LA FRANCE PITTORESQUE
25 janvier 1726 : mort du géographe et cartographe Guillaume Delisle
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Publié le jeudi 25 janvier 2024, par LA RÉDACTION
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Né à Paris le dernier jour du mois de février 1675, il était fils de Claude Delisle, qui dirigea lui-même ses études avec le zèle et l’affection d’un père. Ses dispositions pour la géographie s’annoncèrent de si bonne heure, qu’à l’âge de neuf ans, il avait dressé et dessiné des cartes sur l’histoire ancienne.

Les leçons de Cassini et l’amitié de Fréret contribuèrent encore à hâter les développements de ce génie précoce : il conçut, très jeune encore, le hardi projet de réformer le système de la géographie, et de le reconstruire en entier sur de nouvelles bases. À vingt-cinq ans, il avait terminé cette difficile entreprise. Ce fut à cet âge, et dans l’année 1700, qu’il fit paraître à la fois une mappemonde, des cartes d’Europe, d’Asie et d’Afrique, un globe céleste, et un globe terrestre d’un pied de diamètre.

Pour bien comprendre le mérite de ces ouvrages, il est nécessaire d’exposer l’état de la géographie en Europe à l’époque où ils parurent, c’est-à-dire, à l’ouverture du XVIIIe siècle. Nicolas Sanson avait perfectionné l’édifice de la science qu’avaient élevé l’érudition d’Ortelius et l’habileté de Mercator : cependant, quoique Sanson occupât, de son vivant, la première place, et que presque toutes les cartes qui se publiaient alors ne fussent que des copies des siennes, il n’avait point porté la géographie à ce degré de perfection que les découvertes astronomiques faites de son temps lui permettaient d’atteindre. Il suivit trop aveuglément les longitudes de Ptolémée, et méconnut les modules de toutes les mesures itinéraires anciennes, et de la plupart des modernes. Après sa mort, ses fils et petit-fils, Moullard, Guillaume et Adrien Sanson, reproduisirent ses cartes avec de faibles changements de détails, et sans aucun égard pour les observations astronomiques qui se multipliaient de jour en jour.

Guillaume Delisle

Guillaume Delisle

En 1692 et en 1693, Lahire et Cassini leur avaient fait ce reproche, qui fut plusieurs fois renouvelé depuis. Il était évident que le système entier de la géographie avait besoin d’une réforme générale ; déjà même Godefroy Vendelin (1580-1667) et Giovanni Riccioli (1598-1671) avaient tenté cette réforme, sans cependant tracer aucune carte. Pour l’opérer entièrement, il fallait coordonner les nouvelles observations avec les nombreuses relations des voyageurs, avec les routiers de navigation non moins nombreux, avec une assez grande quantité de cartes déjà levées dans différents pays.

Une pareille tâche était au-dessus des forces du cosmographe vénitien Vincenzo Coronelli (1650-1718) que le cardinal d’Estrées avait fait venir de Venise pour travailler aux deux grands globes de Marlv, de Cantelli et de Tillemont, connu sous le nom de Jean-Nicolas du Tralage (1640-1720), tous les trois aux gages du graveur Nolin, et publiant, depuis la mort de Sanson, des cartes inférieures à celles de cet homme célèbre. Cependant Cassini, pour mieux faire comprendre aux géographes l’énormité de leurs erreurs et les besoins de la science, traça, en 1696, sur le pavé du salon occidental de l’observatoire, un planisphère, sur lequel étaient trente-neuf positions, placées selon les observations récentes. Ce planisphère fut réduit et gravé par Nolin.

Mais dans son globe terrestre, dans sa mappemonde et dans ses cartes des quatre parties du monde, Delisle montra qu’il avait exécuté ce que Cassini avait proposé. Sur ce plan du monde entièrement neuf, que Guillaume Delisle venait de faire paraître, la Méditerranée se trouvait rétrécie de 300 lieues en longitude, et l’Asie de 500.

