LA FRANCE PITTORESQUE
Hamlet : tragédie exhumée avant
Shakespeare par le Français
François de Belleforest en 1570
(D’après « Comptes-rendus des séances de l’Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres », paru en 1932)
Publié le mercredi 30 novembre 2022, par Redaction
Imprimer cet article
C’est incontestablement le Français François de Belleforest, originaire du pays de Comminges, qui a remis dans la circulation littéraire, pendant la seconde moitié du XVIe siècle, l’histoire d’Hamlet racontée en latin par un chroniqueur danois du commencement du XIIIe siècle, Saxo Grammaticus.
 

François de Belleforest l’inséra, en 1570, au tome V de ses Histoires tragiques (oeuvre en 7 volumes parus de 1566 à 1583) : c’est là que l’auteur du théâtre shakespearien l’a certainement puisée pour composer la tragédie d’Hamlet. Or, circonstance fort importante, Belleforest avait poursuivi un but particulier en donnant place à cette histoire lointaine dans son célèbre recueil. Il déclare, en effet, dans l’Argument qui précède le récit, que ce qui l’a amené plus spécialement à répandre ce récit, ce sont les rapports frappants qu’il offre avec un drame tout récent auquel ont assisté l’Ecosse et l’Angleterre et qui a fait périr un roi « hors de saison ».

Henry Darnley

Henry Darnley, second époux de Marie Stuart

C’est sans aucun doute possible le meurtre de Lord Henry Darnley, second époux de Marie Stuart, reine d’Ecosse, mis à mort le 9 février 1567, auprès d’Edimbourg, qui l’a ainsi amené à faire revivre l’histoire du danois Hamlet. La situation est, en effet, tout à fait la même dans le récit de Belleforest et dans le drame de la mort de Darnley, assassiné par Bothwell, avec la complicité de Murray, frère illégitime de Marie Stuart, et de Morton. Des deux côtés, le coupable réussit à prendre la place de la victime et à épouser peu après sa veuve, représentée comme la maîtresse du meurtrier et par là même complice présumée de son crime.

C’est, on le sait, l’accusation qui fut tant de fois dirigée contre Marie Stuart et qui fit le malheur de sa vie. Chose singulière : cette déclaration de Belleforest fut longtemps ignorée de tous les éditeurs et critiques de Shakespeare par suite de diverses circonstances, et surtout en raison de ce fait que la traduction anglaise de Belleforest, publiée à partir de 1608, a supprimé les deux allusions si caractéristiques au meurtre de Darnley fournies par son Argument. Or, non seulement l’auteur de l’Hamlet shakespearien n’a pas méconnu cette intervention, mais il l’a, par surcroît, très fortement accentuée et développée. C’est là une partie essentielle de la démonstration.

L’exposé montre ensuite, point par point, les concordances surprenantes qui existent entre toutes les circonstances rapportées dans la tragédie shakespearienne touchant la mort du père d’Hamlet et celles de la mort de Darnley. Une seule ne se retrouve pas dans ce dernier événement : l’injection du poison par l’oreille. Or, ce fut là précisément l’accusation dirigée contre Marie Stuart, à l’occasion de la mort de son premier mari le roi de France François II, dont on attribua la mort à un empoisonnement par l’oreille.

Il existe d’autres analogies vraiment extraordinaires. Ainsi, pour n’en donner qu’un exemple, quand le fantôme du père d’Hamlet revient, à l’acte III, scène 4, au cours de l’entretien de la reine avec son fils, il est présenté, dans l’édition de 1603, comme vêtu, non plus d’une armure, mais de sa robe de nuit : night gown. Cette indication disparut dans l’édition de 1604. Or, Darnley fut retrouvé mort dans un jardin voisin de sa résidence, ayant auprès de lui ou tenant en main sa robe de nuit : night gown. On rencontre, des deux côtés exactement la même expression. Le corps du père d’Hamlet, comme celui de Darnley, fut retrouvé dans un jardin, couvert de pustules, etc.

On ne saurait manquer de rendre un témoignage particulier au remarquable travail, publié en 1921, par Miss L. Winstanley, professeur à l’Université du pays de Galles, qui a soutenu la thèse des rapports d’Hamlet avec le drame écossais. La critique a alors, à peu près partout, repoussé ses conclusions, cependant si pénétrantes. Il est vrai que sa démonstration n’ayant pas été appuyée sur l’Argument de Belleforest, a été privée ainsi de son fondement naturel. Mais on se trouve donc en mesure d’ajouter une série d’autres arguments aux siens, notamment ceux qui dérivent de la comparaison des deux Hamlet (1603 et 1004).

François de Belleforest

Buste de François de Belleforest, à Samatan (Gers)

Dès lors que le lien entre la Tragédie d’Hamlet et l’histoire de Marie Stuart peut être établi avec évidence, la figure du personnage principal de l’œuvre shakespearienne apparaît sous un jour tout nouveau. Cela amène à montrer, par des rapprochements nombreux fournis par les textes, que le roi Jacques VI, fils de Marie Stuart, a dû servir de prototype à l’auteur, qui a mêlé, apparemment, certains traits de sa propre psychologie à la figure d’Hamlet. Il existe des éléments communs à Claudius et à Bothwell.

On peut désormais expliquer la célèbre scène des portraits et les origines du spectre, et poursuivre tout un programme de recherches nouvelles sur le drame. Nul doute, après cela, que la production d’Hamlet ne se rattache à la fois au problème de la succession d’Elisabeth et à la double histoire de Marie Stuart et de son fils Jacques d’Ecosse ; la pièce se rapproche, de toute évidence, de ce qu’on a pu appeler « le secret du roi Jacques », exposé par un historien anglais.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE