LA FRANCE PITTORESQUE
2 avril 1791 : mort du comte
de Mirabeau, surnommé
l’ « Orateur du peuple »
(D’après « Biographie universelle ou Dictionnaire historique
contenant la nécrologie des hommes célèbres
de tous les pays, etc. » (Tome 4), édition de 1841
et « Biographie universelle ou Dictionnaire historique des hommes
qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus,
leurs erreurs ou leurs crimes » (Tome 13), édition de 1845)
Publié le dimanche 2 avril 2023, par Redaction
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Après une jeunesse orageuse qui lui vaut de passer trois ans au donjon de Vincennes, il est élu député des États généraux par le Tiers-État d’Aix, et s’impose aussitôt par une redoutable éloquence et une prodigieuse intelligence, contribuant à la nationalisation des bien du clergé et aspirant à une monarchie constitutionnelle mais forte, avant de disparaître à 42 ans, sa mort étant un deuil national
 

Honoré-Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, le plus grand orateur d’une époque qui a vu se former les Vergniaux, les Guadet, les Barnave, naquit au Bignon (aujourd’hui Le Bignon-Mirabeau), dans le Loiret, le 9 mars 1749. Dans quelques circonstances que le sort l’eût placé, un homme doué de tant de passions fortes et impétueuses, d’une intelligence si vaste jointe à la plus imposante audace, ne pouvait manquer de se saisir du rôle marqué pour le génie, celui de dominer la masse entière des esprits, de diriger même les événements, ou de leur imprimer un mouvement plus rapide.

Les incidents de sa vie privée concoururent à façonner, pour le drame terrible où il devait figurer avec tant d’éclat, le caractère de ce premier champion de la cause populaire dans la première phase de la Révolution. Jeté tardivement dans un pensionnat militaire, après avoir reçu, sans beaucoup de fruit, une éducation soignée, Mirabeau, dont la pénétration devança les éludes dès qu’il voulut s’y livrer, céda de bonne heure à l’entraînement d’écrire.

Son père, infatué de la même passion, loin d’éprouver le sentiment d’un noble et légitime orgueil en découvrant les germes d’un talent qui allait l’éclipser, n’en parut ressentir que de la jalousie : on ne saurait expliquer autrement les rigueurs auxquelles fut soumise la jeunesse, à la vérité fougueuse, mais surtout irritée de Mirabeau. Il n’avait guère que 17 ans lorsque, volontaire dans un régiment de cavalerie, il fut, en punition d’une aventure amoureuse, conduit et enfermé à l’Ile de Ré sur les sollicitations de son père, à qui, dans la suite, de nouveaux et plus graves écarts du jeune homme fournirent l’occasion de faire lancer contre lui successivement seize autres lettres de cachet.

Portrait de Mirabeau par Jean-Antoine Laurent (1791)

Portrait de Mirabeau par Jean-Antoine Laurent (1791)

Les privations, et les embarras pécuniaires qu’on lui imposait comme de salutaires entraves le portèrent, dès qu’il eut atteint sa vingtième année, à rechercher la main ou plutôt la dot d’une demoiselle de Marignane, riche héritière dont il dissipa en peu de temps, et fort au-delà, tous les biens disponibles. Son père le fit alors interdire et confiner sur ses terres.

Là le jeune comte trouva d’abord dans les plus sérieuses études un aliment pour sa bouillante activité ; mais une affaire d’honneur, pour laquelle il rompit son ban, le conduisit bientôt, de prison en prison, à la plus scandaleuse de ses aventures, la liaison qu’il contracta pendant sa détention peu sévère au château de Joux, près de Pontarlier, avec Sophie Ruffey, aimable et jeune épouse du vieux marquis de Monnier. Tandis qu’il fuyait avec elle en Suisse, puis en Hollande, le parlement de Besançon le déclarait coupable de rapt, et le faisait exécuter en effigie.

Mirabeau fit ressource de sa plume pour subsister jusqu’à ce que, leur extradition ayant été obtenue, on enleva les deux amants d’Amsterdam pour les conduire, Sophie, alors enceinte, dans une maison de surveillance à Paris, son séducteur au donjon de Vincennes, où il passa 42 mois : c’est de cette époque que date leur Correspondance, que facilita Lenoir, lieutenant de police, et qui, trouvée plus tard au secrétariat de cette administration, fut mise au jour par Manuel ; mais une telle occupation, et d’autres encore moins futiles, ne furent pour Mirabeau pendant cet intervalle qu’un délassement à des méditations sérieuses, à des travaux plus analogues à cette vigueur de conception qui devait bientôt lui donner une si grande influence.

