LA FRANCE PITTORESQUE
21 novembre 1803 : exécution de
Schinderhannes ou Jean l’écorcheur
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Publié le mercredi 21 novembre 2012, par Redaction
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Après la Révolution française, comme après toutes les grandes commotions qui bouleversent les sociétés et brisent les ressorts de l’administration et de la police, et qui, en interrompant le commerce, l’industrie et l’agriculture, augmentent la misère publique, des bandes de brigands se formèrent sur plusieurs points du territoire français et particulièrement sur les frontières, où la facilité d’échapper aux poursuites, en passant promptement d’un pays dans l’autre, leur assurait une sorte d’impunité.

Elles n’eurent ni l’importance, ni la durée des fameuses compagnies franches, dont Du Guesclin délivra la France, parce que, dans l’organisation actuelle de la société, tous les éléments d’ordre public, même au milieu de l’anarchie, ne peuvent pas absolument périr, et que la sûreté individuelle conserve toujours quelque protection ; cependant, si la célébrité historique des garoteurs et des chauffeurs sert de mesure pour apprécier les ravages qu’ils commirent, on jugera que ce fléau, pour être passager, n’en fui pas moins destructeur. Quelques-uns des chefs de ces bandits rivalisent de renommée avec les classiques Cartouche et Mandrin ; il en est un qui les surpasse, c’est Jean Buckler, dit Schinderhannes, c’est-à-dire, Jean l’écorcheur.

Indépendamment de l’énergie et de l’audace, premières qualités requises, Schinderhannes possédait quelques-unes de ces vertus poétiques, que Schiller prête à ses brigands, et plusieurs épisodes de son histoire le feraient comprendre volontiers au nombre de ces jeunes étudiants allemands qui, sur la peinture attrayante que le poète traçait de la profession aventureuse de voleurs de grands chemins, avaient quitté les universités, pour aller se faire redresseurs de torts dans les Lois. Toutes les scènes, dans lesquelles Schinderhannes joua le premier rôle, ne sont donc point scènes de meurtre, de pillage et de débauche ; quelquefois des accidents, des caprices d’amour délicat, de loyauté chevaleresque, de générosité noble, d’humanité touchante, transforment le chef d’écorcheurs en héros de roman.

Les rives du Rhin, de Mayence â Cologne, furent les théâtres des exploits de Jean l’écorcheur. Au nom de Schinderhannes prononcé avec menaces, les mères ramenaient à la raison l’enfant le plus mutin. Au nom de Schinderhannes, les Juifs (qu’il chassait de prédilection) tremblaient, au cœur de la ville la mieux gardée ; sur une assignation de Schinderhannes, les fermiers s’empressaient d’acquitter les imposition, à quelque taux qu’elles fussent fixées, car les maraudeurs du Rhin frappaient des contributions noires, comme les montagnards de l’Ecosse ; enfin, sur une invitation de Schinderhannes, les paysans n’hésitaient pas à se rendre, en famille, et dans leur plus beaux atours, aux fêtes brillantes que donnaient parfois les écorcheurs, et à danser au son de la flûte de Schinderhannes.

Schinderhannes mourut de la mort naturelle d’un brigand. Il n’avait que vingt-quatre ans, lorsqu’il fut décapité, à Mayence, avec dix-neuf de ses soldats. Son énergie ne l’abandonna pas et son caractère extraordinaire ne se démentit point à la terrible épreuve des assises. Fier de l’attention générale qui se portait sur lui, insouciant de sa propre défense, il s’attacha avec ardeur et talent à disculper une jeune fille de bonne famille qui, subjuguée par sa réputation, s’était venue livrer à sa discrétion et dont il avait fait sa compagne.

Schinderhannes, pendant sa captivité, avait écrit à Bonaparte, pour lui demander d’expier sa vie passée, en conduisant au combat une bande d’enfants perdus, qui auraient marché à l’avant-garde. Si Bonaparte l’eût vu, peut-être l’eût-il épargné ; car l’âme de Jean l’écorcheur n’était pas commune. C’était pour se venger d’un outrage public, du fouet qu’il avait reçu en châtiment d’une peccadille d’enfant, qu’il avait déclaré la guerre à la société.

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