Sain d’esprit et de jugement,
Et proche de ma dernière heure,
Je donne à l’empereur par ce mien testament,
Le bonsoir avant que je meure.
Je destine à ma veuve un fonds de bons désirs,
Dont il sera fait inventaire ;
Pour sa demeure, un monastère ;
Le célibat, pour ses menus plaisirs ;
La pauvreté pour son douaire.
Je donne à Vaudemont un peu d’affliction,
Et de regret à ma personne,
Avec ma bénédiction
Pour madame de Lislebonne.
Je laisse à mon neveu mon nom,
Seul bien qui m’est resté de toute la Lorraine ;
Si ce prince ne peut le porter, qu’il le traîne,
La France le trouvera bon.
Pour acquitter ma conscience,
En maître libéral, je me sens obligé
De remplir de mes gens la servile espérance.
Je leur donne à tous leur congé ;
Qu’ils le prennent pour récompense.
Je nomme tous mes créanciers
Exécuteurs testamentaires,
Et consens de bon cœur, que les frais funéraires
Se fassent aux dépens de leurs propres deniers.
Qu’on me fasse des funérailles
Dignes des princes de mon nom,
Et qu’on embaume mes entrailles
Avec de la poudre à canon.
Que mon enterrement solennel et célèbre
Fasse bruit en tous les quartiers,
Et que le plus menteur de tous les gazetiers
Fasse mon oraison funèbre.
Que, durant l’espace d’un jour,
On m’expose sous une tente,
Et que l’épitaphe suivante,
Se lise à mon honneur sur la peau d’un tambour :
Ci-gît un pauvre duc sans terres,
Qui fut, jusqu’à ses derniers jours,
Peu fidèle dans ses amours,
Et moins fidèle dans ses guerres.
Il donna librement sa foi,
Tour-à-tour à chaque couronne ;
Il se fit une étrange loi
De ne la garder à personne.
Trompeur même en son testament,
De sa femme il fit une nonne,
Et ne donna rien que du vent
A madame de Lislebonne.
Il entreprit tout au hasard.
Se fit tout blanc de son épée ;
Il fut brave comme César
Et malheureux comme Pompée.
Il se vit toujours maltraité
Par sa faute et par son caprice.
On le détrôna par justice,
On l’enterra par charité.