LA FRANCE PITTORESQUE
La leçon de la Fronde
(Chapitre 12)
(par Jacques Bainville)
Publié le dimanche 10 juillet 2011, par Redaction
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On a pris l’habitude de regarder la Fronde comme un épisode romanesque et même galant à cause des belles dames qui s’en mêlèrent. Ce fut, en réalité, la poussée révolutionnaire du dix-septième siècle. Ce « grand siècle » n’est devenu celui de l’ordre qu’après avoir passé par le désordre. Il a eu, vers son milieu, une fièvre, une éruption répandue sur plusieurs pays d’Europe.
 

Nous avons déjà vu le roi d’Espagne aux prises avec des mouvements d’indépendance en Catalogne et au Portugal. À Naples, le pêcheur Masaniello prit le pouvoir et son histoire frappa les imaginations. À Paris, dans les rues, au passage d’Anne d’Autriche, on criait : « À Naples ! » Mais rien ne saurait se comparer à l’impression que produisit la révolution d’Angleterre. L’exécution de Charles Ier, beau-frère de Louis XIII, semblait annoncer la fin des monarchies. Le rapport de ces événements avec les troubles qui éclatèrent en France n’est pas douteux.

On retrouve dans la Fronde les éléments ordinaires dont les révolutions se composent. L’effort et la fatigue de la guerre de Trente Ans y entrèrent pour une part. Richelieu avait demandé beaucoup au pays et tout ce qui avait été contenu sous sa main de fer se libéra sous Mazarin. Il se fit une alliance des grands qu’il avait contraints à la discipline nationale, et de la bourgeoisie qui avait souffert dans ses intérêts d’argent. Pour une autre part, et non la moindre, il y eut le jansénisme, cette Réforme sans schisme, qu’on a pu appeler « la Fronde religieuse ». Les pamphlets contre Mazarin et les polémiques avec les jésuites, les « mazarinades » et les Provinciales (bien que légèrement postérieures) partent du même esprit. Un admirateur de la Fronde l’a appelée « la guerre des honnêtes gens contre les malhonnêtes gens ». Si elle avait réussi, on lui aurait certainement reconnu les caractères intellectuels et moraux d’une révolution véritable.

Lorsque les troubles éclatèrent, au commencement de 1648, l’année du traité de Westphalie, le gouvernement était depuis plusieurs mois en conflit avec le Parlement qui déclarait illégales quelques taxes nouvelles. La raison du mécontentement était toujours la même : la guerre, l’action extérieure, l’achèvement du territoire coûtaient cher. Le Trésor était vide. Il fallait emprunter, imposer, quelquefois « retrancher un quartier » de la rente, ce que les bourgeois prenaient mal comme on s’en douterait si la satire de Boileau ne l’avait dit. Mazarin, tout aux grandes affaires européennes, laissait les finances et la fiscalité au surintendant. Lorsque les choses se gâtaient, il se flattait de les arranger par des moyens subtils. Il eut le tort, quand le Parlement adressa au pouvoir ses premières remontrances, de ne pas voir qu’il s’agissait de quelque chose de plus sérieux que les cabales d’Importants dont il était venu à bout au début de la régence. La résistance du Parlement faisait partie d’un mouvement politique. On demandait des réformes. On parlait de liberté. Surtout on en voulait à l’administration laissée par Richelieu, à ces intendants qu’il avait créés et qui accroissaient l’autorité du pouvoir central. Les hauts magistrats recevaient des encouragements de tous les côtés. Les concessions par lesquelles Mazarin crut les apaiser furent donc inutiles. Le Parlement s’enhardit, et bien qu’il n’eût que le nom de commun avec celui de Londres, l’exemple de la révolution anglaise ne fut pas sans échauffer les imaginations. En somme le Parlement de Paris, le plus souvent soutenu par ceux des provinces, prétendait agir comme une assemblée souveraine et, au nom des antiques institutions et libertés du royaume, limiter l’autorité de la monarchie, singulièrement renforcée sous la dictature de Richelieu. Les Parlements deviennent dès ce moment-là ce qu’ils seront encore bien plus au dix-huitième siècle : un centre de résistance au pouvoir et d’opposition aux réformes, d’agitation et de réaction à la fois, un obstacle à la marche de l’État.

