LA FRANCE PITTORESQUE
Premières figures du féminisme
apparaissant au XVIIIe siècle
(D’après « Le Petit Parisien », paru en 1913)
Publié le mardi 14 mai 2013, par Redaction
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Le Congrès des œuvres féministes tenu en 1913, offre l’occasion au Petit Parisien d’évoquer les premières figures revendicatrices dont l’Histoire retient les noms : sociétés mixtes du XVIIIe siècle, Olympe de Gouges bientôt envoyée à la guillotine, puis la Hollandaise Etta Palm
 

Lorsqu’on étudie l’histoire des revendications des femmes en France, avance Le Petit Parisien en 1913, on constate que, depuis un siècle elles se sont affirmées au prix des difficultés les plus grandes. Les résultats acquis sont merveilleux. Aujourd’hui, dans presque toutes les professions libérales, dans la plupart des carrières artistiques, les femmes tiennent une place distinguée ; elles l’ont acquise à la suite de campagnes de presse, de réunions, et en influençant le Parlement avec une habile ténacité.

Olympe de Gouges

Olympe de Gouges

En conviant à un congrès les déléguées féministes du monde entier, les Françaises sont restées dans la tradition de leurs efforts ; elles ont donné aux pays étrangers, où se multiplient les propagandistes par le fait, le plus salutaire et le plus consolant des exemples. Mais au moment où les féministes de France sont à l’honneur, il nous a semblé qu’il était bon de rappeler celles qui furent à la peine ; dans des tentatives naïves ou comiques, il faut voir le but à atteindre et la bonne volonté. Il n’est pas d’effort stérile dans les grandes causes.

Qu’il se soit trouvé dans l’ancienne France des femmes remarquables au double point de vue du savoir et de la sagesse, que plusieurs aient exercé une influence prépondérante sur les affaires publiques, qu’un certain nombre aient souhaité, non sans raison, se substituer aux hommes pour le bien de l’Etat, ce sont là des faits certains. Mais ce qui est nouveau, au dix-huitième siècle, c’est de voir des femmes se réunir, se grouper pour discuter de leurs droits politiques ou rédiger des pétitions qui seront envoyées à des assemblées parlementaires ou au roi lui-même.

En réalité, l’on commença par des clubs mixtes. C’est la province qui, cette fois encore, se montra novatrice. A Agen, sous le nom de Société d’amusement, un cercle fondé dans cette ville admettait les femmes comme membres actifs. Il existait, en 1781, dans le Morbihan, une société patriotique bretonne qui recevait les femmes. Enfin, en 1788, l’on projeta de fonder une académie des modes à Paris, qui devait se composer de vingt-cinq hommes et de vingt-cinq femmes.

Mais, comme on le devine, ce régime mixte, qui ne donna d’ailleurs pas grands résultats, ne satisfaisait pas les féministes. Elles résolurent de se rassembler pour émettre et rédiger des vœux d’émancipation sociale. Un seul doctrinaire de la Révolution les encourageait. C’était l’un des plus illustres. Condorcet, dans ses Lettres d’un bourgeois de New-Haven, soutint, en 1788, que les femmes devaient être éligibles et élisantes. Sa voix resta sans écho. Les hommes politiques d’alors ne songèrent pas sérieusement à donner les droits politiques aux femmes, ce qui fit même écrire à Legouvé : « La Révolution a échoué parce qu’elle fut injuste envers les femmes. »

Cependant, l’on ne peut s’imaginer le nombre de requêtes féministes qui tombèrent sur le bureau de la Convention. L’une prétendait qu’après avoir aboli tous les privilèges, il fallait abolir ceux du sexe masculin ; une autre, plus sage, voulait chasser les hommes de certains métiers féminins : « Qu’on nous laisse l’aiguille et le fuseau », réclame-t-elle ; mais cette sagesse n’est guère répandue... Une pétition demande un décret qui oblige les hommes à épouser les femmes sans dot. Enfin, des femmes s’unissent pour exiger que le genre masculin ne soit plus regardé, même en grammaire, comme le plus noble. L’on comprend, après de telles élucubrations, la boutade de Saint-Evremond, soutenant que « l’esprit de la plupart des femmes sert plus à fortifier leur folie que leur raison. »

