LA FRANCE PITTORESQUE
3 juillet 987 : Hugues Capet est couronné
et sacré roi des Francs à Noyon
(D’après « Histoire générale de France depuis les temps les
plus reculés jusqu’à nos jours » par Abel Hugo (Tome 3), paru en 1839)
Publié le lundi 3 juillet 2023, par Redaction
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La couronne, de nouveau soumise à l’élection, ne pouvait échapper à Hugues Capet, qui possédait sur la Loire et sur la Seine, deux places fortes capables d’arrêter les pirates Danois, et d’assurer ainsi la tranquillité du royaume
 

Quelques historiens prétendent qu’à la mort du dernier roi carolingien Louis V le 21 mai 987, le duc de Lorraine Charles, dernier descendant de la lignée carolingienne susceptible de monter sur le trône, comptait parmi les Francs un si petit nombre de partisans, que lorsqu’il s’adressa à l’évêque Adalbéron de Reims pour savoir de quelle manière il devait se conduire afin d’obtenir la couronne, cet évêque, conseiller et favori de la reine Emma, veuve de Lothaire et mère du dernier roi, lui répondit : « L’élection d’un roi dépend de tous les grands du royaume ; il n’appartient pas à un homme, fût-il archevêque, de donner la couronne : c’est le droit, non d’un seul, mais de tous. »

Dès que la couronne était de nouveau soumise à l’élection, elle ne pouvait échapper à Hugues Capet, qui possédait sur la Loire et sur la Seine, deux places fortes capables d’arrêter les pirates Danois, et d’assurer ainsi la tranquillité du royaume. Hugues, duc de France, était comte de Paris et marquis d’Orléans ; il avait pour vassal le puissant comte d’Anjou, Geoffroi Grisegonelle ; le duc de Bourgogne, Henri, était son frère, et le duc de Normandie, Richard, son neveu. Les évêques et les grands du royaume, réunis à Noyon, n’hésitèrent pas un instant à le proclamer roi ; et Adalbéron, cet évêque que tant de liens unissaient à la famille dépossédée du trône, s’empressa de lui conférer l’onction sacrée.

Louis V. D'après une peinture de Louis-Félix Amiel
Louis V. D’après une peinture de Louis-Félix Amiel

On connaît en réalité peu de détails sur les lieu, déroulement et date du couronnement de Hugues Capet. Certains historiens estiment que l’assemblée tenue à Noyon ne pouvait être très nombreuse. Depuis le triomphe de la féodalité, disent-ils, il ne pouvait plus y avoir d’assemblées de la nation, puisque les hommes libres étaient peu à peu tombés en servitude, et que les nobles relevaient pour leurs fiefs, de quelques grands propriétaires, qui seuls exerçaient le pouvoir politique, et qu’on désignait par le titre de vassaux de la couronne. Le nombre des grands vassaux n’allait pas au delà de huit, à savoir : le duc de Gascogne, le duc d’Aquitaine, le comte de Toulouse, le duc de France, le comte de Flandre, le duc de Bourgogne, le comte de Champagne, et le duc de Normandie, duquel la Bretagne relevait encore à cette époque.

Tels étaient les seigneurs qui avaient un intérêt réel au choix du monarque, parce que seuls ils traitaient directement avec lui ; les autres Français n’étaient plus ces sujets du roi, mais les hommes des grands vassaux, et s’inquiétaient fort peu à qui serait offerte une royauté qui ne s’étendait plus jusqu’à eux. Si l’ordre de succession au trône eût été établi sous la seconde dynastie — carolingienne —, Charles, duc de la Basse Lorraine, frère de Louis IV d’Outremer — ce dernier avait régné de 936 à 954 —, aurait succédé à son neveu Louis V.

Mais on ne manqua pas de raisons pour l’exclure ; on l’accusa de s’être fait vassal du roi de Germanie, d’avoir le cœur plus germain que français ; en un mot, il fut en butte à mille reproches, parmi lesquels on oublia le véritable : c’est qu’étant issu de Charlemagne, il croirait ne régner qu’en vertu de sa naissance ; or, on voulait un roi complice du morcellement de la France en plusieurs souverainetés à peu près indépendantes, afin que, n’ayant aucun prétexte pour essayer de revenir sur le passé, il ne songeât qu’à maintenir ce que le temps avait consacré.

Élection du roi Hugues Capet en 987
Élection du roi Hugues Capet en 987

Hugues Capet, qui comptait déjà parmi ses aïeux deux rois élus par le suffrage des grands — Eudes (888-898) et Robert Ier (922-923) le frère d’Eudes — ; qui possédait le duché de France, et disposait par son frère du duché de Bourgogne, fut préféré dans l’assemblée de Noyon où se trouvaient aussi les chefs du clergé, non comme le plus capable de rendre au trône son éclat, mais comme entièrement désintéressé dans le rétablissement de la monarchie, telle qu’elle était sous Clovis et sous Charlemagne.

C’est ainsi que souvent les princes libres de l’empire, auxquels les grands vassaux de France ressemblaient en tous points, choisissaient pour empereur celui qui, par sa position et ses intérêts, ne leur laissait appréhender aucune tentative contre leur indépendance. La famille de Hugues était depuis longtemps à la tête du parti opposé au pouvoir royal des Carolingiens, et cette circonstance fut décisive lors de la nouvelle élection.

Dans le tome 3 de son Histoire de la civilisation en France (parue en 1830), l’historien et futur académicien François Guizot explique que « la royauté carolingienne, dont les caractères principaux et fondamentaux avaient été la représentation de la puissance divine sur la terre et la personnification des intérêts et des droits de tous dans la personne royale, était au Xe siècle en contradiction, en hostilité même, avec le nouvel état, les nouveaux pouvoirs de la société. Presque toutes ces souverainetés locales, naguère formées, étaient autant de démembrements du pouvoir central. Ces ducs, ces comtes, ces vicomtes, ces marquis, maintenant indépendants dans leurs domaines, étaient pour la plupart d’anciens bénéficiers ou d’anciens officiers de la couronne.