Quoique le planisphère de Cassini eût précédé de quatre ans la publication de ces importants travaux, quoique les tables de Vendelin et les savantes discussions de Riccioli fussent déjà connues depuis longtemps, quoiqu’enfin Hondius, dès l’an 1630, eût placé sur ses cartes, au 163e degré de longitude, les côtes orientales de la Chine, que les Sanson s’obstinèrent toujours à reculer jusqu’au 180e, cependant Delisle recueillit seul, avec raison, la gloire de tous ces grands changements, parce que lui seul avait prouvé qu’ils étaient d’accord avec les mesures itinéraires anciennes et modernes, avec les relations et descriptions géographiques connues jusqu’alors ; parce que lui seul enfin, avec un petit nombre de points donnés, avait su, par de longues et savantes combinaisons, assigner aux diverses régions du globe leur véritable place.

Delisle doit donc être regardé comme le principal créateur du système de géographie des modernes ; système dont Jean-Baptiste d’Anville (1697-1782) a depuis admirablement bien perfectionné tous les détails. Les globes et les cartes du jeune Delisle furent l’objet de l’admiration générale, et lui ouvrirent les portes de l’Académie des sciences, qui le reçut en 1702. Nolin, qui avait le titre de géographe du roi, voulut dérober à Delisle sa réputation et ses succès, en faisant graver et paraître presque en même temps une mappemonde en 4 feuilles, copiée sur les cartes nouvelles qui avaient valu à leur auteur des éloges si bien mérités. Nolin ajouta, comme c’est l’ordinaire, l’imposture au plagiat. Il insinua que Delisle avait copié ses cartes, ou plutôt celles de du Tralage, son géographe.

Delisle se vit forcé de démontrer, par une critique raisonnée, insérée dans le Journal de Trévoux, les fautes énormes et l’incapacité de Jean-Nicolas du Tralage, et enfin il finit par attaquer en justice, comme plagiaire, Nolin, qui ne cessait de le harceler. Les écrits que Delisle publia dans le cours de ce procès qui dura six ans, intéressent l’histoire de la géographie, et sont trop peu connus. Ils consistent en : 1° une Requête au roi et à son conseil ; 2° un Mémoire pour Guillaume de l’Isle, de l’Académie des sciences, contre le sieur Nolin, géographe ordinaire du roi ; 3° un Arrêt du conseil d’État privé du roi, renfermant le rapport des experts, et les observations de Delisle sur ce rapport.

Carte d'Amérique dressée pour l'usage du Roy, par Guillaume Delisle, en 1722

« Carte d’Amérique dressée pour l’usage du Roy », par Guillaume Delisle, en 1722

Cet arrêt porte que les planches de la carte du sieur Nolin, convaincu de plagiat, seront saisies, rompues et supprimées, et que tous les exemplaires seront saisis, confisqués, et mis au pilon. Delisle ne fit point mettre à exécution cette sentence rigoureuse ; il fit seulement effacer ce qu’on lui avait pris de plus important sur les cartes de Nolin, et il lui laissa ses cuivres, qui étaient ornés de belles vignettes. Après être sorti triomphant de cette lutte, Delisle publia successivement un grand nombre de cartes de géographie ancienne et moderne pour toutes les parties du monde et pour diverses époques de l’histoire. Elles augmentèrent sa réputation et les progrès de la science dont il fut regardé sans contestation comme le chef.

Delisle eut l’honneur d’enseigner la géographie à Louis XV, qui prit sous un tel maître un goût particulier pour cette science, sur laquelle il composa même un petit ouvrage. Ce monarque le récompensa des leçons qu’il en avait reçues, en créant pour lui le titre de premier géographe du roi, qui n’existait pas auparavant, et dont le brevet lui fut conféré le 24 août 1718 avec une pension de 1 200 livres.

Pierre le Grand, pendant son séjour à Paris, allait voir familièrement le géographe Delisle, pour lui donner ses remarques sur la Moscovie, « et plus encore, dit Fontenelle, pour connaître mieux que partout ailleurs son propre empire. » Delisle, âgé de 51 ans, jouissait d’une santé forte et vigoureuse, et travaillait à des cartes destinées pour l’Histoire de Malte, de Vertot, lorsque, après avoir passé plusieurs jours de suite dans son cabinet, il sortit après dîner le 25 janvier 1726, et fut frappé dans la rue d’une attaque d’apoplexie, dont il mourut le même jour sans avoir repris connaissance. Son éloge a été fait par Fontenelle.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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