LA FRANCE PITTORESQUE
16 août 1284 : rattachement de
la Champagne et de la Brie
à la couronne de France
(D’après « Le grand dictionnaire historique ou Le mélange curieux
de l’histoire sacrée et profane » (Tome 1) paru en 1717,
« Dictionnaire encyclopédique de la France »
par Philippe Le Bas (Tome 4) paru en 1855 et « L’art de vérifier
les dates des faits historiques, des chartes, des chroniques,
et autres anciens monuments » (Tome 6) édition de 1818)
Publié le lundi 16 août 2021, par Redaction
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Enjeux de batailles sous le célèbre Thibaut IV le Chansonnier au début du XIIIe siècle, la Champagne et la Brie, transmises par voie d’héritage depuis la fin du Xe siècle, échoient entre les mains du futur roi de France par son mariage avec l’unique héritière
 

Si Grégoire de Tours évoque un duc de Champagne nommé Loup vers 570, du temps de Sigebert, roi de Metz, le titre de duc n’était pas une dignité perpétuelle, mais une force de gouvernement.

Le premier comte héréditaire de Champagne fut Robert de Vermandois, qui se rendit maître de la ville de Troyes vers 953. Son fils Herbert IV de Vermandois (appelé aussi Herbert II de Troyes) lui succéda en 967 et mourut en 995, laissant d’Ogive d’Angleterre son épouse — veuve du roi Charles III le Simple — Étienne Ier, qui mourut sans postérité en 1019. Après sa mort, Eudes II, comte de Blois, devint comte de Champagne. Il était fils d’Eudes Ier et petit-fils de Thibaud dit le Tricheur, comte de Blois qui avait épousé vers 943 Liutgarde de Vermandois, fille d’Herbert II de Vermandois et de Champagne.

Le comte Thibaut IV de Champagne. Estampe de Frédéric Bouterwerk (vers 1840)

Le comte Thibaut IV de Champagne. Estampe de Frédéric Bouterwerk (vers 1840)

Eudes II fut surnommé le Champenois, parce qu’il s’empara de la Brie et de la Champagne après la mort de son cousin Étienne de Vermandois. Il prétendait aussi au royaume de la haute Bourgogne après Raoul ou Rodolphe le Fainéant son oncle, et disputait son droit par les armes contre l’empereur Conrad le Salique, quand il fut tué par le duc de basse Lorraine le 15 novembre 1037.

Mais le premier à s’intituler comte de Champagne fut Hugues Ier, qui en 1125 se fit templier et céda la Champagne à son neveu, Thibaud II de Champagne. Un siècle plus tard, on trouve un comte de Champagne célèbre, Thibaut IV dit le Chansonnier ou le Posthume. C’est en 1221 que Thibaut commença cette existence chevaleresque qui rendit son nom si populaire. Ses amours avec la reine Blanche de Castille sont devenues un des plus poétiques épisodes de l’Histoire de France.

Le roman s’ouvre en 1226 ; le roi de France Louis VIII est parti avec le jeune comte de Champagne pour une croisade contre les Albigeois. Les troupes royales ont pris et saccagé Avignon, et le roi s’est retiré au château de Montpensier pour se garantir d’une affreuse contagion qui désole l’armée. Thibaut, au bout de ses quarante jours de service obligé, demande à se retirer, et, sur le refus du roi, déclare qu’il usera de son droit et partira malgré lui. Louis a beau menacer, s’il le fait, de mettre en feu tous ses domaines, le comte s’éloigne ; et quelque temps après on annonce à l’armée la mort du roi.

« Le bruit courut, disent les chroniques, que Thibaut lui avait fait donner un poison à cause de la reine qu’il aimait criminellement d’une passion charnelle ». Quoi qu’il en soit, lorsque Thibaut voulut se rendre à Reims pour le couronnement du jeune roi Louis IX, Blanche de Castille lui fit fermer l’entrée de la ville et en fit chasser ses gens. Cet affront dut irriter profondément le comte de Champagne, qui forma aussitôt contre la régente une ligue contre laquelle le nouveau roi leva promptement une armée.

Bientôt Thibaut se rendit près de saint Louis et lui fit sa soumission, ses alliés rebelles étant un peu plus tard également reçus en pardon. Toutefois ces derniers, ne pardonnant pas à Thibaut sa défection, suscitèrent contre lui Alix, reine de Chypre qui prétendait au comté de Champagne et de Brie. Ce ne fut qu’en 1234 que celle-ci y renonça après maints combats et dévastations, moyennant 40 000 livres tournois et 2000 livrées de terre que Thibaut lui assigna sur ses domaines. Le roi de France approuva le traité, et ce fut lui qui paya les 40 000 livres tournois convenues, en retour desquelles Thibaut lui vendit ses fiefs des comtés de Chartres et de Blois, de Sancerre et de la vicomté de Châteaudun, avec leurs appartenances. À la fin du traité, Thibaut est appelé roi de Navarre. Sanche VII le Fort, son oncle, lui avait en effet destiné cette couronne. Après la mort de Sanche survenue le 7 avril 1234, le comte de Champagne fut couronné roi de Navarre le 7 mai.

