LA FRANCE PITTORESQUE
Bière française (La) se hisse
au tout premier rang
grâce à une « fabrication scientifique »
(D’après « Lectures pour tous », paru en août 1930)
Publié le mercredi 6 avril 2016, par Redaction
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Le bock frais, le « demi » mousseux, sont un des plaisirs de l’été, écrit en août 1930 Jacques Carolles qui se félicite de voir la brasserie française s’être alors hissée au premier rang par un effort de production scientifique, Pasteur ayant résolu d’ « arriver à ce que la fabrication de la bière française luttât avec celle de la bière allemande »
 

Voici le mois où, dans la plaine d’Alsace, les rameaux souples et verts du houblon forment un immense réseau sur leur forêt de perches. « Les lianes vertes, écrit M. René Bazin, ressemblent à des tentes de feuillage très pointues, à des clochers plutôt, car des millions de petits cônes, formés d’écailles grises saupoudrées de pollen, se balancent depuis la pointe suprême jusqu’à terre, comme des cloches dont le sonneur est le vent. »

Buveur de bière à la source

Buveur de bière à la source

Bientôt, ce sera la cueillette. Les fleurs vertes, dont l’odorante poussière annonce la maturité, s’entasseront dans les corbeilles. Et ensuite, de main en main, le houblon prendra le chemin des brasseries. Celles-ci le choisissent avec soin. Car il y a des crus de houblon. Et les nôtres sont de premier ordre. De cette plante amère réputée pour être un calmant du système nerveux, un produit apéritif et stomachique, nous avons en France des récoltes qui peuvent soutenir la comparaison avec les meilleures : houblons de Bourgogne, d’Alsace, des Flandres et de Lorraine que groupe « l’Union houblonnière de France ».

C’est une des causes – mais non la seule, il s’en faut – de l’excellence de nos bières françaises. Elles ont aujourd’hui définitivement conquis les suffrages des connaisseurs. Elles sont d’une variété de types qui répond aux goûts les plus divers, et qui va jusqu’aux bières de haute densité, comparables à tous points de vue aux plus fameuses bières étrangères. La supériorité de celles-ci, qui fut peut-être justifiée autrefois, a fait son temps. Il y a cinquante ans, on ne manquait jamais de citer la brasserie comme un des plus frappants exemples de l’avance prise par l’industrie allemande. Dès les années d’avant-guerre, la situation avait changé : les bières d’importation étaient déjà en régression.

Et le mouvement n’a cessé de s’accentuer : les chiffres sont là pour en témoigner. L’importation des bières étrangères a diminué dans de telles proportions qu’actuellement, pour un bock de bière allemande, il se consomme en France 4 500 bocks de bière française ! 4 500 contre un, c’est une belle cote. Nos amateurs de bière ont compris qu’ils n’avaient plus aucune raison de payer plus cher un produit étranger, quand ils peuvent en trouver chez nous au moins l’équivalent.

Une fabrication scientifique
D’où vient cette renaissance de notre brasserie ? Du très heureux effort réalisé par tous nos industriels, pour renouveler du tout au tout leurs méthodes de fabrication. « Il y a quarante ans, disait dans une récente conférence M. Paul Petit, l’éminent doyen de la Faculté des sciences de Nancy, directeur de l’École de brasserie de cette ville, nos usines, depuis longtemps pourvues d’un matériel antique, travaillant d’une manière empirique, étaient certainement en état d’infériorité par rapport aux brasseries allemandes, déjà dotées de centres d’enseignement, de recherches et de contrôle. Certes, nous reconnaissons volontiers que nous avons profité des progrès réalisés en Allemagne ; mais nous avons su créer tout ce qui nous manquait alors, nous avons su transformer notre matériel, notre personnel, nos procédés. »

Les progrès de la bière française sont dus, on ne saurait trop le dire, à une entente de plus en plus étroite entre le laboratoire et l’usine. Et c’est le génie de Pasteur qui a orienté dans cette voie les procédés de fabrication. Dès qu’il commença dans les brasseries, en 1856, ses études sur la bière, le grand savant, nous dit son biographe, M. René Vallery-Radot, ne cessa de se fixer ce but : « arriver à ce que la fabrication de la bière française luttât avec celle de la bière allemande ». C’est grâce à lui que l’asepsie, le contrôle bactériologique, les levures pures révolutionnèrent une industrie.

