LA FRANCE PITTORESQUE
Cent fois sur le métier... :
également recommandé aux gens de lettres ?
(D’après « Le Figaro littéraire », paru en 1936)
Publié le jeudi 22 septembre 2016, par Redaction
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En novembre 1936, pour le tricentenaire de Nicolas Boileau — né le 1er novembre 1636 —, un chroniqueur du Figaro littéraire s’interroge sur l’opportunité qu’il y a, pour les gens de lettres, à polir leurs phrases, appliquant ainsi le célèbre précepte de l’Art poétique
 

A l’occasion du tricentenaire de Boileau, Léon Daudet soulève cet intéressant problème de technique littéraire, écrit Fernand Vandérem du Figaro littéraire : faut-il observer ou repousser le précepte fameux de l’Art poétique :

Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse et le repolissez

« Conseil absurde ! déclare Léon Daudet. Il n’y a aucune raison pour que le centième polissage soit supérieur au cinquantième ou au quatre-vingt-neuvième. Je dirai même qu’en matière littéraire, le premier jet est toujours le meilleur et que les retouches de l’esprit et du style ne font qu’asseoir l’incomparable élan du jaillissement intellectuel et sensible. »

Nicolas Boileau-Déspreaux, d'après Hyacinthe Rigaud

Nicolas Boileau-Déspreaux, d’après Hyacinthe Rigaud

Après quoi, comme exemples à l’appui de sa thèse, il cite Flaubert, dont souvent tel passage en son premier état vaut mieux qu’après corrections, les Goncourt bien meilleurs dans l’abandon de leur Journal que dans l’écriture surveillée de leurs romans, Pascal et Michelet dont les pages fougueuses ne connurent jamais fignolages ni rapetassages.

Mais voici un texte diamétralement opposé et qui développe en prose le distique de Boileau : « Je ne suis point de ces auteurs qui allèguent qu’ils auraient peur en trop remaniant leurs écrits de leur ôter cet air libre et facile qui fait un des plus grands charmes du discours. Leur excuse, à mon avis, est très mauvaise. Car les ouvrages faits au courant de la plume sont ordinairement secs, durs efforcés. Et c’est souvent le travail même qui en polissant un ouvrage lui donne cette facilité qui charme le lecteur.

« Les écrits de Virgile quoique extraordinairement travailles sont bien plus naturels que ceux de Lucain qui écrivait, dit-on, avec une rapidité prodigieuse. C’est la peine que s’est donnée un auteur à limer et à perfectionner ses écrits qui fait que le lecteur n’a point de peine en les lisant. »

Vous voyez que sur le cas la doctrine de Boileau — car les lignes précédentes figurent dans une de ses préfaces — n’est ni moins réfléchie ni moins motivée que celle de Léon Daudet. Alors à laquelle se rallier ?

Personnellement, poursuit Vandérem, je penserais volontiers que le polissage est contre-indiqué pour certains génies dont il ne peut que restreindre l’essor. Mais les Eschyle, les Dante, les Shakespeare sont rares. Et, pour la plupart des autres, je ne sais pas si l’effort vers la perfection ne porte pas leur talent à son maximum de rendement.

Et puis la dernière phrase de Boileau sur la peine à épargner au lecteur plaide aussi pour le polissage. Car, en deux lignes, n’est-ce pas la condamnation de l’obscurisme et de ses paresses ?

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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