LA FRANCE PITTORESQUE
Noël (Veille de) : jeux,
divertissements et réjouissances
(D’après « La nuit de Noël dans tous les pays » paru en 1912)
Publié le mardi 5 octobre 2010, par Redaction
Imprimer cet article

Une notice sur Beaufort, commune de l’Anjou, mentionne une très ancienne coutume dont il ne reste pas trace dans les traditions du pays. C’était, à Beaufort, un usage que tous les jeunes gens mariés dans l’année se réunissent la veille de Noël, pour offrir au public un grand divertissement. A l’heure indiquée, ils se rendaient, escortés de toute la foule, sur un pont situé sur une petite rivière, à l’extrémité de la ville.

Carte Joyeux Noël du XIXe siècle

Carte Joyeux Noël du XIXe siècle

Là, au signal donné par les premiers magistrats de la cité, et en présence du seigneur du lieu qui présidait la cérémonie, ils se précipitaient dans l’eau pour y saisir, en nageant, une pelote que l’on avait jetée dans le courant. Les nageurs avaient la liberté d’arracher la pelote des mains de ceux qui l’avaient saisie les premiers ; c’était, on peut le penser, une lutte fort longue et fort distrayante. Celui qui, le plus fort ou le plus adroit, parvenait à se rendre maître de la pelote était proclamé le vainqueur. Il recevait cinquante livres pour « monter son ménage » et était reconduit chez lui au son de la trompe, au bruit des tambours, des fifres et des hautbois. Ceux des jeunes gens qui, n’étant pas malades, « ne voulaient pas grelotter en nageant après la pelote », payaient une amende au profit du vainqueur.

Une coutume à peu près semblable avait lieu en Normandie, au Mesnil-sous-Jumièges et à Yville. La dernière mariée de l’année - et c’était à qui se marierait la dernière pour avoir cet honneur -, en présence de toute la paroisse assemblée, jetait par-dessus l’église une boule ou une pelote où était enfermée une somme d’argent. Chacun faisait ses efforts pour s’en emparer. Or, pour en demeurer maître, il fallait rentrer chez soi et faire baiser la pelote à la bûche de Noël, dans la cheminée. Quiconque touchait le porteur, lui criait : « Lâche la pelote », et de nouveau la pelote était lancée. Souvent cette partie de balle lancée durait fort longtemps, et parfois l’heureux possesseur de la balle demeurait éloigné du village deux eu trois jours avant de rentrer chez lui, attendant que ses adversaires, lassés, aient abandonné la partie. Une sorte de superstition s’en mêlait, la pelote portant bonheur au hameau qui la possédait. C’était un talisman qui assurait de belles récoltes à celui qui pouvait la garder. Le supplément du 25 décembre 1898 du Journal de Rouen rapporte que tout cela était très inoffensif, mais les bousculades, les batteries qui s’ensuivaient, l’étaient moins, et, en 1866, on a supprimé définitivement cette originale coutume normande.

Voici, d’après Carnandet, bibliothécaire de la ville de Chaumont, ce qui se passait, la veille de Noël, dans les villages de Champagne. C’est à la nuit tombante que commencent les réjouissances de la fête de Noël. Dès que la dernière lueur du jour s’est fondue dans l’ombre, tous les habitants du pays ont grand soin d’éteindre leurs foyers, puis ils vont en foule allumer des brandons à la lampe de l’église. Lorsque ces brandons ont été bénits par le clergé, ils les promènent par les champs : c’est ce qu’on appelle la fête des flambarts. Ces flambarts sont le seul feu qui brûle dans le village : ce feu bénit et régénéré jettera de jeunes étincelles sur l’âtre ranimé dans quelques instants, image symbolique de la renaissance spirituelle apportée au monde par le Christ.

