LA FRANCE PITTORESQUE
Art d’antan de prendre le temps d’élaborer
un véritable marron glacé
(D’après « La Nature. Suppléments pour l’année 1910 », paru en 1910)
Publié le mardi 29 décembre 2015, par Redaction
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En 1910, Francis Marre met en appétit les lecteurs de La Nature en leur dévoilant les secrets de préparation du véritable marron glacé, friandise sur laquelle chacun aime à fondre la dernière semaine de l’année et la première de l’année suivante
 

Le marron glacé, que de rares amateurs dégustent en tout temps, à petites doses, a, pour la majorité de ceux qui le consomment, une saison bien courte, et c’est grand dommage, car cette friandise, qui est un aliment très énergétique, est de digestion aisée. Mais, si pendant la dernière semaine de l’année, puis pendant la première semaine de l’année suivante, chacun absorbe des marrons glacés jusqu’à la satiété inclusivement, on s’abstient ensuite à peu près complètement pendant onze mois et demi. Il est heureux, d’ailleurs, que la consommation soit à ce point limitée, depuis que les châtaigneraies sont décimées par la maladie de l’encre, et mises en coupe réglée pour la fabrication d’extraits tanniques, les beaux fruits, destinés à la confiserie sont de plus en plus recherchés. On peut juger, d’après les chiffres suivants, de l’intérêt qu’il y a pour les propriétaires de châtaigniers à récolter de gros marrons. En 1908, le quintal de marrons à 60 au kilogramme valait 80 francs, tandis que le quintal de fruits un peu plus petits (70 au kilogramme), ne valait que 40 francs.

Déjà, les produits de l’Ardèche (marrons de Lyon), et ceux du massif des Maures ne suffisent plus aux besoins des confiseurs. L’industrie s’approvisionne en partie à l’étranger, sur les marchés de Turin, de Florence et surtout de Naples. Les marrons de Naples, à cause de leur grosseur, sont très appréciés, et sont principalement destinés à l’Angleterre. Une variété japonaise, les « tambus » dont l’amande est volumineuse et non cloisonnée, constituera le marron glacé idéal, le jour où il deviendra facile de l’importer. Avant qu’il soit possible de le livrer à la consommation, le marron confit subit des manipulations nombreuses et délicates, que la plupart des recettes, dites « pratiques », ne signalent qu’imparfaitement. C’est ce qui explique l’insuccès fréquent des tentatives ménagères de « glaçage ».

Publicité pour un atelier lyonnais de marrons glacés

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L’époque la plus favorable à la préparation est celle qui suit immédiatement la récolte ; mais on préfère généralement, dans l’industrie, attendre le mois de décembre qui précède un peu le moment du plus grand usage. Par suite, on est obligé, les marrons ayant alors subi un commencement de germination, et ayant quelque peu noirci, de les blanchir après le premier écorçage. Ils séjournent donc un quart d’heure dans des chambres closes où se dégagent des vapeurs d’acide sulfureux. Un lavage à grande eau enlève ensuite l’excès d’acide. La cuisson est chose délicate, si l’on veut que le marron reste entier, elle doit durer 3 ou 4 heures, sans jamais atteindre l’ébullition. Dans l’industrie, les bassines servant à cet usage sont divisées en plusieurs étages par des grilles sur chacune desquelles reposent seulement quelques couches superposées de fruits. Une autre opération qui présente de réelles difficultés, et n’est confiée qu’a des ouvrières très habiles, consiste, après la cuisson, à enlever la mince pellicule recouvrant immédiatement l’amande. L’extraction est particulièrement minutieuse pour certaines espèces où cette membrane forme des replis pénétrant assez avant dans le fruit. Les fruits écornés ont une valeur marchande bien moindre que ceux qui restent entiers.

La confiserie proprement dite s’effectue lentement, à l’aide d’un sirop faible, d’abord à froid, puis au bain-marie. Par évaporation, le sirop se concentre peu à peu. Pour éviter la cristallisation consécutive du sucre, les industriels ont recours a l’artifice suivant : ils ajoutent au sirop de sucre de canne ou de betterave une petite quantité de glucose qui ne cristallise pas. L’addition de glucose permet d’augmenter la concentration du sirop sans avoir à redouter que les marrons blanchissent après le sucrage.

La dernière opération est le glaçage ; mais lorsque les marrons ont été confits dès le mois de novembre, on ne les glace pas immédiatement ; ils sont conservés jusqu’à l’époque de la consommation dans des pots de terre vernissée, recouverts d’une couche de sirop concentré qui n’est pas supposé moisir. Le glaçage s’obtient par immersion rapide des fruits dans un sirop très épais ayant subi un commencement de caramélisation. Il faut que les marrons soient retirés du sirop à chaud, tandis que le bain est encore très fluide, pour qu’il n’y ait pas excès de glaçage ; et comme d’autre part, il faut encore éviter de les écorner, les ouvriers qui terminent la manipulation doivent faire preuve d’une grande habileté. Le séchage à l’étuve et l’emballage n’ont d’intérêt qu’au point de vue industriel.

Les ménagères qui veulent préparer elles-mêmes des marrons confits et glacés, ajoute Francis Marre, échouent souvent parce que l’imprégnation par le sucre est insuffisante, ou parce qu’ensuite la cristallisation superficielle se produit très vite. La lenteur, dans la période de confiserie proprement dite, et le tour de main qui consiste à remplacer, à la fin de cette opération, le sucre de canne par du glucose pour renforcer le sirop, sont deux précautions qui suffiront souvent peut-être à améliorer les résultats. Avec les fruits écornés et qu’on ne veut pas offrir tels quels, il est aisé de fabriquer de la crème de marrons, il suffit de les écraser dans du sirop jusqu’à consistance convenable, de stériliser au bain-marie, et de conserver cette véritable confiture dans des vases hermétiquement clos.

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