LA FRANCE PITTORESQUE
28 septembre 1731 : Charles-Emmanuel III,
roi de Sardaigne, fait arrêter son père,
grand-père maternel de Louis XV
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Publié le lundi 24 septembre 2012, par Redaction
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Victor-Amédée II de Savoie, le jour de son abdication (2 septembre), avait recommandé à son fils plusieurs personnes, entre autres le marquis d’Ormea, alors ambassadeur à Rome. D’Ormea était un homme sans naissance, que Victor-Amédée, qui lui trouvait de l’adresse, avait tiré de la misère. Ce ministre lui avait rendu le service de terminer ses différends avec la cour de Rome, et d’obtenir un concordat plus favorable que Victor n’eût pu l’espérer. Il ne savait pas que d’Ormea, ayant prodigué l’argent au cardinal Coscia, qui gouvernait Benoît XIII, Coscia avait fait lire un concordat au pape, et lui en avait fait signer un autre.

D’Ormea rappelé de Rome, et placé dans le ministère, forma, dès son arrivée, le projet d’être le maître. Le roi Victor était un obstacle à son ambition. Son fils, Charles-Emmanuel, lui envoyait chaque jour la note de tout ce qu’on agitait dans le conseil. D’Ormea vint à bout, par ses intrigues, de brouiller d’abord le père et le fils. Enfin, il persuade à Charles-Emmanuel, que Victor machinait sourdement pour remonter sur le trône, qu’il avait gagné le gouverneur de Turin, et tenté de s’introduire dans la citadelle : Charles donne ordre d’arrêter son père.

Au milieu de la nuit, des grenadiers, les uns armés de baïonnettes, les autres portant des flambeaux, entrent dans la maison où était Victor. On brise, à coups de hache, la porte de sa chambre, qui se remplit de soldats ; il était couché avec sa femme. On lui signifia l’ordre de son fils. Dédaignant de parler aux officiers, il s’adressa aux grenadiers : « Et vous, leur dit-il, avez-vous oublié le sang que j’ai versé à votre tête pour le service de l’Etat ! » Ils ne répondirent que par leur silence ; s’obstinant à ne point obéir, on l’arrache de son lit et des bras de sa femme qu’il tenait embrassée, et qu’on traîne dans une chambre voisine.

Victor consent enfin à se faire habiller ; on le porte dans une voiture ; il aperçoit, en sortant, les gardes de son fils qu’on lui avait donnés par honneur les jours précédents. « Vous avez bien fait votre devoir », leur dit-il. La voiture était entourée d’un détachement de dragons du régiment de son fils : « On a pris toutes les précautions », leur dit-il, en les reconnaissant, et il se laisse placer dans la voiture.

Un colonel de ces satellites voulut y monter avec lui, Victor le repoussant avec la main : « Apprenez, lui dit-il, que, dans quelque état que soit votre roi, vous n’êtes pas fait pour vous asseoir à côté de lui. » On le conduisit à Revol dans une maison dont on avait fait griller les fenêtres, et où il était entouré de gardes et d’espions. Sa femme fut conduite dans la forteresse de Céva, où l’on n’enfermait que des femmes perdues.

Louis XV, petit-fils du roi Victor, pouvait prendre la défense de son grand-père : il se serait couvert de gloire en marchant lui-même à son secours à la tête d’une armée ; mais ses ministres n’avaient qu’une politique faible, ou machiavélique : ils ne furent frappés que de la crainte d’obliger le roi Charles à s’unir avec l’empereur. La nature, le devoir, l’honneur furent sacrifiés à un intérêt qui même n’existait pas, et on porta la pusillanimité jusqu’à ne pas oser faire demander, au nom du roi de France, qu’on adoucît la prison de son grand-père.

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