LA FRANCE PITTORESQUE
Café Tortoni (Le) : créé en 1798
et point de rencontre de personnalités
influentes au XIXe siècle
(D’après « Histoire anecdotique des cafés et cabarets de Paris », paru en 1862)
Publié le mardi 23 février 2016, par Redaction
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Souvent cité par Balzac dans ses romans de la Comédie humaine, par Stendhal en mentionnant la salle de billard dans Le Rouge et le Noir ou encore par Proust et Maupassant, le café parisien Tortoni connut un grand succès au XIXe siècle : là s’y retrouvaient hommes politiques, intellectuels et femmes du monde
 

Velloni est le premier glacier napolitain qui soit venu à Paris pour y exercer son industrie. C’était en 1798, en plein Directoire. Il ouvrit successivement plusieurs cafés : le premier au coin de la rue Taitbout et du boulevard des Italiens, et les autres sur différents points de Paris. Mais il ne sut pas faire d’heureuses affaires, et dut laisser en 1804 son établissement à Giuseppe Tortoni, l’un de ses aides ; et Tortoni réussit, là où Velloni avait échoué.

Au XIXe siècle, le café Tortoni est connu du monde entier. Quand deux Français se trouvent à mille lieues de la mère patrie, dans le Caucase ou dans l’Inde, à Ispahan ou à Java, et qu’ils se quittent pour en faire mille autres, ils se donnent rendez-vous au café Tortoni ou au café de Paris, comme les Saint-Cyriens et les Polytechniciens à l’estaminet Hollandais, comme les provinciaux au café de la Rotonde.

Autour du café Tortoni

Autour du café Tortoni

Quoique par la suite un peu déchu de son ancienne splendeur, quoique un peu oublié des Parisiens inconstants, le café Tortoni a mérité la vogue dont il a joui sous l’Empire et sous la Restauration, époque à laquelle il était le rendez-vous de toutes les célébrités et de toutes les élégances. Là sont venus : le prince de Bénévent et le comte de Montrond – le roi de la diplomatie et le roi de la mode – ; Lacretelle et Jouy, des gens de lettres destinés à l’Académie ; Delrieu et Riboutté, des gens de lettres destinés à l’oubli ; Harel, destiné à la Porte-Saint-Martin ; Saint-Didier et quelques autres.

Ce qui attirait là principalement le prince de Talleyrand, c’était Spolar – un ancien avocat du barreau de Rennes, réduit à se faire professeur de billard, à qui Tortoni avait donné, dans sa maison, la table et le logement. Le billard était placé dans un des petits salons du premier étage, et le prince de Bénévent, ainsi que le comte de Montrond, aimaient à passer là quelques heures arrachées, par l’un aux affaires politiques, par l’autre aux affaires amoureuses.

Talleyrand avait un tel plaisir à voir jouer Spolar, il avait une telle confiance dans son jeu, qu’il l’invita un jour à venir chez lui, et le présenta à un de ses amis, receveur général du département des Vosges, très fort aussi sur le billard, et très fier de sa force. Un pari eut lieu, une partie solennelle s’engagea entre Spolar et le receveur, qui perdit quarante mille francs. Vous voyez qu’il fait bon de savoir jouer au billard, et que cela rapporte plus encore que de savoir jouer de la parole. Spolar aurait mis quarante ans à gagner, en plaidant, ces quarante mille francs-là.

Un des types curieux du café Tortoni était Prévost, un des garçons, qui avait l’échine aussi souple que la conscience, et qui ne vous abordait jamais que courbé jusqu’à terre, et en vous disant de la voix la plus melliflue : « Pardon ! pardon ! mille fois pardon ! Monsieur a-t-il eu la bonté de désirer quelque chose ? » C’était charmant.

Ce qui ne l’était pas moins – pour lui – c’est qu’en vous rendant votre monnaie il en gardait la meilleure part, quitte à vous répéter, lorsque par hasard vous vous en aperceviez : « Pardon ! pardon ! mille fois pardon ! » Beaucoup en font autant, sans vous en dire autant.

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