LA FRANCE PITTORESQUE
Popularité politique (La)
au regard de l’Histoire
(D’après « Le Gaulois », paru en 1890)
Publié le dimanche 12 janvier 2020, par Redaction
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En 1890, une chroniqueuse du Gaulois, comparant la popularité politique à l’ouragan « qui naît de rien, s’augmente de tout, gronde avec un bruit de tonnerre, et disparaît », en distingue deux sortes : d’un côté celle, usurpée et éphémère, que l’on crée artificiellement à grand renfort d’argent, de réclames et de refrains ; de l’autre celle, plus durable car fondée, qui éclot spontanément et récompense une action d’éclat
 

« La popularité, cette grande menteuse ! », s’exclamait Victor Hugo. Dans les champs ou dans les bois, quand la brise s’élève, imperceptible, elle ne fait d’abord pas plus de bruit qu’un vermisseau émergeant du sol et s’y traînant doucement. Un grain de terreau qui se déplace, une herbe fine comme un cheveu vert et qui oscille invisiblement, une fourmi qui détale... l’ouïe du trappeur le plus exercé, collant l’oreille au sol pour deviner les secrets de la prairie, n’en surprendrait rien.

Lentement, l’insaisissable rumeur se fait perceptible à l’animal humain. On dirait, maintenant, non plus la marche rampante du ver ou du reptile, l’avancée ondulante qui contourne les obstacles sans les froisser, mais le trot menu d’une bestiole alerte, la course joyeuse d’un mulot, hérissant sa délicate fourrure aux aiguilles mortes des pins, aux branchettes qui se rompent sous son poids léger. Il troue, force, avance. les feuilles craquent, le gazon ondule là où il a passé.

Le thermomètre politique
Le « thermomètre politique »

La clameur des choses enfle comme un son de trompe à l’hallali. Elle ressemble maintenant à la galopade folle de quelque grande bête poursuivie. Elle traverse les halliers, les hauts taillis, les jeunes arbres, qui résonnent comme ébranlés à coups de boutoir. L’écho donne de la voix, furieusement ; les blés et les avoines s’inclinent, foulés par le bruit qui passe...

Mais voici que l’air lui-même est envahi. Cette rumeur à ras de terre a fait se lever, comme une volée de canards au-dessus des marais, les ondes invisibles de l’atmosphère. Elles vous soufflettent au passage, avec un grand bruit d’ailes, et s’élancent, tumultueusement, vers un but inconnu. La cime des chênes plie, sous leur poussée victorieuse, comme, il y a quelques secondes, pliait le brin d’herbe, sous l’effort de l’imperceptible insecte.

Et, du sol au ciel, pas une miette de nature ne reste muette ! Dans ce charivari géant et superbe, chaque chose, chaque être, donne sa note, jette son cri, pousse son hurlement ! C’est le chant de guerre du vent se lançant à l’assaut de l’espace, la clameur belliqueuse des tempêtes fécondes qui vont porter au loin les pollens vagabonds, les germes aventureux, les semences anonymes qui s’épanouiront de surprise sous des deux inconnus.

C’est l’ouragan.

Je ne l’ai jamais entendu se former, élever, passer, sans songer à ce que les hommes appellent la popularité. Je ne parle pas, ici, de la popularité guerrière qui naît d’une victoire et meurt parfois d’une défaite, qui est brutale et rapide comme la foudre, dont elle a l’éclat, la puissance, la brièveté.

Ceux qui l’ont connue – à moins qu’ils ne soient des dix grands conquérants dont l’Histoire a gardé les noms – ceux-là ont eu son baiser furtif une fois en leur vie, puis sont retombés dans le tas des glorieux dont la foule sait à peine les noms.

Ils seront aux Invalides, ces noms, sur quelque Arc de Triomphe, en quelque Panthéon guerrier, gravés sur une plaque de marbre, que le gardien mouillera de sa salive et essuiera de sa manche pour la mieux faire voir aux étrangers. Mais leurs traits resteront inconnus du peuple, et ne sauront leurs noms que ceux des siens qui auront eu le loisir d’un peu étudier.

Non. C’est la popularité politique à laquelle, suivant moi, ressemble la tourmente, qui naît de rien, s’augmente de tout, gronde avec un bruit de tonnerre et disparaît ! Mais cette popularité est de deux sortes : celle qu’on fait et celles qui se font.

Je ne crois pas beaucoup à celle qu’on fait. Il ne suffit pas, pour un homme, de se dire qu’à force d’argent, de réclames, d’images, de refrains, d’ovations plus ou moins sincères, il forcera l’attention publique, s’imposera à l’opinion, enlèvera, haut la main, le cœur d’une nation comme on conquiert une belle fille, peu farouche et tendre au vainqueur.

Cela peut réussir en commençant.

Mais il en est des nations comme des femmes, surtout en notre race latine, prompte à la riposte, vive à la réplique, un tantinet exigeante. Elle admet les préliminaires ; mais ne comprend pas qu’on s’y attarde. Et celui qui s’est embarqué dans l’aventure, qui lui a monté la tête et troublé le cœur, n’ayant que des préliminaires à offrir, est vivement rabroué.

La belle fille reprend sa course, les poings sur les hanches, cherchant l’époux qu’il faut à ses vingt ans ! Ça, c’est la bourrasque, qui s’élève sur place, y tourbillonne – avec un grand fracas, il est vrai – et retombe à plat, sans avoir dépassé le cercle de son berceau, sans avoir porté au loin un germe vivifiant, sans avoir éveillé les échos ou soufflé les étoiles.

Tout autre est la popularité qui naît d’un acte héroïque ou simplement généreux, mais qui va au cœur de la foule, l’émeut, la rapproche de l’inconnu dont la veille, peut-être, elle ignorait l’existence, mais dont, désormais, elle s’enquerra, le faisant sien rien que par cette curiosité, par ce désir de savoir ses origines et son but.

Cette popularité-là, on peut chercher à l’agrandir, on ne l’a pas fait naître. Elle est éclose toute seule, d’un coup de tête ou d’un coup de main ; ceux qu’elle intéresse n’ont plus qu’à en surveiller la croissance, qu’à en favoriser le développement.

Ces popularités-là naissent viables. On ne les a pas longuement élaborées, patiemment préparées, chèrement acquises. On n’a pas été gratter le dos du vermisseau pour qu’il circulât, enrayer le mulot pour le faire courir, relancer le sanglier dans sa bauge, afin de pouvoir dire ensuite : « Comme ce bois est bruyant ! »

Non. Le fait est arrivé ; il n’a pas été une résultante, il a été une cause ; si la forêt s’éveille, si le vent s’élève, c’est que, d’eux-mêmes, ils sentent que les temps sont venus.

Faites des chansons, lancez des images, collez des affiches, ô gens de tous les partis ! La France, la jolie France au teint de pâquerette, aux lèvres de coquelicot, aux yeux de bleuet, attend, un peu gouailleuse, un peu émue, regarde, compare et choisira !

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