Le gouvernement avait fini par s’apercevoir du danger. Il voulut couper court et profiter de l’impression produite par la victoire de Lens. L’arrestation de quelques conseillers fut ordonnée et, parmi eux Broussel, devenu populaire par son opposition acharnée aux impôts. Ce fut le signal de l’insurrection et des barricades. Devant le soulèvement de Paris, le gouvernement céda. Broussel, « le père du peuple », fut remis en liberté. L’abolition ou la réduction des taxes fut accordée ainsi que diverses réformes, en particulier des garanties pour la liberté individuelle, que le Parlement réclamait. Le pouvoir avait capitulé devant cette ébauche de révolution.

La reine Anne s’en rendit si bien compte qu’elle ne se crut plus en liberté à Paris et emmena le jeune roi à Rueil. Elle n’en revint qu’après la signature de la paix dans l’idée que ce grand succès national changerait les esprits. Mais les traités de Westphalie, si importants pour l’avenir, si importants pour l’histoire, firent à peine impression. Comme la guerre continuait avec l’Espagne, Mazarin, qui devenait l’objet de l’animosité publique, fut accusé de l’entretenir. L’opposition reprit de plus belle. La campagne des pamphlets et des chansons contre le cardinal et la régente s’envenima. Pour la seconde fois, le gouvernement jugea plus prudent de quitter Paris pour Saint-Germain, mais de nuit et secrètement, tant la situation était tendue. À ce départ, le Parlement répondit en exigeant le renvoi de Mazarin et la ville se mit en état de défense. La première Fronde éclatait.

C’était la manifestation d’un désordre général. Grands seigneurs et belles dames, noblesse toujours indépendante généraux même, clergé avec Gondi (le cardinal de Retz), Parlement, bourgeoisie, peuple : l’effervescence était partout. Il s’y mêlait des souvenirs de la Ligue, des rancunes protestantes (ce qui explique le cas de Turenne), l’impatience de la discipline que Richelieu avait imposée : tout ce qui fait balle dans les temps où il y a des sujets de mécontentement nombreux et où l’on sent que l’autorité n’est plus très ferme. Cependant cette confusion de tant d’intérêts et de tant de « mondes » divers semble avoir été une des causes de faiblesse de la Fronde. Dès le premier choc avec les troupes régulières, l’armée levée par les Parisiens subit un échec devant Charenton. La discorde se mit chez les Frondeurs et l’on finit par négocier avec la Cour une paix ou plutôt une trêve.

Il serait trop long de raconter par le détail les intrigues et les troubles dont furent remplis et le reste de l’année 1649 et les années qui suivirent. Ce temps ne peut se comparer qu’à celui de la Ligue. Le désordre s’était étendu aux provinces. La Normandie et Bordeaux furent un moment en révolte ouverte. Cependant nous étions toujours en guerre avec l’Espagne et ni Condé ni le glorieux Turenne n’hésitaient à marcher avec l’ennemi qui avança jusqu’à la Marne. Il fallut que l’Espagne fût bien affaiblie pour ne pas tirer meilleur parti de ces avantages.

Au milieu de cet immense gâchis, la détresse devint extrême. Les rentiers qui avaient commencé la Fronde eurent à s’en repentir, les premiers. On n’est surpris que d’une chose, c’est que, dans cette confusion, la France ne se soit pas dissoute. Ce qui sauva encore la monarchie, ce fut l’absence d’une idée commune chez les séditieux. Une assemblée de la noblesse réclama les états généraux, selon l’usage des temps de calamités. Elle prétendit, invoquant toujours les anciennes traditions féodales que nous avons vues renaître sous la Ligue, rendre au second ordre un droit de contrôle sur le pouvoir. Ce langage, bien qu’il fût accompagné de formules libérales, inquiéta le Parlement qui se réservait ce rôle pour lui-même et se souvenait des états de 1614, de l’affaire de la Paulette et de la rancune des gens d’épée contre les gens de robe. L’échec de la nouvelle Fronde était en germe dans ce conflit.

