ses vertus : tous ces violents effets de la vengeance de Richelieu n’empêchèrent pas les grands d’entrer dans les complots toujours renaissants qui se formaient contre lui, et de servir en tome occasion la haine de la reine-mère et de Monsieur contre ce ministre.

Au siège de Corbie, le comte de Soissons, Montrésor, Saint-Ibal allaient délivrer Monsieur de cet implacable ennemi, si Monsieur lui-même, au moment fixé pour l’exécution, et lorsque les bras se levaient pour frapper, ne les eût retenus par l’horreur que lui inspira l’idée de verser le sang d’un prêtre.

Urbain Grandier brûlé vif pour cause de magie ; Grancei et Praslin mis à la Bastille pour de mauvais succès à la guerre ; le duc de la Valette décapité en effigie pour le même sujet ; la cour des aides et le parlement de Rouen interdits ; le parlement de Paris menacé ; l’intrépide et vertueux Mole, procureur-général, décrété : tous ces coups d’autorité révoltaient plus qu’ils n’effrayaient, et tous les ennemis du gouvernement avaient pour eux la faveur publique.

Ceux qui ont voulu justifier Richelieu, sont partis d’une supposition absolument fausse : ils ont jugé que la rigueur avait été nécessaire, parce qu’elle avait été efficace ; opinion démentie par l’histoire entière de la vie de Richelieu. On s’est faussement imaginé qu’il avait dompté les grands, parce qu’il avait fait tomber beaucoup de têtes illustres ; ce qui n’est pas la même chose.

La conjuration de Cinq-Mars fut la dernière qu’il eut à punir, trois mois avant sa mort ; et si dans ce dernier intervalle on ne vit point éclater de conjurations nouvelles, c’est que dans l’état de dépérissement où on le voyait, la haine se reposait sur la nature, du soin de le détruire. Louis XIII, en lui abandonnant les rênes du gouvernement, ne lui donna jamais son affection. En apprenant qu’il venait d’expirer, il se contenta de dire froidement : Voilà un grand politique de mort.

Le Palais-Royal avait été bâti par le cardinal de Richelieu, sous le nom de Palais-Cardinal ; il en fit don au roi. Il voulut que sa sépulture même se ressentît de la grandeur avec laquelle il avait vécu. Il fut inhumé dans l’église de la Sorbonne, qu’il avait relevée avec une magnificence vraiment royale. Le mausolée qu’on y voyait, était le chef-d’œuvre du célèbre Girardon. De toutes les épitaphes que lui firent les poètes du temps, nous ne rapporterons que celles de Benserade, à qui il faisait une pension, et de Corneille, dont il fut à la fois le bienfaiteur et l’ennemi :

Ci-gît, oui gît, morbleu,
Le cardinal de Richelieu,
Ah ! ce qui cause mon ennui,
Ci-gît ma pension avec lui.
(Benserade)

Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal,
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien.
(Corneille)

Par allusion au bien et au mal qu’on a dit de lui, et par allusion aussi à la Sorbonne, on a prétendu que la seule épitaphe qui lui convenait était celle-ci : Magnum disputandi argumentum (Ci-gît un grand sujet de dispute)

Louis XIII. Illustration du XIXe siècle

Louis XIII. Illustration du XIXe siècle

Charlotte de Montmorency, mère du grand Condé, sœur du maréchal de Montmorency, décapité à Toulouse, étant allé un jour en Sorbonne voir le mausolée du cardinal, lui adressa ingénieusement ces paroles de l’Evangile : Domine, si fuisses hic, frater meus non fuisset mortuus (Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne fût pas mort).

Le tsar Pierre étant en France, fut conduit en Sorbonne, où on lui montra le fameux mausolée. Il n’eut pas plus tôt aperçu la statue de Richelieu, qu’il s’élança pour l’embrasser, en s’écriant : « Ah ! que n’es-tu en vie ! je te donnerais la moitié de mon empire, pour m’apprendre à gouverner l’autre. » « Il ne vous laisserait pas longtemps cette autre moitié », lui dit un grand seigneur de sa suite.

On sait que le cardinal de Richelieu voulut avoir la même influence dans le monde littéraire que dans le monde politique. Son plus beau titre littéraire est l’établissement de l’Académie française. L’homme de lettres, dès les premiers pas qu’il faisait dans la carrière, fixait ses regards sur le but, et s’animant à cet aspect, faisait des efforts dont il eût été incapable sans cet objet d’ambition. Il n’y avait qu’un ministre plein de lumières qui pût saisir tous les avantages résultant de ce mélange de gens de lettres et de gens de la cour, mélange qui flattait et honorait les uns et les autres, qui entretenait à la cour le goût du savoir, et qui donnait aux gens de lettres plus de politesse, plus d’aménité, un tact plus fin, et un goût plus sûr.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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