« Les bières que l’on buvait en France vers 1860, a écrit M. Emile Dillon, président de l’Union générale des syndicats de la brasserie française, étaient presque toutes des bières de fermentation haute, qui avaient une certaine valeur quand elles étaient préparées par des temps froids, mais qui, aussitôt que les chaleurs survenaient, subissaient de fortes variations dans leur qualité. »

Et ces différences de goûts étaient telles que, dans les pays de forte consommation, tels que Strasbourg par exemple, il s’était formé une véritable corporation de connaisseurs en bières qui, chaque matin, allaient, de brasserie en brasserie, goûter la bière et indiquaient aux amateurs vers quelle bonne maison ils devaient diriger leurs pas pour boire le meilleur bock. C’est qu’on ignorait à cette époque tout l’essentiel de la fabrication scientifique : non seulement les procédés d’antisepsie pour le nettoyage des fûts et des cuvelles, mais aussi l’emploi du froid artificiel.

La fermentation basse, le refroidissement des caves par des glacières, donnèrent aux bières une telle supériorité de qualité et de stabilité que, bientôt, nos brasseries s’y rallièrent. Employée tout d’abord exclusivement en Bavière et en Autriche, elle gagna peu à peu la France, d’où étaient parties les méthodes pastoriennes. Et c’est ainsi que les observations des techniciens eurent peu à peu leur répercussion sur la construction et le matériel.

Brasserie Laubenheimer à Nérac (Lot-et-Garonne)

Brasserie Laubenheimer à Nérac (Lot-et-Garonne)

A l’outillage rudimentaire d’autrefois, la brasserie a substitué un matériel perfectionné de concasseurs, de filtres-presses, de cuisson par la vapeur, de tanks en acier émaillé, d’appareils de soutirage en accord avec les plus modernes recherches. Cette organisation mécanique et thermique a permis à nos brasseurs de produire à volonté les types de bière qu’ils désirent, en leur assurant une conservation qu’on n’eût pas osé envisager autrefois. Il n’est pas jusqu’à la mise en bouteilles, par machines automatiques, qui ne réponde aux plus modernes conceptions de l’hygiène.

La plus pure des boissons
On peut dire que la bière est aujourd’hui la plus pure, la plus saine des boissons. Provenant d’un moût stérile, fermentée par des levures pures, dans un matériel aseptisé suivant les doctrines pastoriennes et avec un sévère contrôle bactériologique, elle n’introduit dans l’organisme aucun ferment nocif. Et elle constitue en outre un aliment de premier ordre : « La bière, disait Raspail, est essentiellement nutritive. » L’analyse confirme cette affirmation, en nous donnant la teneur des hydrates de carbone, des vitamines et des albuminoïdes qu’elle contient. Il est établi qu’un litre de bière par jour fournit à l’homme un neuvième de l’alimentation qui lui est nécessaire.

Si l’on ajoute qu’elle ne permet pas le développement du bacille typhique, qu’elle échappe à toutes les critiques de la répression des fraudes qui, lorsqu’il s’agit de bonne bière, se traduisent invariablement par un zéro dans la colonne donnant le pourcentage des échantillons fraudés, on aboutit à cette conclusion que la bière apporte à l’organisme les aliments plastiques et minéraux dont il a besoin, sous une forme qui favorise leur assimilation et justifie le surnom qu’on lui a donné de « pain liquide ».

« La brasserie, a dit M. Jehan Charlie, secrétaire général de l’Union des syndicats de la brasserie française, est une industrie nationale. » Et il est indéniable, en effet, que la cervoise de nos ancêtres gaulois alimenta peu à peu les cornes que vidaient les Saxons, en chantant autour des feux leurs chants nationaux.

Il est temps de nous en souvenir. La « Journée de la bière », que la Foire-Exposition de Nancy organise chaque année, témoigne de l’effort que la France poursuit pour garder à notre industrie une place qui lui était, naguère encore, ardemment disputée. Le temps est proche où les brasseurs seront fiers d’offrir leurs bières aux consommateurs en leur disant : « La bière que vous dégustez est faite par des Français, dans du matériel français, avec des matières premières provenant exclusivement de notre sol. »

Ce jour-là, en savourant un « demi » à la terrasse d’un café, les amateurs dont Courteline nous a esquissé l’un des types en campant son Boubouroche pourront se dire qu’il y a quelque chose de changé dans l’un des aspects de la prospérité française : la bière a cessé, dès à présent, d’être un article d’importation : on compte ceux qui se laissent encore hypnotiser par une étiquette étrangère et entraîner par le souvenir périmé d’un temps qui n’est plus.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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