LA FRANCE PITTORESQUE
1er janvier 1677 : première représentation
de Phèdre, tragédie de Racine
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Publié le mercredi 11 novembre 2009, par LA RÉDACTION
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Ce jour rappelle une grande époque dans l’histoire de l’art dramatique, celle de la retraite de Racine et de son entier divorce avec les sujets profanes. Trois ans s’étaient écoulés depuis la première représentation d’Iphigénie. Douze ans se passèrent avant qu’il osât reprendre la plume. Vaincu par les instances de madame de Maintenon. Esther dut consoler Racine de tous les chagrins que Phèdre lui avait causés.

L’apparition de ce dernier chef-d’œuvre, dont le principal rôle est, selon Voltaire, le plus beau qu’on ait jamais mis au théâtre dans aucune langue, fait encore époque dans l’histoire d’un autre art, malheureusement inséparable de l’art dramatique : il est curieux d’observer jusqu’à quel point la cabale avait déjà porté ses progrès. Elle n’avait pas encore ses troupes réglées, que nous l’avons vue organiser de nos jours, comme Charles VII forma les compagnies d’hommes d’armes et de francs-archers. Mais pour être volontaires, ses champions n’en étaient que plus redoutables ; elle disposait de moyens d’un ordre plus élevé, sa tactique était plus savante, et l’on ne doit pas s’en étonner, puisque les premiers personnages de la cour la dirigeaient : c’était de la politique en diminutif.

On n’oubliera jamais que le duc de Nevers, que madame la duchesse de Bouillon et leurs partisans, dont la société, même sans la lecture, aurait dû former le goût ; que madame Déshoulières, qui, par état, devait s’y connaître, conspirèrent pour élever Pradon au-dessus de Racine, et que l’auteur de Régulus fut assez hardi pour accepter une lutte, dans laquelle l’auteur du Cid et d’Horace avait lui-même succombé : on connaît l’histoire des deux Bérénice.

La Phèdre de Racine et celle de Pradon furent représentées à deux jours de distance, la première sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, la seconde sur celui de la rue Guénégaud. Voici la ruse qu’employa la noble cabale, par une juste défiance du talent de son protégé pendant plusieurs jours elle fit louer toutes les premières loges des deux théâtres, qu’elle avait soin de remplir dans la rue Guénégaud et de laisser vides à l’hôtel de Bourgogne. Rien n’était mieux calculé pour jeter de la froideur sur la pièce de Racine ; aussi pendant quelques semaines Pradon jouit-il d’un triomphe complet, dont le mémoire s’éleva environ à 28,000 francs, et fut prélevé sur l’enthousiasme de ses admirateurs. Racine le fils, à qui nous devons ces détails, les tenait lui-même du véridique Boileau.

L’année suivante la reprise de Phèdre vengea la gloire de Racine ; mais ses ennemis trouvèrent encore moyen de le désoler en publiant une édition fautive de son chef-d’œuvre, édition dans laquelle ils en avaient presque fait la parodie. La sensibilité de Racine était extrême : une injustice du public l’exila du théâtre ; une injustice du roi le fit mourir.

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