LA FRANCE PITTORESQUE
21 juillet 1242 : bataille de Taillebourg
marquant la victoire de Saint Louis
sur Henri III d’Angleterre
(D’après « Histoire de France depuis les temps les plus reculés
jusqu’à nos jours » (Tome 3) par Abel Hugo, paru en 1839)
Publié le vendredi 21 juillet 2023, par Redaction
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Tandis que Louis IX donnait à son frère Alphonse de Poitiers un comté qui avait longtemps appartenu à la maison royale d’Angleterre, et dont Richard, frère du roi d’Angleterre Henri III, portait même le titre, une ligue s’était formée contre lui dans le plus profond secret.

Après la cour plénière tenue à Saumur en février 1241, Louis, sans défiance, se rendit à Poitiers pour mettre Alphonse en possession de sa capitale et lui donner l’investiture. Cette cérémonie achevée, les vassaux du roi se retirèrent suivant l’usage ; le roi resta dans la ville seulement avec les chevaliers de sa maison et ceux de son frère. Le comte de la Marche, Hugues X de Lusignan, qui venait de faire hommage à Alphonse, fit alors entourer Poitiers par ses troupes. Le roi, conservant dans ce danger pressant le sang-froid et la fermeté d’âme qui le caractérisaient, se rendit presque seul dans le château de Lusignan, à six lieues de la ville ; et reprochant à Hugues ses projets de trahison, l’effraya sur leurs suites, l’obligea à y renoncer momentanément, et retourna à Paris sans obstacle.

Avers du sceau de Hugues X de Lusignan (1224)

Avers du sceau de Hugues X de Lusignan (1224)

Alphonse, ayant reçu des renforts, somma le comte de la Marche de venir renouveler son hommage aux fêtes de Noël. Hugues, excité par les railleries et les reproches de sa femme, regrettant de s’être laissé intimider par le roi, et de l’avoir vu lui échapper, se rendit à Poitiers et parut devant Alphonse ; mais ce fut pour déclarer qu’il ne le reconnaissait plus pour son seigneur. Il sortit au milieu de l’étonnement général, fit mettre le feu à la maison où il avait logé, s’élança sur son cheval et partit. Le comte de la Marche comptait sur l’appui du roi d’Angleterre ; sa femme, Isabelle, mère du jeune prince, l’avait décidé à venir en France avec une armée, en lui promettant l’appui des rois de Castille et d’Aragon, du comte de Toulouse et d’un grand nombre de seigneurs mécontents.

Le roi Louis IX, instruit des projets du roi d’Angleterre, mais craignant peu la ligue des autres princes, mit en état de défense les côtes de Bretagne et de Normandie, et tint à Paris un parlement où Hugues de Lusignan, comte de la Marche fut déclaré rebelle. Ensuite il marcha contre lui avec une nombreuse armée, et s’empara successivement de Montreuil en Gastine, de la tour de Béruges, de Montcontour et de Frontenay ; dans ce dernier château fut pris avec d’autres chevaliers un fils du comte de la Marche. Alphonse voulait les faire mourir, Louis IX s’y opposa : « Ils n’ont pu, dit-il, se rendre coupables, lui en obéissant à son père, les autres en servant leur seigneur. »

Cependant le comte de la Marche, déconcerté par cette attaque soudaine, et n’ayant encore obtenu de ses alliés que de vaines promesses, n’osait tenir la campagne. La comtesse Isabelle conçut alors le projet d’un crime affreux. « Elle prépara, dit Guilaume de Nangis, un poison subtil. Des scélérats qui lui étaient dévoués furent chargés de se glisser comme transfuges dans la suite du roi, et de répandre ce poison sur les mets qui lui étaient destinés. Ce complot fut heureusement découvert. Isabelle s’abandonna alors à un sombre désespoir, et voulut se tuer avec un poignard qu’elle portait toujours sur elle. Ses femmes le lui ôtèrent des mains. Ne pouvant parvenir à se donner la mort, elle déchira sa guimpe, s’arracha les cheveux, et la fureur ainsi que les remords la firent tomber dans une maladie grave. Dès ce moment elle fut en horreur aux Français et même à ses propres partisans ; son nom d’Isabelle fut changé en celui de Jézabel, dont sa conduite rappelait le caractère et les forfaits. »

Le roi d’Angleterre ne put amener tous les secours qu’il avait promis. Sa faiblesse, son aveuglement pour de vils favoris, lui avaient aliéné le cœur des Anglais. Le parlement refusa les fonds nécessaires pour l’expédition. Henri, avec une faible armée, débarqua à Royan mi-mai 1242, près de l’embouchure de la Gironde. Isabelle le reçut sur le rivage. « Mon fils, lui dit-elle, vous montrez un bon naturel en venant secourir votre mère et vos frères, que les fils de Blanche [Blanche de Castille, mère de Louis IX] veulent opprimer et fouler aux » pieds. »

Louis proposait la paix ou une trêve ; Henri, par les conseils de cette femme implacable, rejeta ces propositions pacifiques. Le roi de France poussa dès lors la guerre avec vivacité, afin de dissoudre la ligue encore mal unie. En peu de temps il fut le maître de tous les châteaux forts situés sur la rive droite de la Charente.

