LA FRANCE PITTORESQUE
25 novembre 885 : siège de
Paris par les Normands
(D’après « Histoire générale de France depuis les temps les
plus reculés jusqu’à nos jours » par Abel Hugo (Tome 2), paru en 1837)
Publié le samedi 25 novembre 2023, par Redaction
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Après leur défaite par les milices de la Neustrie, en 884, les Normands restèrent pendant une année sans reparaître sur les rives de la Seine. Ils y revinrent en 885, et entrèrent dans le fleuve avec sept cents vaisseaux à voiles, et un nombre d’autres petits navires si considérable qu’ils « couvraient les eaux de la Seine sur un espace d’un peu plus de deux lieues ».
 

La flotte ennemie était sous les ordres de Sigfried, chef viking auquel les historiens contemporains donnent le titre de roi. Elle remonta la Seine. Arrivé près de Paris, Sigfried, avec quelques-uns de ses compagnons, se présenta le 25 novembre 885 devant l’évêque Gozlin et le comte Eudes — qui deviendra roi des Francs en 888 —, fils de Robert le Fort — ancêtre de la lignée des futurs Capétiens — et qui était chargé de la défense de la cité ; il leur demanda de laisser ses vaisseaux franchir les deux bras de la Seine, barrés par les ponts fortifiés qui joignaient alors Paris à ses faubourgs ; il promettait, si cela lui était accordé, de ne causer aucun dommage aux Parisiens, et de porter plus loin ses dévastations. L’évêque et le comte repoussèrent généreusement la demande du roi normand, qui se retira en proférant d’horribles menaces contre les défenseurs de Paris.

« Le lendemain [26 novembre], rapporte le moine Abbon de Saint-Germain-des-Prés qui fut un témoin oculaire du siège, et dès le lever de l’aurore, Sigfried entraîne les Normands au combat. Tous se jettent hors de leurs navires, courent vers la tour [la tour dont il est ici question existait sur remplacement où s’éleva plus tard le grand châtelet, et servait de tête au pont principal], l’ébranlent violemment par leurs coups jusque dans ses fondements, et font pleuvoir sur elle une grêle de traits. La ville retentit de cris, les citoyens se précipitent, les ponts tremblent sous leurs pas, tous volent et s’empressent de porter des secours à la tour. Ici brillent, par leur valeur, le comte Eudes, son frère Robert [qui deviendra roi des Francs sous le nom de Robert Ier en 922 — et le comte Ragenaire [Ragenold, comte du Maine et marquis de Neustrie] ; là se fait remarquer le vaillant abbé Ebble, neveu de l’évêque. Le prélat est légèrement atteint d’une flèche aiguë ; Frédéric, guerrier à son service, dans la fleur de l’âge, est frappé du glaive ; le jeune soldat périt ; le vieillard, au contraire, guéri de la main de Dieu, revient à la santé.

Siège de Paris par les Normands

Siège de Paris par les Normands

« Beaucoup des nôtres voient alors leur dernier jour ; mais, de leur côté, nos braves Parisiens font aux ennemis de cruelles blessures ; les Normands se retirent enfin, emportant une foule des leurs à qui reste à peine un souffle de vie. Déjà le soleil avait cessé de briller sur l’horizon... La tour ne présentait plus rien de sa forme primitive et complète ; il n’en restait que les fondements et les créneaux inférieurs ; mais, pendant la nuit même qui suivit le combat, cette tour fut revêtue dans toute sa circonférence de fortes planches, et s’éleva beaucoup plus haut qu’auparavant. Une nouvelle citadelle fut pour ainsi dire posée sur l’ancienne.

« Le lendemain encore [27 novembre], le soleil et les Danois saluent en même temps et de nouveau la tour ; les Normands livrent aux fidèles Parisiens d’horribles et cruels combats. De toutes parts les traits volent, le sang ruisselle ; du haut des airs, les frondes et les pierriers déchirants mêlent leurs coups aux javelots... La ville s’épouvante, les citoyens poussent de grands cris, les clairons les appellent à venir sans retard secourir la tour tremblante. Les chrétiens combattent avec un ferme courage.

« Parmi nos guerriers, deux, plus hardis que les autres, se font remarquer : l’un est comte, l’autre abbé. Le premier, le victorieux Eudes, ranime l’ardeur des siens et rappelle leurs forces épuisées ; il parcourt incessamment toutes les parties de la tour et écrase les assaillants. Ceux-ci tâchent de couper le mur à l’aide de la sape, mais il les inonde d’huile, de cire, de poix enflammées ; mêlées ensemble, elles coulent en torrents d’un feu liquide, dévorent, brûlent et enlèvent les cheveux des ennemis. Plusieurs Danois expirent dans d’horribles tourments ; d’autres sont forcés de chercher un secours à leurs maux dans les ondes du fleuve. Les chrétiens s’écrient ironiquement en les y voyant courir : Malheureux brûlés, courez vers les flots de la Seine, tâchez qu’ils vous fassent repousser une autre chevelure mieux peignée...

« L’abbé Ebble se montre le digne compagnon et le rival en courage d’Eudes. D’un seul javelot il perce sept Danois à la fois, et ordonne, par raillerie, qu’on les porte à la cuisine. Nul ne devance ces deux guerriers (Eudes et Ebble) au combat, nul n’ose se placer au milieu d’eux, nul même ne les approche et n’est à leur côté, tous les autres cependant méprisent la mort et se conduisent vaillamment. Mais que peut une seule goutte d’eau contre des milliers de feux ?