Le premier emploi qu’il fit de sa liberté fut de purger sa contumace : il obtint même que les procédures relatives à sa coaccusée fussent mises au néant ; ensuite, voulant, suivant sa propre expression, se réinvestir de 60 000 livres de rentes, il requit juridiquement sa femme de se rapprocher de lui ; mais un arrêt de séparation intervint, rendu sur la production, faite par lui-même, d’une lettre de sa femme, d’où semblait résulter la preuve d’une infidélité de la part de celle-ci, qu’il avait autrefois pardonnée, et dont alors il arguait en réponse aux griefs déduits à l’appui des refus qui lui étaient opposés.

Cependant la maturité de l’âge et du talent avançait pour Mirabeau : se consacrant désormais aux études politiques, il partit en 1784 pour Londres, et, tout en s’y occupant de l’examen des institutions de l’Angleterre, il suivait d’un œil habile la marche générale des affaires en Europe. Les plus importantes questions de politique et de finances devinrent sous sa plume le sujet d’une controverse piquante et neuve ; mais plus, des écrits de circonstance qu’il lança à cette époque le firent taxer de vénalité ; l’un entre autres, dirigé contre l’entreprise des eaux de Paris, l’engagea dans une très chaude polémique avec Beaumarchais.

Enfin le ministre Calonne l’ayant chargé d’une mission secrète pour la Prusse, non seulement Mirabeau y servit avec le plus grand zèle les intérêts de son pays, mais il sut encore tourner au profit des lettres son séjour dans la capitale de cet état. Malheureusement il abusa, dans une sanglante diatribe intitulée : Histoire secrète du cabinet de Berlin (qui fut brûlée par arrêt du parlement de Paris, en 1788), des secrets de l’hospitalité et de la confiance de ceux qu’avaient séduits son esprit insinuant et la magie de son langage.

L’époque fixée pour la convocation des États-Généraux trouva Mirabeau rétabli à plusieurs égards dans la considération publique ; son grand ouvrage, La Monarchie prussienne (1788), avait justifié, en la cimentant, la célébrité que lui avaient faite ses brochures politiques ; il vit son nom proclamé sur tous les points de la Provence à côté de celui de Raynal dans la liste des candidats populaires. Toutefois c’est à l’assemblée de la noblesse que se présenta Mirabeau pour y voter avec ses pairs, et ceux-ci furent assez aveugles pour abandonner au parti dont ils affectaient de méconnaître la force, un athlète de qui allait dépendre le succès de la grande lutte prête à s’engager.

Proclamé à la fois député par le Tiers-État d’Aix et de Marseille, il opta pour la première de ces villes, se rendit immédiatement à Paris, et y devint presque aussitôt comme le centre autour duquel se rassemblèrent d’habiles publicistes, que semblait relever encore son patronage. Ainsi s’organisa le Journal des États-Généraux, qui, sous la dénomination de Courrier de Provence, survécut à sa suppression prononcée par le Conseil d’État ; ainsi d’utiles collaborateurs s’empressèrent à l’envi d’entourer Mirabeau de leurs lumières, de consacrer leurs veilles à l’intérêt de sa gloire, qu’ils confondaient dans leur pensée avec celle de la France.

Nous emprunterons à Chénier l’énumérations des travaux du grand orateur à l’Assemblée constituante. Après avoir signalé sa célèbre adresse au roi pour le renvoi des troupes : « On se rappelle encore, dit-il, la séance où, peignant à grands traits le tableau hideux d’une banqueroute générale, il fit adopter sans examen le plan de finances proposé par un ministre alors favori du peuple (Necker), et sur qui, par cette confiance même, il faisait tomber tout le poids d’une responsabilité sans partage ; l’orateur improvisa sa courte harangue, et jamais improvisation plus énergique ne produisit de plus grands effets ; sa réponse à l’abbé Maury sur les biens ecclésiastiques ; un brillant discours sur la constitution civile du clergé ; un discours très sage sur le pacte de famille, base d’une longue alliance entre la France et l’Espagne ; deux discours sur la sanction royale, deux autres sur le droit de faire la paix et la guerre (qu’il voulait qu’on dévolût au roi), et le second surtout, où, combattant Barnave, et le prenant pour ainsi dire corps à corps, Mirabeau, sans changer d’opinion, parvint à ressaisir une popularité qui lui échappait. »

Ce fut la manifestation de ses idées sur le droit de faire la paix et la guerre, idées qu’il défendit le 15 mai 1790, qui servit de prétexte ou d’occasion au fameux pamphlet qui parut contre lui, sous le titre de La grande trahison du comte de Mirabeau. Et ce fut pour reconquérir la confiance publique, prête à lui échapper, que, le 22, il proposa lui-même le projet du décret qui enleva ce droit au roi, et ne lui laissa que l’initiative, assurant au reste qu’on ne l’avait pas compris, et que ce droit d’initiative était le seul qu’il eût défendu depuis cinq jours.