Chanson de Noël illustrée de la première moitié du XXe siècle

Chanson de Noël illustrée de
la première moitié du XXe siècle

Puis on allume la bûche de Noël. Pendant la veillée, les paysans, sur l’esplanade et dans les cours, se livrent à mille passe-temps agréables et se divertissent au jeu des folles entreprises. Les uns feignent de vouloir prendre la lune avec les dents, les autres de rompre une anguille avec les genoux, les autres d’étouper les quatre-vents, d’autres, enfin, de faire taire les femmes qui coulent la buie (la lessive). Mais tous les jeux cessent à minuit, alors que les cloches tintent dans les airs obscurcis. De tous côtés, s’en viennent à l’église de longues files de paroissiens portant des brandons goudronnés, des torches de paix ardente qui répandent de larges clartés sur les campagnes éblouissantes et font scintiller le givre aux baissons des clôtures.

Voici la description d’une veillée de Noël dans le Rouergue. Dans les vastes plaines arides du Causse, comme sur les montagnes du Levézou et les mamelons boisés du Ségala, il fait grand froid vers la fin de décembre ; aussi on ne ménage pas le bois dans la vaste cheminée autour de laquelle se groupe toute la famille pour la veillée. Autrefois, les voisins arrivaient, eux aussi ; on se réunissait, ainsi, nombreux, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, on devisait joyeusement, sans contrainte ni gêne aucune, grignotant de savoureuses châtaignes grillées et les arrosant de cidre ou du petit vin blanc qu’on récolte dans les vallons.

Groupée autour d’un grand feu, la famille cause doucement : tout à coup, les cloches se font entendre. « Les carillons ! » dit l’un des anciens, et là-dessus, pour satisfaire l’avide curiosité des jeunes, on rappelle toutes les antiques légendes de la fête de Noël, que tout le monde sait déjà, mais qui plaisent toujours. On raconte que les cloches de telle ancienne paroisse détruite, jetées dans quelque gouffre profond par les protestants ou les révolutionnaires, se mettent à sonner d’elles-mêmes pour répondre aux joyeux carillons de leurs sœurs qui chantent si gaiement dans le clocher du village.

Viennent ensuite les récits les plus variés sur la naissance du Sauveur... Presque toujours ces récits se terminent par un cantique de Noël - en patois, bien entendu :

Au miezo mièch,
Lous pastrès quitou lou lièch,
Per ona audoura la noissenço,
Moun Dious !
D’un Dious plé de puissenço
Benez esse Dious !

A minuit,
Les bergers quittent le lit,
Pour aller adorer la naissance,
Mon Dieu !
D’un Dieu plein de puissance,
Venez être Dieu !

Avant de partir pour la Messe de minuit, on plaçait la bûche de Noël (souquo naudolenquo). D’après la tradition, la bûche de Noël, dans toute maison qui se respecte, doit durer jusqu’au 1er janvier, et même, pour s’assurer une heureuse et prospère année, il faut qu’elle brûle sans s’éteindre jusqu’à l’Epiphanie, afin que, si les Rois Mages viennent à passer par là, ils aient de quoi réchauffer leurs membres fatigués et glacés par l’âpre bise de nos montagnes. Aussi ce sont des arbres entiers ou d’immenses souches de chêne qu’on fait porter par trois ou quatre valets de ferme dans la gigantesque cheminée de la cuisine.

La plume très exercée de Marie de Lacertelle a su mettre en scène l’antique veillée de Noël au pays lorrain, qu’on retrouve dans le numéro du 7 janvier 1905 des Annales d’Orléans.

« C’était la veillée de Noël en pays lorrain. Dans la grande salle du château, maîtres et serviteurs sont rassemblés, le souper vient de finir ; les pages apportent les galettes dorées et les aiguières de vin vermeil qui doivent égayer la soirée. Au haut de la table, le comte Raoul de Briamont a présidé le repas sur le grand fauteuil seigneurial sculpté aux armoiries de sa maison ; il a crié Noël ! en élevant gaiement la coupe d’argent, et sa voix sonore a éveillé, en même temps que les échos de la grande salle, la joie dans tous les cœurs des convives. Car tous les serviteurs de Briamont présents au festin de Noël aiment leur jeune maître de quinze ans et respectent sa tête blonde, comme ils respectaient jadis les cheveux blancs de son aïeul.