La nouvelle était pourtant bien plus grave que l’ancienne. Mazarin et la reine Anne, ne pouvant rien par la force, avaient essayé de diviser leurs adversaires et obtenu l’arrestation de Condé et des princes de sa famille par des promesses au clan de Gondi. La manœuvre ayant réussi, Turenne et les Espagnols ayant en outre été battus à Rethel, Mazarin voulut profiter de la circonstance pour ramener la Cour à Paris et raffermir son autorité. C’en fut assez pour que tous les Frondeurs s’unissent contre lui. Le duc d’Orléans, le président Molé, Gondi, les parlementaires et les nobles, tout le monde se dressait contre Mazarin. À la fin, le Parlement n’exigea pas seulement la libération des princes mais le bannissement du ministre. Mazarin n’attendit pas l’arrêt : il s’enfuit de Paris et se réfugia chez notre allié l’électeur de Cologne, après avoir convenu avec la régente qu’il la conseillerait de loin en attendant son retour.

La situation était véritablement révolutionnaire. La reine Anne, ayant voulu à son tour quitter Paris, en fut empêchée par les Frondeurs. Les milices bourgeoises furent convoquées et elle ne les apaisa qu’en leur montrant le jeune roi endormi ou qui feignait de dormir : il n’oublia jamais ces scènes humiliantes. En somme, la famille royale était prisonnière, Beaufort, Gondi, la Grande Mademoiselle, tous les agités, les étourneaux et les doctrinaires de cette étrange révolution maîtres de Paris. Par bonheur, ce beau monde, uni à celui de la rue, ne tarda pas à se déchirer. Avant de prendre la fuite, Mazarin avait ouvert les portes de la prison de Condé, avec l’idée que cet orgueilleux ne s’entendrait pas longtemps avec les autres frondeurs. Mazarin avait vu juste. Monsieur le Prince mécontenta tout le monde. Son alliance avec l’Espagne devint un scandale et le Parlernent, qui dénonçait en Mazarin l’étranger, ordonna que l’on courût sus à Condé, rebelle et traître et qui avait livré les places à l’ennemi. La circonstance, qu’il avait calculée, parut propice au cardinal pour rentrer en France : sur-le-champ, l’union se refit contre lui-même, et comme le jeune roi, dont la majorité avait été proclamée sur ces entrefaites, était à la poursuite de Condé, la Fronde régna sans obstacle à Paris. Lorsque l’armée royale, commandée par Turenne qui s’était soumis (car on passait avec facilité d’un camp dans l’autre), voulut rentrer dans la capitale, elle fut arrêtée à la porte Saint-Antoine et c’est là que Mademoiselle, du haut de la Bastille, tira le canon contre les troupes du roi.

On était en 1652, et ce fut pour l’État le moment le plus critique de la Fronde. Le roi était arrêté devant Paris, avec des provinces soulevées dans le dos. Un gouvernement de princes et de princesses du sang et de démagogues se formait : c’était le retour aux pires journées de la Ligue. Le bon sens, par l’organe d’un tiers parti, revint aussi pour les mêmes raisons. Les bourgeois parisiens ne tardèrent pas à sentir que ce désordre ne valait rien pour les affaires. Une émeute, accompagnée de tuerie et d’incendie à l’Hôtel de Ville, effraya les uns et commença à dégoûter les autres. Après trois mois de ce gâchis, Paris, devenu plus sage, fut mûr pour le retour du jeune roi et Mazarin rentra lui-même en février de l’année suivante.

La France était tout endolorie de cette stupide aventure. D’une guerre civile, aggravée par la guerre étrangère et qui avait duré quatre ans, était sorti ce qu’un contemporain appelait « la ruine générale des peuples ». On a décrit « la misère au temps de la Fronde ». Misère telle que les missions de saint Vincent de Paul parcouraient le royaume pour porter secours aux affamés et aux malades. D’ailleurs, comme après la Ligue, le pays fut long à se remettre de la secousse. L’indiscipline ne disparut pas du jour au lendemain. Il fallut négocier et réprimer, payer les uns et punir les autres. Des provinces étaient en pleine anarchie, exploitées et tyrannisées par des brigands à prétentions féodales. Ce fut le cas de l’Auvergne où il fallut encore, dix ans plus tard, tenir des « grands jours » et faire des exemples par une procédure extraordinaire. Et quand on se demande comment l’État français a néanmoins résisté à cet ébranlement, on doit se souvenir que l’armée, en général, resta dans le devoir et que tout se serait dissous sans ces « quelques officiers inconnus de vieux régiments », dont parle M. Lavisse et dont « la ferme fidélité sauva le roi et la France ».