Jeanne Ière, reine de Navarre et comtesse de Champagne. Dessin du début du XVIIe siècle

Jeanne Ière, reine de Navarre et comtesse de Champagne. Dessin du début du XVIIe siècle

Thibaut IV mourut en 1253, son fils Thibaut V héritant de ses états et mourant en revenant de Terre-Sainte en 1270. Il laissait ses états à son frère Henri III, comte de Champagne et roi de Navarre, qui mourut à Pampelune quatre ans plus tard. À sa mort, c’est une femme, sa fille Jeanne née en 1273, qui hérita du comté de Champagne et du royaume de Navarre et en prit possession sous la tutelle de Blanche de Navarre sa mère qui, après avoir réprimé quelques mouvements dans la contrée, épousa en 1275 Edmond, second fils du roi d’Angleterre. Cette alliance fit prendre à ce prince le titre de comte de Champagne jusqu’à la majorité de Jeanne.

Le 16 août 1284, Jeanne épousa le futur Philippe le Bel, qui devint roi de France l’année suivante ; mais elle resta propriétaire des biens qu’elle avait apportés en dot. Philippe le Bel ne prit point les titres de roi de Navarre, de comte de Champagne et de Brie. Lorsqu’il donna quelques ordonnances ou quelques chartes qui devaient avoir leur exécution dans la Champagne ou dans la Brie, il y mentionnait le consentement de sa chère compagne, et à la fin de l’acte, Jeanne, par la grâce de Dieu, reine de France et de Navarre, comtesse palatine de Champagne et de Brie, en approuvait le contenu, et y mettait son sceau après celui du roi.

Jeanne Ière de Navarre sut, dit Velly, par ses soins accompagnés d’une rare prudence, chasser l’aragonais et le castillan de la Navarre, où elle maintint heureusement la paix, tant par la sagesse des gouverneurs qu’elle lui donna, que par la beauté des règlements qu’elle y établit. Les Navarrois respectaient en elle jusqu’à la sévérité que lui inspirait le zèle et la justice, parce qu’elle savait la tempérer par une douceur salutaire. On eût dit, c’est l’expression de l’historien Mézeray, qu’elle tenait tout le monde enchaîné par les yeux, par les oreilles, par le cœur, étant également belle, éloquente, généreuse, libérale.

L’amour de la gloire fut sa passion dominante, et tout l’objet de ses désirs de laisser à la postérité un illustre souvenir de son existence. Ce fut pour s’assurer cette immortalité qu’elle fit élever dans la Navarre cette ville si connue sous le nom de Puente-la-Reyna ; qu’elle bâtit et dota l’abbaye de la Barre, au faubourg de Château-Thierry ; qu’elle donna de grands biens aux Chartreux, aux Cordeliers, aux Jacobins ; enfin qu’elle fonda, en 1304, le collège de Navarre et de Champagne, dans l’université de Paris.

Le futur Louis X le Hutin — qui deviendra roi de France en 1314 — succéda à sa mère Jeanne Ière à la mort de celle-ci en 1305 dans le royaume de Navarre et le comté de Champagne et de Brie. II mourut en 1316, ayant eu de Marguerite de Bourgogne une fille nommée Jeanne, et laissant enceinte Clémence, sa seconde femme. Son frère Philippe le Long conclut, le 17 juillet 1316, avec Eudes, duc de Bourgogne, au nom de Jeanne II, leur nièce commune, un traité par lequel il fut stipulé que, dans le cas où la reine Clémence accoucherait d’une fille, cette fille et Jeanne, ou l’une des deux, si l’autre venait à mourir, auraient en héritage, lorsqu’elles seraient en âge d’être mariées, le royaume de Navarre et les comtés de Champagne et de Brie, sauf ce qui revenait de droit à Philippe le Long et à son frère Charles le Bel pour la succession de Jeanne de Navarre, leur mère.

Philippe le Bel. Gravure de la fin du XVIIIe siècle

Philippe le Bel. Gravure de la fin du XVIIIe siècle

La reine Clémence étant accouchée d’un fils qui ne vécut que quelques jours, Philippe le Long, devenu roi, fit un second traité, le 27 mars 1317, avec le même duc de Bourgogne stipulant pour sa nièce. Il fut convenu que si le roi venait à mourir sans enfants mâles, les comtés de Champagne et de Brie appartiendraient à la princesse Jeanne en propriété ; et que si elle mourait sans héritiers, ces comtés retourneraient à la couronne. Le roi promit à sa nièce, par le même acte, en forme de dédommagement, quinze cents livres de rentes en domaines, et cinquante mille livres à placer en héritage qui lui seraient propres.

Cependant Philippe le Long étant mort sans laisser de postérité, les comtés de Champagne et de Brie ne furent pas restitués à Jeanne de France, reine de Navarre, mariée alors au comte d’Évreux. Charles le Bel et Philippe de Valois en conservèrent la possession par deux traités conclus en 1327 et en 1335. Par le dernier, le roi et la reine de Navarre cédèrent à Philippe de Valois leurs droits sur les comtés de Champagne et de Brie, moyennant des rentes de cinq mille livres, de trois mille livres et de sept mille livres sur différents domaines qu’ils tiendraient de la couronne en baronnie et pairie, et à foi et hommage.

Ainsi fut consommée la réunion de ces deux pays à la couronne, réunion qui devint irrévocable par les lettres que le roi Jean II le Bon donna en 1361. Ce prince défendit en effet alors à son fils de jamais les en distraire, non plus que quelques autres provinces qu’il y réunissait. Il voulut même que les rois, en montant sur le trône, jurassent l’observation de cette loi.

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