LA FRANCE PITTORESQUE
1er octobre 1684 : mort de
Pierre Corneille dit le Grand Corneille
(D’après « Éphémérides politiques, littéraires et religieuses présentant,
pour chacun des jours de l’année un tableau
des événements, etc. » (Volume 10), édition de 1812)
Publié le samedi 1er octobre 2016, par Redaction
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Pour s’imposer, Corneille eut à combattre son siècle, ses rivaux et le cardinal de Richelieu
 

Pierre Corneille naquit à Rouen le 6 juin 1606. Il composa trente-trois pièces et sera toujours parmi nous le père du théâtre. Corneille est d’autant plus admirable, qu’il n’était environné que de très mauvais modèles quand il commença à donner des tragédies.

Ce qui devait encore lui fermer le bon chemin, c’est que ces mauvais modèles étaient estimés, et pour comble de découragement, ils étaient favorisés par le cardinal de Richelieu, le protecteur des gens de lettres et non pas du bon goût ; il récompensait de méprisables écrivains, espèce ordinairement basse et rampante ; et par une hauteur d’esprit si bien placée ailleurs, il voulait abaisser ceux en qui il sentait, avec quelque dépit, un vrai génie, qui rarement se plie à la dépendance.

Corneille eut donc à combattre son siècle, ses rivaux et le cardinal de Richelieu. Il serait trop long de rapporter ici les persécutions qu’essuya le Cid à sa naissance. On remarquera seulement que l’Académie, dans ses judicieuses décisions entre Corneille et Scudéry (ce dernier avait été chargé, par le cardinal de Richelieu, de faire une critique du Cid), eut trop de complaisance pour le cardinal de Richelieu, en condamnant l’amour de Chimène. Aimer le meurtrier de son père, et poursuivre la vengeance de ce meurtre, était une chose admirable ; vaincre son amour eût été un défaut capital dans l’art tragique, qui consiste principalement dans les combats du cœur. Après le Cid, Corneille donna successivement les Horaces, Cinna, Polyeucte, la Mort de Pompée, Rodogune, Sertorius.

Pierre Corneille

Pierre Corneille

Le grand Condé, à l’âge de vingt-cinq ans, étant à la première représentation de Cinna, versa des larmes à ces paroles d’Auguste :

Je suis maître de moi comme de l’univers ;
Je le suis, je veux l’être. O siècles ! ô mémoire,
Conservez à jamais ma dernière victoire.
Je triomphe aujourd’hui du plus juste courroux,
De qui le souvenir puisse aller jusqu’à vous !
Soyons amis, Cinna ; c’est moi qui t’en convie.

C’était là des larmes de héros. Le grand Corneille, faisant pleurer le grand Condé d’admiration, est une époque bien célèbre dans l’histoire de l’esprit humain. La quantité de pièces indignes de lui, qu’il fit plusieurs années après, n’empêcha pas la nation de le regarder comme un grand homme ; c’est le privilège du vrai génie, et surtout du génie qui ouvre une carrière, de faire impunément de grandes fautes.

On a imprimé dans plusieurs recueils d’anecdotes, qu’il avait sa place marquée toutes les fois qu’il allait au spectacle, qu’on se levait pour lui, qu’on battait des mains : malheureusement les hommes ne rendent pas tant de justice au mérite. Le fait est que les comédiens du roi refusèrent de jouer ses dernières pièces, et qu’il fut obligé de les donner à une autre troupe.

Il reçut une gratification de Louis XIV pendant sa dernière maladie ; Racine n’oublia pas d’en faire mention dans le bel éloge qu’il prononça de son rival à l’Académie française : « La France, dit-il, se souviendra avec plaisir que, sous le règne du plus grand de ses rois, a fleuri le plus grand de ses poètes. On croira même ajouter quelque chose à la gloire de notre auguste monarque, lorsqu’on dira qu’il a estimé, qu’il a honoré de ses bienfaits cet excellent génie ; que même, deux jours avant sa mort, et lors qu’il ne lui restait plus qu’un rayon de connaissance, il lui envoya encore des marques de sa libéralité, et qu’enfin les dernières paroles de Corneille ont été des remerciements pour Louis le Grand. »

Comme c’était une loi dans l’Académie que le directeur fît les frais d’un service pour ceux qui mouraient sous son directorat, il s’éleva un combat de générosité entre Racine et Lavau. Celui-ci l’emporta. C’est à cette occasion que Benserade dit à Racine : « Si quelqu’un pouvait prétendre à enterrer Corneille, c’était vous, Monsieur ; vous ne l’avez pas fait. »

« Corneille, dit Fontenelle, avait l’âme fière et indépendante ; nulle souplesse ; nul manège : ce qui l’a rendu très propre à peindre la vertu romaine, et très peu propre à faire sa fortune. » Sa devise était : Et mihi res, non me rebus submittere conor (J’ai vu tout me plier, sans me plier à rien).

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