LA FRANCE PITTORESQUE
Alfred de Vigny prône un
gouvernement probe et économe
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Publié le vendredi 4 mars 2016, par Redaction
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Si l’on ne présente plus la figure du romantisme, le dramaturge, poète et académicien Alfred de Vigny, l’homme politique est moins connu...
 

Candidat à la députation du département de la Charente aux élections législatives d’avril 1848, il ne cache pas, dans une profession de foi rédigée pour les électeurs et dont nous donnons ici l’intégralité, sa foi en la IIe République proclamée le 25 février précédent :

« C’est pour moi un devoir de répondre à ceux de mes compatriotes de la Charente qui ont bien voulu m’appeler à la candidature par leurs lettres et m’exprimer des sentiments de sympathie dont je suis profondément touché. La France appelle à l’Assemblée Constituante des hommes nouveaux. Ce sentiment est juste après une révolution plus sociale que politique, et qui a enseveli dans les débris les catégories haineuses des anciens partis.

Alfred de Vigny

Alfred de Vigny

« Mais les hommes nouveaux qu’il lui faut ne sont-ils pas ceux que des travaux constants et difficiles ont préparé à la discussion des affaires publiques et de la vie politique ? Ceux qui se sont tenus en réserve dans leur retraite sont pareils à des combattants dont le corps d’armée n’a pas encore donné. Ce sont là aussi des hommes nouveaux, et je suis de ceux-là.

« Chaque révolution après sa tempête laisse des germes de progrès, dans la terre qu’elle a remué et, après chaque épreuve, l’Humanité s’écrie : Aujourd’hui vaut mieux qu’hier, demain vaudra mieux qu’aujourd’hui. Je me présente à l’élection sans détourner la tête pour regarder le passé, occupé seulement de l’avenir de la France. Mais, si mes concitoyens veulent rechercher dans les années écoulées pour voir ma vie, ils y trouveront une indépendance entière, calme, persévérante, inflexible ; seize ans de cette vie consacrés au plus rude des services de l’armée, tout le reste donné aux travaux des lettres, chaque nuit vouée aux grandes études.

« Existence sévère, dégagée des entraves et des intrigues de partis. J’ai ce bonheur, acquis avec effort, conservé avec courage, de ne rien devoir à aucun gouvernement, n’en ayant ni recherché, ni accepté aucune faveur. Aussi ai-je souvent éprouvé combien cette indépendance de caractère et d’esprit est plus en ombrage au pouvoir que l’opposition même. La raison en est celle-ci : les pouvoirs absolus ou qui prétendent à le devenir peuvent espérer corrompre ou renverser un adversaire, mais ils n’ont aucun espoir de fléchir un juge libre, qui n’a pour eux ni amour ni haine. Si la République sait se comprendre elle-même, elle saura le prix des hommes qui pensent et agissent selon ce que je viens de dire. Elle n’aura jamais à craindre d’eux, puisqu’elle doit être le gouvernement de tous par chacun et de chacun pour tous.

« Ainsi conçu, ce mâle gouvernement est le plus beau. J’apporte à sa fondation ma part de travaux dans la mesure de mes forces. Quand la France est debout, qui pourrait s’asseoir pour méditer ? Lorsque l’Assemblée nationale, dans de libres délibérations, aura confirmé, au nom de la France, la République déclarée, efforçons-nous de la former à l’image des Républiques sages, pacifiques et heureuses, qui ont su respecter la Propriété, la Famille, l’Intelligence, le Travail et le Malheur ; où le gouvernement est modeste, probe, laborieux, économe ; ne pèse pas sur la nation , pressent, devine ses vœux et ses besoins, seconde ses larges développements et la laisse librement vivre et s’épanouir dans toute sa puissance.

« Je n’irai point, chers concitoyens, vous demander vos voix. Je ne reviendrai visiter au milieu de vous cette belle Charente qu’après que votre arrêt aura été rendu. Dans ma pensée, le peuple est un souverain juge qui ne doit pas se laisser approcher par les solliciteurs et qu’il faut assez respecter pour ne point tenter de l’entraîner ou de le séduire. Il doit donner à chacun selon ses œuvres. Ma vie et mes œuvres sont devant vous. »

Non élu, Alfred de Vigny se présenta également aux élections de l’année suivante, sans succès.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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