LA FRANCE PITTORESQUE
Donner de la tablature
à quelqu’un
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Publié le vendredi 5 novembre 2021, par Redaction
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C’est susciter à une personne une affaire qui doit l’occuper longtemps, lui donner de la peine ou l’embarrasser
 

On trouve cette définition dans le dictionnaire des Proverbes publié en 1758. C’est une métaphore tirée de la pratique des maîtres de musique qui appellent tablature les airs notés qu’ils donnent pour leçons à leurs écoliers. On disait donc autrefois, en général, donner de la tablature pour enseigner ou instruire, parce que l’enseignement de la musique, vu la diversité des méthodes, paraissait offrir une suite de secrets presque impénétrables, ce qui fit que l’on prit bientôt cette expression en mauvaise part et on l’interpréta dans le sens de causer de la peine ou du souci.

On dit aussi d’un homme capable d’en enseigner un autre et qui en sait beaucoup plus que lui qu’il lui donnera longtemps de la tablature. Cette façon de parler appartient au style familier. On lit dans le Menteur de Corneille. (Acte Ier, scène Ire) les deux vers suivants :

Je suis auprès de vous en fort bonne posture
De passer pour un homme à donner tablature.

Et cette phrase dans le roman de Le Sage intitulé : le Bachelier de Salamanque (VI, 8). « C’était une petite personne dont la garde m’aurait donné bien de la tablature à Alcaraz où les jeunes cavaliers sont vifs et galants. » Balzac, notre romancier si connu, dans ses Scènes de la vie privée (tome IV) a bien caractérisé, par cette expression, un de ces types qu’il a introduite dans Une esquisse d’homme d’affaires ; voici ces lignes : « Un ancien directeur des douanes, nommé Denisard, dans qui le Croizeau voulut voir un rival et à qui, plus tard, il dit : Môsieu, vous m’avez donné bien de la tablature ! » Ce mot doit vous faire entrevoir le personnage.

Les notes de musique. Carte fantaisie de 1903 des éditions Bergeret
Les notes de musique. Carte fantaisie de 1903 des éditions Bergeret

Le poète Scarron (XVIe siècle) emploie cette locution avec la forme pronominale, dans le sens de s’imposer une chose, prendre à tâche. Son sonnet, moitié sérieux, moitié burlesque où il est fait usage de cette locution est resté célèbre, le voici :

Superbes monuments de l’orgueil des Humains,
Pyramides, tombeaux dont la vraie structure
A témoigné que l’art, par l’adresse des mains
Et l’assidu travail, peut vaincre la nature.

Vieux palais ruinés, chefs-d’œuvre des Romains
Et les derniers efforts de leur architecture,
Colisée où souvent des peuples inhumains
De s’entr’assassiner se donnaient tablature.

Par l’injure des ans vous êtes abolis,
Ou du moins, la plupart vous êtes démolis,
Il n’est point de ciment que le temps ne dissoude (dissolve).

Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,
Dois-je trouver mauvais qu’un méchant pourpoint noir
Qui m’a duré deux ans soit percé par le coude.

En définitive et, comme conclusion, on peut établir que ce mot tablature est synonyme de difficulté, d’efforts. L’emploi que l’on a fait de celle expression dans la conversation familière atteste la conscience qu’on avait autrefois du grand travail au prix auquel s’achetait la science musicale.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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