« A la droite du comte Raoul se trouvent : le chapelain, messire Didier, qui, tout à l’heure, célébrera dans la chapelle la Messe de minuit ; puis Alain, le vieil écuyer du défunt seigneur ; dame Pernette, qui a nourri et élevé l’enfant ; les servantes, les hommes d’armes de la petite garnison qui défend le château pendant ces jours troublés ; les varlets, les pages et, enfin, une famille de pauvres laboureurs qui est venue le jour même chercher derrière les murs de Briamont un abri contre la fureur des bandes pillardes qui dévastent la campagne. Et tous ont répété : Noël ! Vive notre jeune seigneur !. Merci à vous, mes bons serviteurs et amis, reprend le comte Raoul ; merci de votre affection et des soins dont vous m’avez entouré pendant toute cette année, la dernière que je passe parmi vous et sous le toit de mes pères. Bientôt sonnera l’heure du départ ; bientôt, sous la conduite de mon suzerain, j’irai trouver notre sire le roi Charles ; bientôt je serai chevalier, je pourrai courir sus à l’Anglais et aider, s’il plaît à Dieu, à le chasser hors du royaume de France. Criez donc : Noël ! mais aussi : Vive notre gentil dauphin Charles VII ! »

Paris. Place Saint-Michel sous la neige (aquarelle d'Eugène Galien-Laloue)

Paris. Place Saint-Michel sous la neige
(aquarelle d’Eugène Galien-Laloue)

A Paris, comme dans toutes les grandes capitales, le mouvement et l’animation redoublent la veille de Noël et se prolongent non seulement fort avant dans la soirée, mais encore une partie de la nuit. La Noël, l’une de nos plus grandes fêtes religieuses, l’une des plus touchantes fêtes de famille, est en même temps la plus franchement joyeuse des fêtes populaires. Dès la nuit tombée, les rues sont envahies par la foule : sur les boulevards, auxquels les petites boutiques provisoires prêtent la physionomie d’une tête enfantine, c’est un flot toujours croissant, toujours renouvelé de promeneurs.

Les terrasses des cafés s’encombrent à vue d’œil ; à tous ces gens attablés, des camelots, viennent proposer le jouet du jour, en accompagnant leur boniment des facéties les plus originales. Des mendiants cherchent à exploiter la pitié des passants et des industriels sans ressources s’improvisent artistes pour la circonstance. Ces sortes de ménestrels pullulent depuis quelques années. Certains exercent leur talent sans collaboration, mais la plupart sont groupés en duo ou trio pour donner leur concert. Ils débitent leur répertoire, généralement insignifiant, devant un public peu exigeant, car c’est d’une façon bien distraite qu’on les écoute. Ces virtuoses du pavé, pauvres « cigales » de l’art, auxquelles la lumière électrique tient lieu de « soleil », accompagnent souvent leurs chants de « danses » qui ne leur assurent pas toujours ce qu’il faut pour « subsister ».

Un usage des plus édifiants et des plus touchants existe encore au village de Montsecret, dans l’Orne. La veille et le matin du jour de Noël, une jeune fille pieuse et estimée de tous va par les maisons porter l’Enfant-Jésus de la Crèche et le fait baiser aux petits enfants. Les parents remettent alors une offrande pour l’entretien de la lampe qui, pendant tout le mois de janvier, brûle à l’église devant la Crèche. Cette visite est regardée comme un honneur et une bénédiction par les familles : les enfants l’attendent avec impatience et l’accueillent avec joie.

Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

Imprimer cet article

LA FRANCE PITTORESQUE