Il ne cessa dès lors de paraître fréquemment à la tribune, tantôt pour servir la cour dans des questions très graves, et plus souvent encore pour traiter dans le sens révolutionnaire des objets de moindre importance, afin de réhabiliter sa popularité expirante. En décembre, il prit un congé d’un mois dans le dessein de se rendre à Aix ; mais avant de partir, il parut, le 23, à la société des Amis de la Constitution, qu’il présidait, annonça qu’il s’éloignait pour aller combattre de plus près ceux de ses ennemis qui avaient voulu le dépopulariser dans sa patrie, et excita un tel enthousiasme dans l’assemblée, que s’étant dérobé aux applaudissements, on se hâta, sur la motion de Danton, de lui envoyer une députation pour le prier de ne pas quitter la capitale, comme si le salut de l’État eût dépendu de sa présence.

En effet, il ne partit point, et le 14 janvier 1791, il lut son projet d’adresse au peuple français sur la nouvelle constitution civile du clergé, évoqué plus haut. Le 16, il fut nommé membre du département de Paris, et le 31, président de l’Assemblée nationale. Le 23 février, dans une discussion très vive, qui s’éleva au sujet de la résidence à laquelle on voulait astreindre la famille royale, il se fit écouter de tous les partis avec le plus extraordinaire ascendant, se prononçant contre le côté droit, sans toutefois aborder la question. Il finit en déclarant qu’il était décidé à poursuivre les factieux, sous quelque couleur qu’ils se montrassent.

Mirabeau arrive au Champs-Élysées. Estampe allégorique de 1792

Mirabeau arrive au Champs-Élysées. Il s’avance vers Rousseau et lui présente un de ses
ouvrages ; Franklin lui pose une couronne de chêne sur la tête ; Montesquieu, Voltaire, Mably
et Fénelon viennent le recevoir. Sur le 2e plan, Démosthène et Cicéron s’entretiennent
de l’orateur français et le contemptent ; des génies le suivent chargés de ses œuvres.
Estampe allégorique de 1792 de Jean-Michel Moreau (1741-1814)

Le 28, il repoussa avec beaucoup d’adresse et de force une loi proposée contre l’émigration. Cette séance, une des plus dramatiques dans lesquelles se soit montrée toute la puissance de cet homme extraordinaire, doit être étudiée dans les documents du temps. Mirabeau, fortement combattu, et voyant les applaudissements passer à ses adversaires, s’écrie : « Messieurs, la popularité que j’ai ambitionnée, et dont j’ai eu l’honneur de jouir comme un autre, n’est pas un faible roseau : c’est un chêne dont je veux enfoncer la racine en terre, c’est-à-dire dans l’inébranlable base de la raison, de la justice et de la liberté... » À ces mots, interrompu par les clameurs du côté gauche, par les mots au traître ! à la vénalité ! il s’indigne sans s’émouvoir, et d’un œil assuré, d’une voix ferme, il s’écrie : « Silence aux trente voix ! »

Le 22 mars 1791, il parla sur la question de la régence ; le 27, sur les mines, et c’est la dernière fois qu’on l’entendit, car étant tombé malade le lendemain, il mourut le 2 avril, âgé de 42 ans. On crut d’abord qu’il avait été empoisonné, et tous les partis s’accusèrent réciproquement de ce crime ; mais il est constant aujourd’hui que ses seuls meurtriers furent Mlle Coulon, de l’Opéra, avec laquelle il avait passé la nuit immédiatement précédente, et Cabanis, son médecin, qui se méprit sur la nature de son mal.

Il venait de terminer son discours sur les successions ; il le remit à son ami Talleyrand de Périgord pour le lire à l’assemblée, et il y fut lu en effet le 4 avril suivant. Le détail des derniers moments, des dernières paroles de Mirabeau, la consternation publique, la pompe imposante de ses funérailles, où l’on vit paraître l’assemblée tout entière, seraient la matière d’un riche tableau, beaucoup trop étendu pour notre cadre. Mirabeau dit en mourant, à haute voix : « J’emporte avec moi le deuil de la monarchie ; les factieux s’en disputeront les lambeaux. »

En 1792, il fut déclaré traître à la patrie par un décret de la Convention ; ses cendres, tirées du Panthéon, furent jetées au vent, et ce peuple, dont il avait été l’idole, brûla son buste en place de Grève.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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