LA FRANCE PITTORESQUE
14 octobre 1670 : première représentation
du Bourgeois Gentilhomme
à Versailles, devant Louis XIV
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Publié le jeudi 6 octobre 2016, par Redaction
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Le Bourgeois Gentilhomme est un des plus heureux sujets de comédie que le ridicule des hommes ait jamais pu fournir : la vanité, attribut de l’espèce humaine, fait que des princes prennent le titre de rois, que les grands seigneurs veulent être princes ; et comme le dit La Fontaine :

Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.

Cette faiblesse est précisément la même que celle d’un bourgeois qui veut être homme de qualité ; mais la folie du bourgeois est la seule qui soit comique, et qui puisse faire rire au théâtre : ce sont les extrêmes disproportions des manières et du langage d’un homme avec les airs et les discours qu’il veut affecter, qui font un ridicule plaisant.

Représentation du Bourgeois Gentilhomme

Représentation du Bourgeois Gentilhomme

Cette espèce de ridicule ne se trouve point dans des princes ou dans des hommes élevés à la cour, qui couvrent toutes leurs sottises du même air et du même langage ; mais ce ridicule se montre tout entier dans un bourgeois élevé grossièrement, et dont le naturel fait à tout moment un contraste avec l’art dont il veut se parer. C’est ce naturel grossier qui fait le plaisant de la comédie ; et voilà pourquoi ce n’est jamais que dans la vie commune qu’on prend les personnages comiques. Si Le Misanthrope est admirable, Le Bourgeois Gentilhomme est très plaisant.

Lorsque cette comédie fut jouée pour la première fois à la cour, elle fut très mal reçue. Le roi n’en dit pas un seul mot à son souper ; les courtisans, augurant mal de ce silence, la mirent en pièces. Pendant cinq jours Molière, tout mortifié, se tenait caché dans sa chambre ; il envoyait seulement de temps en temps Baron à la découverte, qui lui rapportait toujours de mauvaises nouvelles.

Enfin, il hasarda une seconde représentation. Le roi dit en sortant à Molière : « Je ne vous ai point parlé de votre pièce à la première représentation ; mais en vérité vous n’avez encore rien fait qui m’ait plus diverti, et votre pièce est. excellente. » Molière commença alors à respirer, et il se vit en même temps accablé de louanges par tous les courtisans. Cet homme-là est inimitable, disait l’un ; en vérité, disait l’autre, il y a un vis comica dans tout ce qu’il fait, que les anciens n’ont jamais rencontré comme lui.

A Paris, la pièce eut d’abord le plus grand succès. Chaque bourgeois y croyait trouver son voisin peint au naturel, et ne se lassait pas d’en rire.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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