Les barques des Normands. Gravure pour l'Histoire de France de François Guizot, par Alphonse-Marie-Adolphe de Neuville

Les barques des Normands. Gravure pour
l’Histoire de France de François Guizot,
par Alphonse-Marie-Adolphe de Neuville

« Les braves fidèles étaient à peine deux cents, et les ennemis, au nombre de quarante mille, renouvelaient les uns après les autres leurs attaques contre la tour... Les cruels redoublent sans cesse les fureurs de la guerre ; des clameurs et des frémissements s’élèvent dans l’air ; de grands cris frappent le ciel ; les boucliers peints tremblent sous les pierres qui les accablent ; Ies écus gémissent sous les coups, les casques crient, percés par des traits. Bientôt les cavaliers, revenant du pillage, accourent se joindre au combat ; frais et rassasiés de nourriture, ils marchent vers la tour : et beaucoup d’entre eux, frappés et mourants, regagnent leurs vaisseaux, sans avoir eu le temps de lancer contre la tour leurs pierres et leurs traits.

« Quant à ceux qui cherchent un remède à leurs brûlures dans les douces ondes du fleuve, les Danoises, en les voyant, s’arrachent les cheveux, fondent en larmes, et chacune crie à son époux : Où cours-tu ? Fuis-tu d’une fournaise, pour fuir ainsi ? Quoi ! fils du démon, aucun effort victorieux ne pourra-t-il te rendre maître de cette tour ? Ne t’ai-je pas assez gorgé de vin, de pain et de venaison ? Pourquoi, sitôt épuisé de fatigues, cherches-tu ici un abri ? Honte à toi, vil glouton, et à tous ceux qui comme toi renoncent au combat.

« Cependant un fourneau, tracé avec adresse, étend ses sinuosités sous le pied de la tour, et de sa bouche vomit de cruels désastres [Abbon décrit une espèce de mine alors en usage. On creusait sous les remparts qu’on voulait renverser des galeries souterraines dont la voûte était soutenue par des piliers en bois, puis on mettait en même temps le feu à tous les piliers, les galeries s’affaissaient et les remparts s’écroulaient]. La brèche qu’il a faite, les assiégeants s’efforcent de l’agrandir, en coupant le bas du rempart. Tout à coup se laisse voir une ouverture funeste, large, immense. Les guerriers chrétiens se montrent à tous les yeux ; ils voient les ennemis couverts de casques, eux-mêmes sont vus des assiégeants ; leurs regards peuvent compter un à un les Danois, qui n’osent entrer dans la tour, et que la frayeur repousse de ce fort que leur audace n’a pu emporter.

« Bientôt on lance sur eux, du haut de la tour, le moyeu arrondi d’une roue, qui précipite dans les enfers six hommes à la fois. L’ennemi attache alors aux portes de la tour des matières enflammées. Un horrible bûcher s’élève, une noire fumée étend ses nuages sur nos guerriers ; la forteresse est enveloppée d’ombres épaisses, mais seulement pendant une heure environ ; puis le vent rabat la fumée du côté des ennemis. Le feu s’éteint ensuite... Le combat recommence avec plus de violence ; deux porte-enseignes accourent de la ville et montent sur la tour, portant sur leurs lances le drapeau couleur de safran, si redoutable aux yeux des Danois ; cent catapultes de leurs coups rapides étendent, privés de sang et de vie, les corps de cent ennemis, et ces morts, traînés par les cheveux, vont revoir leurs vaisseaux et y chercher un dernier asile...

« Le brave chevalier Robert, heureux jusqu’alors, expire frappé d’un trait cruel ; là, périssent aussi, de notre côté, quelques hommes du commun, mais en petit nombre, grâces à la bonté de Dieu. Honteux alors comme un loup dévorant qui, n’ayant pu se saisir d’aucune proie, regagne le plus épais du bois, les assiégeants prennent la fuite en toute hâte et pleurent la perte de trois cents des leurs. »

Ces deux combats avaient eu lieu les 26 et 27 novembre 885 ; malgré le double échec qu’ils venaient d’éprouver, les Normands ne renoncèrent cependant point à leur entreprise, établissant leur camp près de Paris et lançant une nouvelle attaque en janvier 886.


Siège de Paris par les Normands

Les Normands donnèrent à la ville huit assauts successifs, l’assiégèrent pendant plus de treize mois, en pillèrent et en dévastèrent tous les environs. C’est seulement alors que le roi Charles le Gros vint enfin au secours des Parisiens, à la tête d’une armée qu’il fit camper sous Montmartre ; mais, n’osant risquer une bataille, il conclut, le 30 novembre 886, un traité honteux, par lequel il s’engageait à donner aux Normands quatorze cents marcs d’argent, payables en mars 887.

Cet acte contribua à discréditer la dynastie carolingienne et à favoriser l’avènement de ce qui deviendra la dynastie capétienne. L’évêque Gozlin était mort pendant le siège. Eudes monta sur le trône, du vivant même de Charles le Gros. Les Normands, ayant remonté leurs barques par terre au-dessus de Paris, allèrent piller tous les pays arrosés par la Seine et autres rivières : au terme fixé, ils se présentèrent pour toucher la somme promise, et ne reparurent plus. Cette visite des barbares avait été la dernière.

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