LA FRANCE PITTORESQUE
Incendie sur le Petit-Pont en 1718 :
22 maisons brûlées
à cause d’un simple cierge
(D’après « Journal historique et anecdotique
du règne de Louis XV » (Tome 1), édition de 1847)
Publié le jeudi 13 octobre 2016, par Redaction
Imprimer cet article
Le mercredi 27 avril 1718 eut lieu un effroyable incendie sur le Petit-Pont, au Petit-Châtelet, causé par un simple cierge. Avocat au parlement de Paris, Edmond Barbier se rend sur place deux heures après le début du drame et en consigne les détails, nous révélant que les maisons qui débordaient toutes sur l’eau, posées sur des pilotis et qui redoutaient de périr dans les dégels par la débâcle des glaçons, ont, au contraire, été consumées et détruites entièrement par le feu en sept à huit heures de temps.
 

Cela doit paraître bien surprenant ; mais ce qui en a été cause est encore plus extraordinaire, écrit Barbier dans son Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV. Une femme avait perdu son fils, qui s’était noyé. On lui dit qu’elle trouverait son corps en mettant dans une sébile de bois un cierge allumé et un pain de saint Nicolas de Tolentin – c’était un pain béni sous l’invocation de ce saint, et auquel on attribuait diverses propriétés miraculeuses –, ermite de Saint-Augustin ayant vécu à la fin du XIIIe siècle ; elle le fit. Cette sébile se promena sur l’eau, alla s’arrêter contre un bateau de foin qui était attaché sur le quai de la Tournelle, vis-à-vis les Dames de Miramion – communauté de femmes, située sur la quai de la Tournelle entre la rue de Pontoise et la rue des Bernardins –, et y mit le feu.

Le Petit-Pont et le Petit-Châtelet avant l'incendie

Le Petit-Pont et le Petit-Châtelet avant l’incendie

Le maître du bateau n’ayant point voulu prendre les mesures nécessaires pour le faire conduire au milieu de l’eau et le faire couler, les marchands de bois craignirent que le feu ne gagnât les autres bateaux de foin et de charbon, et que, par le vent, cela ne vînt aux piles de bois qu’ils avaient en grande quantité sur le port ; ils coupèrent la corde et le bateau s’en alla tout en feu au gré de l’eau. Il prit la petite rivière, enfila les deux ponts de l’Hôtel-Dieu, qui sont de pierre, mais quand il fut au pont du Petit-Châtelet, il ne put passer, parce que les arches étaient remplies et embarrassées de poutres et de pièces de bois.

Le feu prit aisément aux premières maisons du côté de l’Hôtel-Dieu, où logeait un nommé Olivier, marchand linger. Le marchand voisin se trouvait avoir marié sa fille la veille, et il n’y avait personne chez lui. Comme le feu prenait par-dessous, et que toutes ces constructions étaient en bois, il fut impossible de l’éteindre. Il consuma d’abord toutes les maisons entre le Petit-Châtelet et l’Hôtel-Dieu, et gagna, tant par-dessous que par le travers de la rue, les maisons du côté opposé, en sorte que les deux côtés du pont étaient en feu en même temps.

Cela commença à sept heures du soir : à neuf heures je sortis de chez un de mes amis contre la rue Saint-Denis, rapporte Barbier ; on voyait de là tout l’air en feu. J’arrivai jusqu’à la Madeleine – Sainte-Madeleine en la Cité, église paroissiale qui se trouvait dans la rue de la Juiverie, près de la rue des Marmousets –, et non plus avant, parce que le guet gardait tous les passages, et que l’on prenait tout le monde pour travailler.

C’était un spectacle affreux de voir cet embrasement : les pompes qui allaient à force ne faisaient que l’irriter. La vue de ce feu était aussi épouvantable du côté de la rue Saint-Jacques, par l’ouverture de l’arcade du Petit-Châtelet ; il semblait un grand four à chaux ; l’on voyait tomber les poutres entières. La rivière au bas du pont fut bientôt comblée ; l’eau ne passait plus que par une arche. Toute la charpente qui tombait brûlait même dans l’eau parmi ces décombres. Quand le bateau de foin fut consumé à un certain point, il descendit jusqu’auprès du pont Saint-Michel, où il acheva de brûler jusqu’à la fin. Étant à ras l’eau, il brûlait encore le lendemain après midi.