Sainte-Beuve a écrit, à propos d’une autre période troublée de notre histoire : « Nous nous imaginons toujours volontiers nos ancêtres comme en étant à l’enfance des doctrines et dans l’inexpérience des choses que nous avons vues ; mais ils en avaient vu eux-mêmes et en avaient présentes beaucoup d’autres que nous avons oubliées. » La Fronde fut une de ces leçons, leçon pour la nation française, leçon pour le roi qui se souvint toujours, dans sa puissance et dans sa gloire, des mauvais moments que la monarchie avait passés pendant son adolescence.

La Fronde vaincue, Mazarin rentré à Paris, l’ordre ne se rétablit pas comme par enchantement. L’ordre, la France y aspirait. Comment, par quelle forme de gouvernement se réaliserait-il ? On ne le voyait pas encore. Mais un point restait acquis et se dégageait de ces agitations, de ces campagnes de pamphlets et de presse, des paroles audacieuses du Parlement : l’opposition à Mazarin était née de l’opposition à Richelieu, plus violente encore parce que le pouvoir était plus faible et que le deuxième cardinal était un étranger. Depuis trente années et même plus, car l’origine remonte à Concini, le régime de la France avait été celui du « ministériat », le gouvernement, au nom du roi, par un ministre. Ce régime a été bon pour la France puisque, sous deux hommes de premier ordre, il nous a donné frontières, sécurité, prestige en Europe. Cependant les Français ne s’en sont pas accommodés. Ce régime leur déplaît, les froisse. Et puisqu’il n’est pas supporté, puisqu’il cause de si violentes séditions, il est dangereux, il ne faut pas qu’on y retombe. D’autre part si la France dit ce qu’elle ne veut pas, elle ne dit pas non plus ce qu’elle veut. Le mot de République, quelquefois prononcé pendant la Fronde, reste sans écho. Puisque la France est exténuée par l’anarchie, puisqu’elle a eu peur d’un autre abîme, comme au temps de la Ligue, puisqu’elle veut un gouvernement qui gouverne et qui ne soit pas celui d’une sorte de grand vizir, il ne reste qu’une solution : le gouvernement personnel du roi. Voilà comment le règne de Louis XIV est sorti de la Fronde.

De 1653 à 1661, cette pensée mûrit. Louis XIV, qui devient homme, réfléchit, forme ses idées. C’est une transition où se prépare ce qui va suivre. Le calme revient, l’autorité se rétablit et cette autorité sera celle du roi. Le changement qui se produit et le besoin de l’époque ont été admirablement rendus par la légende. Louis XIV n’est pas entré au Parlement un fouet à la main. Il n’a pas dit : « L’État c’est moi. » C’est pourtant le sens de son avertissement aux magistrats, toujours démangés de désobéissance, lorsque, ayant appris qu’ils refusaient d’enregistrer des édits présentés par lui le même jour, il revint en hâte de la chasse et leur parla un langage sévère. Mais le mot « l’État c’est moi », était celui de la situation. Il sera vrai quelques années plus tard. Il ne l’était pas encore lorsque le Roi n’avait que dix-sept ans et Mazarin dut calmer le Parlement, toujours pénétré de son importance et fâché de l’algarade.

L’étonnant, c’est que, dans sa grande faiblesse, la France ait pu continuer sa politique et en finir avec la guerre d’Espagne. Il est vrai que, prêté pour rendu, Mazarin soutenait la révolution du Portugal comme les Espagnols aidaient la Fronde. Et puis, le traité de Westphalie jouait en notre faveur. Plus d’inquiétude du côté de l’Allemagne. Si Mazarin ne put empêcher l’élection de Léopold de Habsbourg après la mort de Ferdinand, il noua avec une douzaine de princes allemands l’alliance connue sous le nom de Ligue du Rhin qui suffisait à paralyser l’Empire. Enfin Mazarin rechercha l’amitié de Cromwell bien que la France eût donné asile aux Stuarts. Après l’exécution de Charles Ier, oncle de Louis XIV, ni la monarchie française ni la monarchie espagnole n’avaient protesté ni même rompu les relations diplomatiques parce que l’une et l’autre désiraient le concours de l’Angleterre. L’indifférence aux idées et aux régimes était telle que ce fut même la Hollande républicaine qui, pour ses intérêts maritimes, entra en lutte avec la République anglaise. Dans le conflit de la France et de l’Espagne, l’Angleterre, comme au siècle précédent, était l’arbitre. Cromwell opta pour la France parce qu’il trouva bon de ruiner la marine des Espagnols et de leur prendre des colonies : les rivalités coloniales commençaient à exercer leur influence sur la politique de l’Europe.