Le château de Taillebourg défendait un pont étroit jeté sur cette rivière et où ne pouvaient passer que quatre hommes de front. Le roi fit embarquer une partie de ses soldats et leur ordonna d’aller charger l’armée anglaise sur l’autre rive, tandis que lui-même attaquerait le pont. Après avoir forcé le premier poste, il fut repoussé. Alors, mettant pied à terre, et, accompagné seulement de huit hommes d’armes, il se précipita, l’épée à la main, au milieu des ennemis, et arriva jusqu’à l’extrémité du pont.

Les Anglais l’entouraient, il se défendit avec un courage héroïque, donna le temps aux chevaliers français d’arriver à son secours, et avec leur aide renouvela impétueusement l’attaque, et emporta le pont. Le mouvement opéré par l’autre partie de l’armée ayant réussi, les Anglais furent mis en déroute complète.

Bataille de Taillebourg

Bataille de Taillebourg

Henri III d’Angleterre allait être fait prisonnier, lorsque Richard, son frère, demanda un armistice. Le roi lui dit en souriant : « Sire duc, la nuit porte conseil ; donnez-en une bonne au roi d’Angleterre, et faites en sorte qu’il en profite. » Henri III se réfugia dans Saintes. « Où sont, dit-il, au comte de la Marche, le roi d’Aragon, le roi de Castille, le comte de Toulouse et tous ces seigneurs qui devaient me rejoindre ? — Aucun n’a paru, sire, répondit Hugues de Lusignan ; c’est votre mère qui a fait tout le mal. »

Le comte de Leicester, petit-fils de Simon de Montfort, était un des chefs de l’armée anglaise ; il essaya de rappeler la fortune sous les bannières de Henri III, rompit la trêve, et livra, près de Saintes, une bataille (23 juillet 1242) où la victoire longtemps disputée resta encore aux Français. Le roi d’Angleterre s’enfuit précipitamment à Blaye ; son armée l’y suivit en désordre. Louis IX entra le même jour à Saintes, où il fut reçu avec une grande joie par le peuple. Il y reçut la soumission du comte de la Marche, auquel il pardonna généreusement.

Le roi d’Angleterre fut successivement abandonné par tous les chevaliers de l’Aquitaine ; un seul n’oublia point la foi qu’il lui avait jurée, il se nommait Herthold et était seigneur du château de Mirembeau qui, situé sur la frontière de la Saintonge et du Bordelais, venait d’être investi par les Français. Herthold se rendit auprès de Henri III et lui demanda s’il pouvait être utile à l’armée anglaise en défendant son château jusqu’à la mort. Henri III lui répondit que ce serait une résistance inutile, et l’autorisa à se soumettre. Herthold se présenta alors devant le roi de France et lui déclara que la nécessité seule le poussait à lui rendre Mirembeau. Louis fut touché de sa franchise et de son courage, et sans lui demander d’autre garantie que son serment de fidélité, lui donna en fief le château même qu’il était si noblement disposé à défendre.

Abandonné par ceux qui l’avaient appelé en France, poursuivi par un ennemi victorieux, le roi d’Angleterre se trouvait dans la position la plus critique. Louis IX avait l’intention de passer la Garonne et d’attaquer Bordeaux pour chasser les Anglais de la Gascogne, comme il les avait expulsés du Poitou et de la Saintonge ; mais une maladie contagieuse dont il fut lui-même atteint, et qui en peu de temps décima son armée, l’arrêta dans ses conquêtes. Il consentit à accorder à Henri III une trêve de cinq ans. Le roi d’Angleterre n’osa pas s’embarquer dans les ports de l’Aquitaine, parce que Pierre Mauclerc, devenu simple chevalier, croisait sur les côtes et faisait la guerre à tous les navires anglais. Il obtint de Louis la permission de venir à Calais, en traversant la France avec son armée découragée par les défaites et la maladie. Louis victorieux revint à Paris.

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