Tout le guet fut sur pied ; on ordonna de jeter de l’eau des puits dans toutes les maisons du voisinage. On commanda pour travailler des détachements de soldats aux gardes – on appelait ainsi les soldat du régiment des gardes françaises, corps d’infanterie qui faisait partie de la maison du roi –, qui arrivèrent de tous les faubourgs, en veste, un sergent à la tête, avec des pioches et autres outils. Des capucins et des cordeliers y vinrent ; plusieurs personnes, soldats et moines, y périrent, tant par le feu que par l’eau ; d’autres furent ensevelis sous les ruines.

Tous les magistrats s’y rendirent. M. le premier président (de Mesmes), M. le procureur général (Joly de Fleury), M. le lieutenant de police (Machault), le lieutenant criminel (Lecomte), le procureur du roi (Moreau), le prévôt des marchands (Trudaine), les échevins et les commissaires du Châtelet. Il y avait aussi MM. le maréchal de Villeroi, gouverneur du roi, le maréchal de Villars, le duc d’Antin-Contades, major des gardes françaises, le duc de Tresmes, gouverneur de Paris, et le cardinal de Noailles, archevêque de Paris. Tous ces messieurs étaient à l’Hôtel-Dieu, dans la salle qui donne sur le Petit-Pont, pour donner les ordres nécessaires.

Il y a eu une perte considérable surtout pour les marchands qui étaient du côté du Petit-Châtelet, e ! qui ont été incendiés les premiers. Non seulement ils ont perdu les marchandises et les meubles qui ont. été brûlés ou jetés dans l’eau, mais aussi la plupart de ceux qu’ils ont été obligés de confier aux premiers venus, et qu’on ne leur a point rapportés, car il y a toujours beaucoup plus de fripons que d’autres.

Le Petit-Pont après l'incendie de 1718

Le Petit-Pont après l’incendie de 1718. Peinture de Jean-Baptiste Oudry

C’était une désolation de voir tous les environs du Petit-Pont déménager sur le Marché-Neuf et dans la rue de la Huchette ; on n’apercevait que des gens qui portaient des meubles, jusqu’à des servantes en chemise qui emportaient leurs hardes. Le Petit-Châtelet, qui est très bien bâti, a sauvé la rue de la Huchette et le côté de la rue Galande. Un pavillon très vieux, mais fait de pierres de taille, qui était derrière la maison d’un marchand, a sauvé le Marché-Neuf, d’autant que le vent y donnait : par bonheur il n’était pas grand. On abattit beaucoup de ce côté-là, et le feu y était encore tout le lendemain. Pendant trois jours les magistrats ne cessèrent d’y aller donner des ordres. Il y a eu vingt-deux maisons brûlées, et pendant huit jours on ne passa pas sur le Petit-Pont. On a fait visiter les fondements de celui-ci par des architectes.

Il y a eu un arrêt du parlement qui a ordonné une quête générale dans toutes les paroisses de Paris, pour dédommager des pertes de cet incendie, et un mandement de M. l’archevêque, pour faire exhorter au prône, dans lequel il est dit que c’est un malheur et en même temps une punition du ciel.

M. le régent eut peur à la nouvelle de cette désolation. Le peuple, qui fut en l’air toute la nuit et qui vint voir ce feu de tous les quartiers, fit apparemment appréhender ou un pillage, ou quelque chose de pis. Cela se termine en effet quelquefois en émotion, surtout quand il y a du mécontentement. En un mot, il y avait des compagnies de soldats aux gardes que je vis sortir de la rue de la Huchette à onze heures du soir, en ordre et armées, et on ordonna aux gendarmes et aux mousquetaires d’être prêts à monter à cheval.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE