LA FRANCE PITTORESQUE
Responsabilité médicale :
des procès intentés aux médecins
voici déjà un siècle
(D’après « Le Petit Parisien », paru en 1906)
Publié le mercredi 16 novembre 2022, par Redaction
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Observant en 1906 que les procès intentés à des médecins par des patients qui estimaient avoir à se plaindre de leurs soins, ne laissent pas de devenir fréquents, un journaliste du Petit Parisien s’attarde sur ce phénomène qui exigerait, selon lui et par prudence, de la part du corps médical, de s’en prémunir en acquérant quelques connaissances juridiques
 

Le docteur n’est plus le personnage intangible, à qui tout était permis, même d’aggraver l’état de son malade, pourvu que ses erreurs fussent commises avec quelque solennité, écrit notre chroniqueur. D’impertinents opérés et des égrotants mécontents osent raisonner sur leur cas, et n’hésitent pas à traîner l’homme de l’art devant les tribunaux — qui leur donnent parfois raison.

« Le comble de l'art du médecin : purger une condamnation »

« Le comble de l’art du médecin : purger une condamnation »

A la vérité, les occasions où la responsabilité médicale est en jeu sont nombreuses et, souvent, les médecins ne s’en doutent pas. Dans la plupart des cas, les juges sont fort embarrassés, car il leur est difficile d’apprécier les circonstances où un traitement ou une opération peut-être incriminé. Le médecin a généralement agi selon sa conscience, et il y a parfois des hasards qui rendent une intervention heureuse ou malheureuse. En outre, il y a des lacunes dans les textes et la jurisprudence est pleine de contradictions.

On s’est souvent étonné qu’il n’existât pas un conseil de l’ordre des médecins — le journaliste écrit en 1906, cependant que l’Ordre n’a pas encore été créé —, comme il en existe un pour les avocats. Il étudierait avec compétence les différends qui se produisent, il indiquerait la suite à leur donner, il établirait des règles fixes, qui font défaut dans bien des circonstances, il se prononcerait avec autorité.

Je me souviens, ajoute notre chroniqueur, que, il y a une quinzaine d’années, un médecin des hôpitaux, le docteur Juhel-Renoy, réclamait déjà cette institution, comme devant être utile à la fois aux médecins et au public. Je ne sais quelles raisons en retardent l’établissement, alors que presque tout le monde est d’accord sur sa nécessité.

Cette responsabilité médicale a fait, récemment, l’objet d’une thèse de M. Paul Hatin, et c’est un sujet curieux par la diversité des litiges soulevés. C’est quelque chose comme l’étude des rapports — involontaires — entre la médecine et la justice. Le cas de refus de continuer les soins a donné lieu à quelques procès. On raconte qu’Alexandre le Grand (il avait la sentence expéditive, d’aventure) fit pendre le médecin Glaucus, qui avait abandonné son client Ethestion pour aller au théâtre.

La loi est moins sévère, aujourd’hui, mais elle impose au médecin la réparation du dommage causé par sa faite, si c’est volontairement qu’il n’a pas répondu à l’appel de son malade en danger. Il y a, sur ce point, des arrêts formels, ne faisant, d’ailleurs, que rendre les conceptions de l’ancien droit français. En 1903, un malade de l’hospice d’Auxonne, prouvant, qu’il avait été abandonné par le médecin, intenta coutre lui une action en dommages-intérêts et gagna.

L’erreur dans la rédaction d’une ordonnance a souvent eu des suites judiciaires. La cour d’Angers condamna un médecin à quinze jours de prison pour n’avoir pas pris la précaution d’indiquer un médicament était réservé à l’usage externe. Tel autre, par inadvertance, ayant écrit des grammes au lieu de dix gouttes de laudanum, fut poursuivi. L’année dernière, un médecin fut condamné à un mois de prison, à une amende et à des dommages-intérêts pour avoir indiqué, pour une pilule, la dose qui, dans sa pensée, s’appliquait à vingt pilules ; mais il avait eu, à cet instant, quelque distraction. Le tribunal estima, avec raison, qu’il y a des moments où l’on n’a pas le droit d’avoir des distractions.

Celles de chirurgiens « oubliant » soit un tampon de gaze, soit un bout de sonde dans l’intestin d’un opéré ont fait quelque bruit. Vainement Ies opérateurs soutinrent-ils que ce léger détail n’avait eu aucune importance et que les patients devaient mourir, de toute façon, d’un mal ne pardonnant point, la justice et l’opinion leur furent sévères.

En présence de certaines autres opérations, encore qu’ elles aient été de la boucherie, les juges hésitent. Tel accoucheur, se heurtant à une présentation de l’épaule, crut l’enfant mort et amputa successivement les deux bras : quand l’expulsion se produisit, l’enfant était vivant ! Dans un autre accouchement, le médecin, faute d’autres instruments sous la main, obligé de pratiquer la craniotomie sur l’enfant mort, se servit d’une aiguille à matelas, d’un ciseau et d’un marteau. La mère mourut trois jours après — ce qui n’est pas pour étonner...

Mais, là, on jugea que, devant des cas désespérés ou considérés comme tels par lui, le praticien avait l’excuse d’avoir au moins essayer de tenter quelque chose, fût-ce par une décision trop prompte ou avec des instruments de fortune...

L’intérêt de la science ne peut pas primer celui du malade. Certains procès montrèrent des pratiques essentiellement condamnables, comme le fait d’expériences d’inoculations d’un virus sur un malade. C’était là, évidemment, de la cruauté ; c’était abuser de la confiance d’un malheureux, ignorant à quelle épreuve il servait. Mais beaucoup plus fréquents, il faut le dire, sont les exemples (et il en est d’hier), où, bravement, les hommes de science expérimentèrent sur eux-mêmes. Là, il n’y a qu’à admirer.

II y eut des poursuites pour des autopsies prématurément faites, également dans un but scientifique. Bien que le fait soit rare, il y eut des débats soulevés à l’occasion d’une opération entreprise contre la volonté du malade. Il y en eut pour communication d’une maladie par un médecin, malade lui-même et, là, il semble y avoir un peu d’ironie :

Un procès assez singulier se déroula, récemment, à la cour d’appel de Lyon. Un médecin de Roanne injecta à son malade, qu’il voulait insensibiliser, deux grammes de cocaïne. Il l’insensibilisa si bien, en effet, que le pauvre être ne se réveilla plus. Une action fut intentée contre le médecin, qui fut d’abord condamné pour homicide par imprudence. En appel, il se référa à un passage d’un traité de chirurgie d’un maître, pourvu de tous les titres et de tous les honneurs officiels, où se trouvait cette formule. La cour l’acquitta. Un opérateur peut-il, cependant, abdiquer tout droit de contrôle ?

Je ne prends là que quelques exemples, poursuit le journaliste du Petit Parisien. Mais en combien d’autres circonstances la responsabilité du médecin peut-elle être mise en cause, à propos du secret professionnel, qui le met souvent dans de si délicates alternatives, à propos de certificats, à propos de déclarations d’épidémies, etc.

Entre parenthèses, le plus ancien procès intenté à un médecin, en France, paraît datée de 1427. Il avait donné à un malade un « breuvage » qui l’avait emporté. Ses juges, indulgents, se bornèrent à l’admonester « de ne plus faire ainsy à peine d’en estre grièvement puny ».

Les études médicales sont déjà bien longues et visent des sujets multiples. Cependant, M. Paul Hatin semble avoir raison quand il insiste sur la nécessité, pour les futurs médecins, d’acquérir quelques connaissances juridiques, dont ils peuvent avoir grand besoin, au cours de leur carrière...

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