Le concours anglais, bien que très faible au point de vue militaire, fit pencher la balance en notre faveur. La guerre avec l’Espagne, cette guerre de plus de vingt ans, qui languissait, se ranima, surtout en Flandre. Turenne se retrouva en face de Condé, toujours au camp espagnol, et le battit près de Dunkerque aux dunes. Ce fut la fin. Le traité des Pyrénées fut signé entre la France et l’Espagne en 1659. Et cette paix, autant que la différence des situations le permettait, fut calquée sur celle de Westphalie. Nos acquisitions étaient importantes : le Roussillon et la Cerdagne, une partie de l’Artois, quelques places en Flandre, en Hainaut et en Luxembourg. Mais, dans cette politique de progression modérée qui était la vraie tradition capétienne reprise par Richelieu, l’accroissement de la sécurité ne comptait pas moins que celle du territoire. Il s’agissait toujours d’empêcher la réunion de l’Autriche et de l’Espagne. En manœuvrant pour que Louis XIV épousât l’aînée des infantes, Mazarin empêchait le mariage de Marie-Thérèse avec l’empereur Léopold, mariage qui eût ramené le vieux péril de Charles Quint. Léopold épousa une autre fille de Philippe IV, mais il n’était plus que cohéritier d’Espagne avec le roi de France. En outre, par une clause du contrat, Marie-Thérèse n’abandonnait ses droits à la succession de la couronne d’Espagne que « moyennant » une dot qui ne devait jamais être payée. Nos espérances sur la Flandre, à laquelle nous avions dû renoncer pour la plus grande part, restaient donc ouvertes, et nous pourrions, si le cas se présentait, - et il se présentera, - nous opposer au transfert à l’Autriche de la succession espagnole. Ainsi, onze ans après le traité de Westphalie, celui des Pyrénées ne nous laissait plus sur le continent d’ennemi redoutable, et, par cette élimination des deux dangers, l’allemand et l’espagnol, plus que par ses conquêtes, la France devenait ce qu’elle n’avait jamais été jusque-là, c’est-à-dire la première des puissances d’Europe.

Il est aussi vain de contester la part de Mazarin dans ce succès que de chercher à la calculer exactement. Il a continué Richelieu. Il avait compris sa pensée. Il a réussi dans des conditions difficiles, malgré la France, et cet Italien a été plus constamment Français que Turenne et Condé. On ne lui a pas pardonné d’avoir aimé l’argent et d’avoir empli ses poches. Des services qu’il rendait, il se payait lui-même, Ce n’était pas délicat. D’une autre façon, des ministres intègres mais maladroits ont coûté plus cher.

En 1661, lorsque Mazarin meurt et que la véritable majorité du roi commence, tout est réuni au-dedans et au-dehors pour un grand règne. Cependant les choses, en France, étaient encore loin d’aller pour le mieux. Comme disait le préambule d’une ordonnance du temps, le désordre était « si universel et si invétéré que le remède en paraissait presque impossible ». Dans ce désordre, si les puissances féodales avaient été abaissées, les puissances d’argent avaient grandi. Les financiers, les traitants, habiles à mettre les gens de lettres de leur côté, et, par eux, l’opinion publique, étaient devenus un pouvoir inquiétant pour l’État : le procès de Fouquet sera l’acte par lequel Louis XIV, à son début, établira son autorité. Il s’agit, pour le roi, de gouverner lui-même, comme la nation, qui ne veut plus du « ministériat », le demande. Il s’agit, à l’extérieur, de conserver les progrès réalisés, ce qui sera aussi difficile qu’il l’a été de les obtenir, de même qu’il est plus difficile de garder une fortune que de la gagner. À la fin, et dans l’ensemble, Louis XIV aura été égal à ces tâches. Et pour expliquer son œuvre, sa politique, son esprit, son caractère, un mot suffit et ce mot est encore du sagace Sainte-Beuve : « Louis XIV n’avait que du bon sens, mais il en avait beaucoup. » C’est pourquoi l’école classique, l’école de la raison, qui s’épanouit au moment où il devient le maître, s’est reconnue en lui. On dirait que, dans tous les domaines, la leçon de la Fronde a porté.

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