LA FRANCE PITTORESQUE
Fontaine miraculeuse de Baranton
(Ille-et-Vilaine)
(D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1846)
Publié le lundi 29 mars 2021, par LA RÉDACTION
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Cette fontaine, rendue si célèbre par les romans de chevalerie, se trouve dans la forêt de Paimpont, en Bretagne. Son aspect est des plus pittoresques, et les habitants des communes voisines ont conservé, pour la source magique, une sorte de respect superstitieux...
 

Robert Wace, poète du douzième siècle, parle de cette fontaine et de la forêt de Paimpont, qui se nommait alors Brecilien ou Brecheliant. On lit dans ses œuvres :

...Brecheliant,
Dont Bretons vont souvent fablant (faisant des fables),
Une forest moult longue et lée (large),
Ki en Bretagne est moult louée.
La fontaine de Barenton
Sourd (jaillit) d’une part lès (près) le perron.
Aler souloient vénéor (les chasseurs)
A Barenton par grant chalor,
Et o (avec) leur cor l’eve (l’eau) puisier,
Pour ce souloient pluie avoier.

Cette croyance aux propriétés magiques de l’eau de Baranton, qui lorsqu’on la répandait sur le perron, c’est-à-dire sur la pierre servant de mardelle à la source, amenait immédiatement des pluies abondantes, nous est également confirmée par Guillaume le Breton, chapelain de Philippe-Auguste. « Quelles causes, dit-il, produisent la merveille de la fontaine de Breceliand ? Quiconque y puise de l’eau et en répand quelques gouttes sur le perron rassemble soudain les nues chargées de grêle, fait gronder le tonnerre et voit l’air obscurci par d’épaisses ténèbres ; et ceux qui étaient présents et souhaitaient de l’être voudraient bien alors n’avoir jamais rien vu, tant leur stupeur est grande, tant l’épouvante les glace d’effroi ! La chose est merveilleuse, je l’avoue ; cependant elle est vraie : plusieurs en sont garants. » (Guillelmus Brito, Philippis, lib. VI, v. 415.)

Fontaine de Baranton, dans la forêt de Paimpont
Fontaine de Baranton, dans la forêt de Paimpont

Chrétien de Troyes parle aussi de la fontaine qui bout, du perron, et des propriétés singulières de l’eau merveilleuse. Un poète cambrien du douzième siècle, dont M. de La Villemarqué a traduit l’œuvre dans ses Contes des anciens Bretons, en donne également une description qui ne peut se rapporter qu’à la fontaine de Baranton :

« Je me mis donc à cheminer, dit le héros du poème intitulé Owen, ou la Dame de la fontaine, tant que j’arrivai au sommet de la côte, et j’y trouvai tout ce que l’homme noir m’avait prédit ; et je m’avançai vers l’arbre, et je vis la fontaine dessous et le perron de marbre et le bassin d’argent attaché à la chaîne, et je pris le bassin et je le remplis d’eau et le versai sur le perron de marbre.

« Et voilà que le tonnerre gronda avec encore plus de fureur que l’homme noir ne me l’avait annoncé, et après le tonnerre, l’averse ; et en vérité je te le dis, Kai, il n’y a ni homme ni bête qui puisse supporter une pareille averse sans mourir, car il n’y a pas un seul de ses grêlons qui ne traverse la peau jusqu’aux os. Je tournai la croupe de mon cheval à l’orage, et je couvris sa tête et son cou d’une partie de mon bouclier, tandis que je m’abritais moi-même sous l’autre, et je soutins de la sorte l’orage. »

Les propriétés magiques de l’eau de Baranton étaient regardées comme tellement certaines que nous les voyons constatées au quinzième siècle dans une ordonnance du comte de Laval, relative aux usements et coustumes de la forêt de Brecilien. On y lit : « Joignant à la fontaine de Menton y a une grosse pierre que on nomme le perron de Belenton, et toutes les fois que le seigneur de Montfort vient à ladite fontaine et de l’eau d’icelle roule et mouille ledit perron, il pleut au pays si abondamment que la terre et les biens estant en icelle en sont arousés et moult leur proufitte. »

Fontaine de Baranton au milieu du XIXe siècle. Gravure de 1846 publiée dans Le Magasin pittoresque
Fontaine de Baranton au milieu du XIXe siècle. Gravure de 1846 publiée dans Le Magasin pittoresque

L’ordonnance du comte de Laval donnait à la fontaine le nom de Belenton (au lieu de Baranton). Ce mot, comme le fait remarquer M. de La Villemarqué semble, formé de ton, montagne, et de Belen, nom sous lequel les Gaulois adoraient Apollon. Dans ce cas, la forêt et la fontaine auraient été primitivement consacrées au dieu Belen, et le respect superstitieux qui lui est accordé serait un reste du culte druidique. Ce respect est tel que ni la réflexion, ni l’expérience n’avaient pu détruire la confiance des Bretons dans la puissance singulière de l’eau de Baranton. En 1835, les habitants de la paroisse de Concoret (vallée des Fées) s’y rendirent processionnellement avec le clergé pour obtenir les pluies nécessaire aux moissons. Arrivé près de la fontaine, le curé bénit l’eau, y plongea l’aspersoir et arrosa les pierres voisines.

Il est possible que la source de Baranton doive sa curieuse réputation à une propriété particulière qui n’attrait rien de nouveau pour les savants, mais dont les ignorants ont dû s’étonner : toutes les fois qu’on y jette un morceau de métal, l’eau, dit-on, entre en ébullition. Aussi les jeunes pâtres de la forêt s’amusent-ils à y laisser tomber des épingles, en disant : « Ris, fontaine de Baranton. C’est à quoi Chrétien de Troyes a sans doute fait allusion en parlant de la fontaine qui bout. »

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