LA FRANCE PITTORESQUE
Seine et pommiers de Normandie :
tranches de vie des dieux ?
(D’après « La Mosaïque » paru en 1836)
Publié le lundi 7 novembre 2022, par Redaction
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Dans son Arcadie, Bernardin de Saint-Pierre, se proposant de peindre les Gaules, la Grèce et l’Egypte à l’époque du siège de Troie, y livre notamment l’origine mythologique de la Seine, fille de Bacchus qui se serait métamorphosée en flots pour échapper au dieu des mers Neptune, et celle des pommiers de Normandie, lesquels seraient le fruit ostentatoire d’une vengeance que voulut assouvir une nymphe marine contre Vénus
 

« La Seine, fille de Bacchus et nymphe de Cérès, avait suivi dans les Gaules la déesse des blés, lorsqu’elle cherchait sa fille Proserpine par toute la terre. Quand Cérès eut mis fin à ses courses, la Seine la pria de lui donner, en récompense de ses services, ces prairies que vous voyez là-bas. La déesse y consentit, et accorda de plus à la fille de Bacchus de faire croître des blés partout où elle porterait ses pas. Elle laissa donc la Seine sur ces rivages, et lui donna pour compagne et pour suivante la nymphe Heva, qui devait veiller près d’elle, de peur qu’elle ne fût enlevée par quelque dieu de la mer, comme sa fille Proserpine l’avait été par celui des enfers.

« Un jour que la Seine s’amusait à courir sur ces sables en cherchant des coquilles, et qu’elle fuyait, en jetant de grands cris, devant les flots de la mer, qui quelquefois lui mouillaient les plantes des pieds, et quelquefois l’atteignaient jusqu’aux genoux, Heva, sa compagne, aperçut sous les ondes les chevaux blancs, le visage empourpré et la robe bleue de Neptune.

Triomphe de Neptune avec deux hippocampes. Mosaïque romaine de la première moitié du IIIe siècle

Triomphe de Neptune avec deux hippocampes. Mosaïque romaine
de la première moitié du IIIe siècle

Ce dieu venait des Orcades après un grand tremblement de terre, et il parcourait les rivages de l’Océan, examinant, avec son trident, si leurs fondements n’avaient point été ébranlés. A sa vue, Heva jeta un grand cri, et avertit la Seine, qui s’enfuit aussitôt vers les prairies. Mais le dieu des mers avait aperçu la nymphe de Cérès, et, touché de sa bonne grâce et de sa légèreté, il poussa sur le rivage ses chevaux marins après elle. Déjà il était près de l’atteindre, lorsqu’elle invoqua Bacchus son père, et Cérès sa maîtresse.

« L’un et l’autre l’exaucèrent : dans le temps que Neptune tendait les bras pour la saisir, tout le corps de la Seine se fondit en eau ; son voile et ses vêtements verts, que les vents poussaient devant elle, devinrent des flots couleur d’émeraude : elle fut changée en un fleuve de cette couleur, qui se plaît encore à parcourir les lieux qu’elle a aimés étant nymphe. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que Neptune, malgré sa métamorphose, n’a cessé d’en être amoureux, comme on dit que le fleuve Alphée l’est encore en Sicile de la fontaine Aréthuse. Mais si le dieu des mers à conservé son amour pour la Seine, la Seine garde encore son aversion pour lui. Deux fois par jour il la poursuit avec de grands mugissements, et chaque fois la Seine s’enfuit dans les prairies en remontant vers sa source, contre le cours naturel des fleuves. En tout temps, elle sépare ses eaux vertes des eaux azurées de Neptune. »

La récolte des pommes. Chromolithographie du XXe siècle

La récolte des pommes. Chromolithographie du XXe siècle

Bernardin de Saint-Pierre met la narration suivante dans la bouche d’un voyageur qui est censé l’avoir recueillie des Gaulois eux-mêmes, et relative à l’apparition des pommiers en Normandie : « Voici ce qu’ils racontent au sujet de ces pommiers, qui y croissent en abondance et de la plus grande beauté. Ils disent que la belle Thétis, qu’ils appellent Friga, jalouse de ce qu’à ses propres noces, Vénus, qu’ils appellent Siofne, eût remporté la pomme qui était le prix de la beauté, sans qu’on l’eût mise seulement dans la concurrence des trois déesses, résolut de s’en venger.

« Un jour donc que Vénus, descendue sur cette partie du rivage des Gaules (les côtes de Normandie), y cherchait des perles pour sa parure, et des coquillages appelés manches de couteau, pour son fils Sifionne, un triton lui déroba sa pomme, qu’elle avait mise sur un rocher, et la porta à la déesse des mers. Aussitôt Thétis en sema les pépins dans les campagnes voisines, pour y perpétuer le souvenir de sa vengeance et de son triomphe. Voilà, disent les Gaulois celtiques, la cause du grand nombre de pommiers qui croissent dans leur pays, et de la beauté singulière de leurs filles. »

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