LA FRANCE PITTORESQUE
28 janvier 1782 : mort du premier géographe
du roi, Jean-Baptiste d’Anville
(D’après « Biographie universelle ancienne
et moderne » (Tome 2), paru en 1811)
Publié le dimanche 28 janvier 2024, par LA RÉDACTION
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Depuis l’âge de 12 ans, cependant qu’une carte géographique lui tomba entre les mains, il n’eut de cesse de s’adonner au dessin des pays et contrées évoquées par les historiens grecs ou latins, obtenant le brevet de géographe du roi avant l’âge de 22 ans
 

Premier géographe du roi, pensionnaire de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, adjoint-géographe de l’Académie des sciences, de la Société des antiquaires de Londres, de l’Académie de Pétersbourg, et secrétaire ordinaire du duc d’Orléans, Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville naquit à Paris le 11 juillet 1697, de Hubert Bourguignon et de Charlotte Vaugon.

Une carte géographique tombée par hasard entre ses mains, lorsqu’il n’avait que 12 ans, lui donna occasion de manifester son goût pour la géographie. Il employa, depuis, une partie du temps de ses classes, et même de ses récréations, à dessiner les pays et les contrées dont parlent les historiens latins. Ce goût ne tarda pas à se convertir en une espèce de passion.

Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville, par Benjamin Duvivier. Gravure du XVIIIe siècle

Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville, par Benjamin Duvivier. Gravure du XVIIIe siècle

Dès lors, toutes les études du jeune d’Anville furent dirigées vers la géographie ; il ne lisait plus les poètes et les historiens grecs ou latins, que dans l’intention de trouver la place que les villes dont ils ont parlé occupaient sur le globe, et il essayait de fixer les limites de ces vastes empires, dont il ne reste de traces que dans l’histoire. Il suivait sur ses cartes la marche des armées, à travers des contrées devenues désertes , et s’occupait à retrouver les champs de bataille où s’était autrefois décidé le sort du monde.

Ses études, soutenues par un noble enthousiasme, et constamment dirigées vers le même but, lui avaient procuré de très bonne heure d’immenses connaissances en géographie. Il se fit connaître, bientôt après avoir fini le cours de ses classes, des savants les plus distingués ; avant l’âge de vingt-deux ans, il obtint le brevet de géographe du roi.

C’est sans doute dans la conversation des hommes qui alors jouissaient de la plus grande réputation, qu’il puisa les premiers éléments de cette critique saine et judicieuse qui lui a fait assigner un rang si distingué à la tête des géographes. Il s’habitua à comparer les connaissances qu’il n’avait jusqu’alors que rassemblées ; il apprit à les classer, et finit par acquérir ce tact si délicat et si difficile à définir, qu’on l’a comparé à une espèce d’instinct ; mais vraisemblablement ce n’était chez d’Anville que le résultat des combinaisons d’un esprit extraordinairement juste, dont les idées bien ordonnées venaient en foule à l’appui d’une première conception, sans que la plus légère circonstance propre à la confirmer ou à la détruire, pût lui échapper.

Quoi qu’il en soit, de l’aveu de tous les géographes, d’Anville était doué, au plus haut degré, d’une finesse de tact surprenante, qui lui faisait presque toujours distinguer la vérité de l’erreur. Un des objets les plus importants, dont il se soit occupé, fut de déterminer la longueur des mesures itinéraires des anciens, et de les comparer avec celles des modernes. La sagacité avec laquelle il a su éclaircir un sujet si obscur, et semé de tant de difficultés, est ce qui lui fait le plus d’honneur ; et c’est à cette première connaissance qui sert de base à toute la géographie ancienne, que d’Anville doit le plus grand nombre de ses autres succès.

La partie de ses ouvrages qui comprend la géographie moderne, contient tout ce qu’on savait sur les pays qu’il a décrits à l’époque où ses cartes ont été publiées ; mais nos connaissances se sont tellement accrues, que ces cartes sont inférieures à celles qui ont été faites depuis. C’est cependant dans cette partie, qui n’est presque plus consultée, que d’Anville a donné la preuve la moins contestable de la supériorité de son talent.

Il parvint, par l’application des mesures anciennes qu’il avait établies, à réduire considérablement l’étendue que l’on avait donnée à l’Italie, et il eut la satisfaction de voir les corrections qu’il avait faites à la carte de cette contrée, confirmées par les opérations géodésiques exécutées d’après les ordres du pape Benoît XIV, pour mesurer un arc du méridien dans l’état ecclésiastique.