Mais les femmes ne se contentèrent pas d’envoyer des pétitions à la Convention : des groupements s’organisèrent, des chefs brandirent le drapeau ; le premier écrivain féministe se nommait Olympe de Gouges : c’était une belle femme venue de Montauban pour conquérir Paris. Sa beauté lui valut bon nombre d’admirateurs mais la passion d’écrire la consumait ; elle composa une centaine d’ouvrages traitant de questions féministes.

Club des amies de la vérité

Club des amies de la vérité

Elle soutenait que la femme devait avoir le droit de monter à la tribune, puisqu’elle possédait celui de mourir sur l’échafaud ; elle obtint l’autorisation d’organiser un cortège féminin à la fête de la Loi. Elle voulut organiser une garde nationale féminine pour protéger la reine ; elle demanda pour les femmes le droit d’être décorées. Mais le tribunal révolutionnaire fit cesser brusquement la propagande d’Olympe de Gouges en l’envoyant à la guillotine.

Le. zèle des féministes ne fut pas ralenti par la mort d’Olympe de Gouges. Une étrangère, une Hollandaise, Etta Palm d’Aelders, se mit à la tête du mouvement. Son nom mérite d’être retenu par la postérité, parce que, sous son impulsion, fut créé le premier cercle de femmes qui porta le nom de Club des amies de la vérité. Marc de Villiers, auquel nous devons une étude remarquable sur les efforts du féminisme sous l’ancien régime, donne des détails sur la vie d’Etta Palm. C’était une Hollandaise dont le mari était parti pour les Indes ; elle mena à Paris une existence assez mystérieuse, ce qui la fit accuser de galanterie et d’espionnage.

Les attaques dont Etta Palm fut l’objet prouvent qu’au terme de la Révolution français, les mœurs littéraires n’étaient pas meilleures que celles d’aujourd’hui. En tout cas, Etta Palm trouva parmi des conventionnels comme Brissot des défenseurs ardents ; elle gagna surtout des adeptes et des admiratrices par la force de ses convictions. Elle prononça, lors de son admission à la Société fraternelle des deux sexes, un discours qui remporta un tel succès que les citoyennes de Creil, qui formaient une compagnie de la garde nationale, la nommèrent par acclamations membre honoraire, et lui envoyèrent une médaille.

On a conservé les témoignages écrits de la réception mémorable qui fut faite, à Creil, à la féministe hollandaise. Elle fut imposante. Le chef de la garde nationale, qui avait le titre de colonel, vint lui-même remettre à Etta Palm Aelders des insignes et une cocarde d’honneur. « Il était entouré, mentionne le procès-verbal, de la capitaine Daru, la sous-lieutenante Bejot et les soldates Martial, Dupant, Boquet, de Bauchy. » De tels noms doivent être retenus par la postérité.

Mais l’activité de la citoyenne Etta Aelders ne s’arrêta pas en si beau chemin. La médaille de Creil lui avait donné du courage. Un mois après cette cérémonie, elle fondait la société des Amies de la vérité, qui eut des sortes de filiales dans les quatre-vingt-trois départements. Chaque cercle devait se réunir une fois par semaine leur but était de surveiller l’établissement des nourrices, l’éducation publique, se renseigner sur les femmes pauvres.

Le 1er avril 1792, Etta Palm se présenta à la barre de l’Assemblée nationale. « Nous venons, s’écria-t-elle, demander, au nom de la société, que les lois mettent notre sexe sur le niveau de celui des hommes. » Elle fit un discours véhément et laissa une pétition sur le bureau de la Chambre, qui réclamait une éducation morale et nationale pour les filles ; que la majorité des femmes soit portée à vingt et un ans que la liberté politique et l’égalité des droits soient accordées aux deux sexes que le divorce soit décrété. C’est en Hollande qu’Etta Palm finit obscurément ses jours.

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