« L’ancienne royauté, la royauté de Charlemagne, leur était donc suspecte comme une puissance sur laquelle ils avaient usurpé et qui avait beaucoup à leur redemander. Elle conservait des droits supérieurs à ses forces ; elle avait des prétentions fort au-dessus de ses droits. Elle était, aux yeux des seigneurs féodaux, l’héritière dépossédée d’un pouvoir auquel ils avaient obéi, et sur les ruines duquel s’était élevé le leur. Par sa nature, son titre, ses habitudes, ses souvenirs, la royauté carolingienne était donc antipathique au régime nouveau, au régime féodal. Vaincue par lui, elle l’accusait et l’inquiétait encore par sa présence. Elle devait disparaître.

Election de Hugues Capet le 1er juillet 987. Gravure réalisée à l'occasion de l'émission du timbre émis en 1967 rappelant cet événement
Élection de Hugues Capet, le 1er juillet 987. Illustration réalisée
à l’occasion de l’émission en 1967 du timbre rappelant cet événement

« Elle disparut en effet, poursuit Guizot. On s’est étonné de la facilité que trouva Hugues Capet à s’emparer de la couronne. On a tort. En fait, le titre de roi ne lui conféra aucun pouvoir réel dont ses égaux se pussent alarmer ; en droit, ce titre perdit, en passant sur sa tête, ce qu’il avait encore pour eux d’hostile et de suspect. Hugues, le comte de Paris, n’était point dans la situation des successeurs de Charlemagne ; ses ancêtres n’avaient point été rois, empereurs, souverains de tout le territoire ; les grands possesseurs de fiefs n’avaient pas été ses officiers ou ses bénéficiers ; il était l’un d’entre eux, sorti de leurs rangs, jusque-là leur égal ; ce titre de roi, qu’il s’appropriait pouvait leur déplaire, mais non leur porter sérieusement ombrage. Ce qui portait ombrage dans la royauté carolingienne, c’étaient ses souvenirs, son passé. Hugues Capet n’avait point de souvenirs, point de passé ; c’était un roi parvenu, en harmonie avec une société renouvelée. Ce fut là sa force, ce qui du moins rendit sa position plus facile que celle de la race qu’il écartait.

« Il rencontra cependant un obstacle moral, qui mérite notre attention... Un nouveau principe s’était développé, qu’on avait pu entrevoir lors de la chute des Mérovingiens, mais qui apparut à celle des Carolingiens, bien plus accrédité et plus clair, le principe de la légitimité. Dans l’opinion, non des peuples, ce serait trop dire, car il n’y avait à cette époque point de peuple ni d’opinion générale ; mais dans l’opinion d’un grand nombre d’hommes importants, les descendants de Charlemagne étaient seuls rois légitimes ; la couronne était considérée comme leur propriété héréditaire.

« Cette idée ne suscita point à Hugues Capet de grandes et longues difficultés ; cependant elle survécut à son successeur, et continua d’agir sur les esprits. On lit dans une lettre de Gerbert à Adalbéron, évêque de Laon, écrite en 989, c’est-à-dire deux ans après l’avènement de Hugues à la couronne : Le propre frère du divin auguste Lothaire, l’héritier du royaume, en a été expulsé. Ses rivaux ont été placés au rang des rois. Beaucoup de gens du moins les tiennent pour tels. Mais de quel droit l’héritier légitime a-t-il été déshérité ? De quel droit a-t-il été dépouillé du royaume ?

Couronnement de Hugues Capet le 3 juillet 987 à Noyon. Chromolithographie du XIXe siècle
Couronnement de Hugues Capet le 3 juillet 987 à Noyon. Chromolithographie du XIXe siècle

« Le doute sur le droit de Hugues était si réel, qu’il paraît l’avoir ménagé et peut-être partagé lui-même ; car en parlant de son avènement, une chronique porte : Ainsi le royaume des Français échappa à la race de Charles le Grand. Le duc Hugues en fut mis en possession, l’an du Seigneur 989, et le posséda neuf ans, sans porter, toutefois, le diadème. Bien plus, trois siècles après, cette idée conservait encore son empire, et le mariage de Philippe-Auguste avec Elisabeth (Isabelle) de Hainault, issue de la race de Charlemagne, était considéré comme un triomphe de la légitimité ; on lit dans la Chronique de Saint-Bertin : Ainsi, la couronne du royaume de France échappa à la race de Charles le Grand ; mais elle lui revint dans la suite, de la façon que voici. Charles (de Lorraine), qui mourut en prison (à Orléans, en 994), eut deux fils, Louis et Charles, et deux filles, Ermengarde et Gerberge. La première épousa le comte de Namur. De sa descendance naquit Baudouin, comte de Hainault (Baudoin V), qui eut pour femme, Marguerite, sœur de Philippe, comte de Flandre ; leur fille Elisabeth, épousa Philippe II (Philippe-Auguste), roi des Français, qui en eut pour fils, Louis, son successeur dans le royaume, duquel sont descendus depuis tous les rois des Français. Ainsi il est constant que dans la personne de ce Louis, et du côté de sa mère, le royaume revint à la race de Charles le Grand. »

« A coup sûr, et malgré l’extrême facilité que trouva Hugues à s’approprier la couronne, conclut Guizot, ces textes prouvent que l’idée de la légitimité de l’ancienne race était déjà développée et puissante. »

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