Ce succès surprenant tend à confirmer les différentes mesures dont il avait fait usage, et, d’après ce fait, on ne doit plus être surpris du degré d’exactitude qui a donné une si grande réputation à sa Géographie ancienne. La plupart des cartes qu’il a publiées sur cette matière ont été faites pour accompagner des dissertations sur l’histoire des peuples de l’antiquité. Nous avons eu depuis, sur les mêmes sujets, des ouvrages qui ont reculé nos connaissances ; mais les auteurs à qui nous les devons, n’ont pas cru pouvoir mieux faire, que de se servir des cartes de d’Anville.

A l’époque où nos connaissances sur les mœurs et l’histoire des anciens peuples avaient encore de si grands progrès à faire, d’Anville, par une sagacité plus qu’humaine, semble avoir posé les limites de celles que nous pouvons acquérir sur les pays qu’ils ont habités. Cette exactitude ne paraîtrait peut-être pas extraordinaire si nous n’avions, pour vérifier ses conjectures, que les ouvrages qui les ont fait naître ; mais, ce qui est une espèce de prodige, c’est que la plupart de ses opinions ont été confirmées par ceux qui ont visité les contrées qu’il a décrites.

De Choiseul-Gouffier, dans son Voyage pittoresque de la Grèce, rend hommage à l’exactitude des cartes de d’Anville. Les cartes d’Egypte, pour lesquelles d’Anville a toujours témoigné une affection particulière, ont donné à sa gloire le plus grand éclat dont elle pût être couronnée ; leur exactitude a été également confirmée par les savants français qui, d’après les ordres de l’empereur Napoléon, ont été chargés de visiter le pays, et d’en dresser de nouvelles cartes. Les Anglais ont été forcés de rendre hommage à la supériorité de d’Anville, et le plus bel éloge qu’ils aient pu donner au major Rennel, le plus célèbre de leurs géographes, a été de le nommer le d’Anville de l’Angleterre. L’Orbis veteribus notus, l’Orbis romanus, doivent être entre les mains de tous ceux qui lisent l’histoire ancienne ; ainsi que ses cartes de la Gaule, de l’Italie et de la Grèce ancienne ; il en est de même des cartes des mêmes pays qui font partie de la géographie du Moyen Age.

D’Anville ne publiait guère de carte sur la géographie ancienne, sans l’accompagner ou la faire suivre d’un mémoire où il donnait, en détail, les raisons qu’il avait d’abandonner les idées de ceux qui l’avaient précédé, et d’en adopter de nouvelles. Les hommes curieux de s’instruire pourront juger, en les consultant, de la profondeur de son érudition, et de la solidité de son jugement ; mais, soit que, trop occupé du fond des choses, il eût négligé de former son style, soit que, dans la discussion, il ait trop souvent paru attacher autant d’importance aux plus légères considérations qu’aux principales raisons qui devaient le déterminer, on s’aperçoit avec peine que ses idées ne sont pas développées avec cette lucidité que l’on a droit d’attendre d’un esprit aussi juste et d’un jugement aussi sain : ces mémoires ne peuvent être lus que par ceux qui se livrent à l’étude de la géographie.

Carte de la Grèce antique par Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville

Carte de la Grèce antique par Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville

D’Anville a publié deux cent onze cartes et plans, et soixante-dix-huit mémoires, épars dans diverses collections et dans différentes bibliothèques. Les mémoires qu’il a composés sur les mesures itinéraires des Romains, des Grecs et des Chinois, sont les plus beaux monuments de géographie que nous possédions. Il avait essayé de déterminer la figure de la terre, d’après les routes et les observations des navigateurs qui avaient fait le tour du globe, ou qui avaient traversé la mer du Sud ; nous ne nous étendrons pas sur cette partie de ses travaux, à laquelle on a peut-être voulu ajouter trop de prix : les résultats qu’il en a tirés doivent être rangés dans le très petit nombre de ses erreurs.

D’Anville avait formé une collection immense de cartes tant gravées que manuscrites ; le gouvernement l’acquit en 1779, et l’en laissa jouir le reste de sa vie. Le dernier service que d’Anville ait rendu à la science fut de mettre cette collection en ordre. Quoique d’une constitution faible et délicate, il résista, depuis sa jeunesse jusqu’à un âge très avancé, à un travail de quinze heures par jour. Il était naturellement simple et modeste ; mais la conscience qu’il avait de ses forces l’avait peut-être rendu un peu trop sensible à la critique. Deux ans avant sa mort, il perdit l’usage de ses facultés, et termina sa carrière le 28 janvier 1782, âgé de près de quatre-vingt—cinq ans.

Il avait épousé, en 1730, Charlotte Testard, qui mourut en 1781, dans un temps où les infirmités de d’Anville ne lui permettaient plus de sentir le prix de ses affections ; il en avait eu deux filles, dont l’une mourut religieuse, et l’autre fut avantageusement mariée. L’éloge de d’Anville a été prononcé par Condorcet et par Dacier ; on le trouve dans les Mémoires de l’Académie.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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